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I
Vît. p.-. lil B, lt,35
LES OEUVRES
DE
GUILLÂIME COQUILLART.
^^g^
Cette édition est tirée à 376 exemplaires, dont
326 sur carré vergé, 6 sur papier jonquille,
6 sur papier bleu , 40 sur jésus vergé.
Imp. de GÉRARD, Litb., rue Cérès, 8, à Reims.
LES OEUVRES
DB
GdILLAllE COQdILLART.
TOME PREMIER.
tS49.
RBUIS.
Chez Brissard-Binel, Li-
braire, rue. du Cadran-
St-Pierre.
PARIS.
Chez Tcchener, Libraire i
place du Louyre.
'^ - 1 MAY 1963 ^'
CFOX'^CRD
NOTICE
Shf la Yie et les Œivres de fi. Coqiillart.
Au commencement du XV* siècle, la colère de Dieu
s'était appesantie sur la France. La démence de Charles
Yl livrait à une reine sans cœur , à des princes ambitieux
et parjures le& destinées du pays. £n i420, Isabeau de
Bavière, le duc de Bourgogne et le roi d'Angleterre Henri
y, proclamaient leur entente cordiale et concluaient à
Troyes un infâme traité : on déclarait le dauphin indigne
de succéder à son malheureux père, et le trône de St-Louis
était assuré sans pudeur à la postéritédu monarque anglais.
Les Bourguignons, maîtres de la Champagne, l'avaient ou-
verte aux étrangers. Les Rémois, qui, soixante ans aupa-
ravant, avaient vu fuir devant leur valeur l'armée du roi
Edouard, avaient re^ u garnison anglaise. Les factieux éga-
raient le peuple, corrompaient les âmes vénales, et com-
primaient par la terreur l'indignation du patriotisme. Au
milieu (^ ces humiliations et de ces désastres, vers 1421,
dans une famille sans nom comme sans fortune, naissait
à Reims un enfant dont le cœur était noble et l'esprit
riche d'intelligence : c*était Guillaume Goquillart. Pauvre
il fut au berceau, et soixante ans plus tard, après avoir
rempli d'importantes fonctions, il pouvait, entouré de
ses concitoyens, à la face de la cour de France, se procla«
VI
mer pauvre encore et faire respecter ses cheveux blancs.
C'est qu'alors les écus ne faisaient pas le citoyen; alors
la probité, l'amour du travail , le dévôûment au pays
donnaient les droits de cité et les privilèges politiques;
aux mieux méritants revenaient les honneurs. A Reims,
quiconque était sans tache, quiconque gagnait son pain
à la sueur de son front, appartenait au corps social.
Aux jours du danger, ridies et pauvres couraient aux
armes; ensemble ils combattaient l'ennemi sur le champ
de bataille, et leur sang se mêlait sur le rempart de la
vieille cité. Aux jours d'élection , pauvres et riches se
retroQvaieiftt au foruj», et tous ensemble ils choisissaient
les chefs de la commune. Le christianisme, les traditions
rémoises le voulaient ainsi. Préjugés ridicules, fils de la
barbarie ! vous n'avez pas duré moins de quatorze cents
ans. Tant ce qui est faux en principe, injuste au fond,
et contraire à la raison et au droit de nature, contient en
soi de forces vitales. Bénis soient mille fois le siècle des
progrès, le règne des lumières, l'époque des constitutions
immortelles, qui ont remis chacun à sa place et prouvé
que l'or seul donne le patriotisme et la vertu. Quoi qu'il
en soit, Guillaume Goquillart devait se consoler des
abus du temps, puisqu'ils facilitèrent sa marche dans
le monde.
Enfant, il vit tous les malheurs de la patrie, et dans
sa jeune âme se gravèrent en caractères ineffaçables le mé-
pris de la trahison et la haine de l'étranger. Il ne devait
rien oublier, et douze lustres après, mêlé à tous nos preux,
debout devant l'arrière-petit-fils de l'iofortuné Charles VI,
le poèhd retrouvait dans son cœur, que soixante hivers
n'avaient pas refroidi, tout l'enthousiasme de ses premières
années. Avec quelle joie superbe il chantait les défaites de
ces Anglais, si souvent en France et toujours chassés. Heu-
reuse la brebis qui n'a rien laissé de sa toison aux buissons
de la route! honneur à l'homme qui , dans ses vieux jours,
à conservé les affections et les croyances du jeune âge :
car celles-là sont pures et bonnes.
Cependant, Jeanne^d'Arc avait conduit Charles VU ft
Reims. Des temps meilleurs étaient venus : l'industrie et
rétude avaient repris le cours de leurs travaux. Coquillart
était doué d'un esprit droit, actif, intelligent : il voulut
s'instruire. Alors régnait à Paris une Université célèbre ,
mais égoïste et vaniteuse. Son joug pesait sur toutes les
provinces voisines, et Reims devait encore le subirj plus
d'un siècle. Coquillart se rendit dans la grande ville : là
venaient les gens d'affaires, les hommes politiques, les beaux
esprits > les savants de tous pays^ les étrangers de distinc-
• •
VIJ
tîon. Paris était la capitale des plaisirs et des galanteries :
dans son sein le scepticisme politique avait ébranlé la foi
religieuse; les mœurs s'étaient relâchéea. Un luxe sans
frein avait achevé de les corrompre. La conscience des
hommes, la vertu des femmes s'y vendaient à beaux deniers
comptant. Tel était le pays où Goquillart allait passer
ses plus belles années. Comme étudiant il vécut sous la
férule de l'Université et la vit sacrifier à ses intérêts ma-
tériels et pécuniaires la dignité de son nom» l'instruction
et le bienétre des écoliers. 11 vitdes pédagogues lutter contre
la haute magistrature, conduire l'émeute dans les rues,
vouloir régenter l'Église et la société, braver la monarchie
et les lois de l'état. Sur ce théâtre pour lui tout était
nouveau ; spectateur attentif, il s'indignait des lâchetés
des acteurs et riait de leurs travers. Critique naïf et cen-
seur de bonne foi , il songeait à la réforme des abus. Jeune
et joyeux, il s'amusait des manies de l'espèce humaine,
de son culte pour la mode, des misères de sa vanité. Sur
les feuilles blanches de sa docile mémoire, mille notes
s'inscrivaient; le temps devait les respecter : plus tard
elles se firent jour et éclatèrent en vers moqueurs, en
sarcasmes sanglants.
Coquillart travaillait avec ardeur : il étudiait sérieuse-
ment les langues anciennes, le droit, la théologie, et finit
par prendre ses grades. C'était un préliminaire indispen-
sable pour arriver au barreau : telle était la vocation du
jeune rémois. De retour à Beims, il se fit praticien, c'est-
à-dire qu'il se lança dans les affaires litigieuses. En ce
temps-là, les gens assez malheureux pour être obligés de
plaider, n'avaient besoin que d'un mandataire; il suivait
l'affaire en la forme et la plaidait au fond : c'était plus
simple et moins coûteux. Mais , comme il y avait abus
au préjudice des gens de loi , on y mit bon ordre dès le
siècle suivant, et il fallut avoir un procureur et un
avocat. Coquillart , dès les premiers pas dans la carrière,
se fit remarquer : sa position se dessina rapidement. A
vingt-cinq ans on le citait comme homme de savoir et
de bon conseil, et de hauts fonctionnaires interrogeaient
déjà son expérience. En 1446, des difficultés graves
s'élevèrent à Reims sur la police des marchés : le bailli
de Vermandois, saisi de l'affaire, la renvoya devant le
garde-du*scel du bailliage à Reims. Celui-ci consulta le
nouveau praticien. On conserve encore parmi les archives
de la ville le rapport qu'il composa, il est signé de sa
main. Alors on le nommait Coquillart le jeune. Sans doute
il avait le bonheur d'embrasser encore de vieux parents,
et d'éclairer le soir de leur vie des premiers rayons de sa
■ • «
VllJ
riante aurore. Pendant treize années (i), la vie deCoquillart
échappe à nos investigations, mais dans ses poésies on
peut trouver ce que les chroniqueurs ne racontent pas.
En 1446 (il avait vingt-six ans), c'était Guillaume Goquil-
lart le jeune : son cœur alors battait avec confiance, le
monde ne Tavait pas froissé. Son imagination voguait
avec délices sur la mer des idées; elle n'avait pas encore
appris à voir dans la vie deux parts : au début le som-
meil et ses songes, au milieu le réveil et la réalité.
Beaux jours de la jeunesse, jours de bonheur, d'espoir et
de confiance, salut! Pour vous, pour vous seuls le matin
se lève au milieu des roses, le ciel étend son voile d'azur et
la nuit sa robe semée de perles blanches. Pour vous seuls
au bois chante le rossignol, au pré fleurit la marjolaine,
au buisson l'aubépine au doux parfum. Pour vous les rêves
d'amour, pour vous les rêves de gloire. Main blanche et
mignonne, main nerveuse et brûlante unies ensemble;
en plaine l'épée sanglante et les chants de victoire; au
retour moustaches brunes posées sur bouche de corail;
applaudissements de la foule et tendres sourires; des hon-
neurs et des baisers : à vingt-cinq ans voilà la vie. — Amie
tu m'aimeras toujours, et les échos de répondre tou-
jours. Roi, tu ne m'oublieras jamais, et les échos de ré-
pondre jamais. Feux follets, courez, volez encore: jeunesse
vous suit; elle s'attache à vos pas vagabonds; elle va vous
atteindre, elle le croit. Halte ! a crié le Temps; l'écho se
tait; le voile se déchire; on voit au pré le serpent per-
fide, au buisson la ronce desséchée, au bois le corbeau
sinistre et le loup dévorant, un abîme au bout de la
route. Fuyez gracieux lutins : le charme est tombé; re-
tournez sur vos pas, d'autres jeunes cœurs vous attendent.
Les voilà qui se mêlent à vos rondes. Enfants, dansez et
défiez l'avenir, c'est votre tour. Telle était alors l'histoire de
tous : telle elle est peut-être encore. Telle fut l'histoire de
Coquillart. Il aima ; pauvre et sans nom, il fut trahi et dé-
daigné : cela devait être. — Au matin la rose brille fraîche et
parfumée ;*au soir le soleil l'a brûlée, le vers rongeura flétri
son sein, l'ouragan a dispersé ses pétales : la rose n'est
plus : les épines restent; elles ne savent que piquer et
(1) Nous trouvons, en 1436 et 1447, un conseiller de ville
nommé Guillaume Coquillart : il fut chargé à ces deux dates
d^acbeter la protection d'un sieur de Flavy , capitaine , dont les
hommes d'armes venaient piller les environs de Reims. Ce fait
peut concerner notre poète en 1447, mais en 1436 il n'avait que
15 ans s peut-être la mission dont il s'agit fut- elle confiée à son
père.
IX
déchirer. Lorsque le poète eut vu tomber une à une les
fleurs dont sa foi naïve avait semé l'avenir , quand il eut
▼u s'éteindre au milieu de cendres glacées les dernières
étincelles de ce feu longtemps brûlant, longtemps encore
couvert, il laissa s'exhaler le secret de son âme, et dans
plus d'un vers il a maudit la cupidité qui salit l'amour,
les trahisons qui le dégradent. On va le voir le fouet à la
main punir cruellement les caprices dont il fut victime.
Hais il est facile de voir que sa colère est du dépit, et sa
haine du désespoir. U avait été malheureux, il fut im-
pitoyable. Gomme un païen à demi converti, il brise
l'idole qu'il a longtemps aimée; puis à genoux devant
l'autel qu'il a renversé, il implore le pardon de sa vio-
lence. Ses imprécations n'ont rien de commun avec
les froids sarcasmes de Nicolas Boileau. Leur source est
au cœur; et en le voyant à la fois humble et sardonique,
cruel et repentant, on peut dire l'amour a passé par-là.
Goquillart eut aussi ses rêves de gloire : il suivit la cour.
D'autres déceptions l'attendaient ; la mer où il naviguait
était semée d'écueils: son. inexpérience ne les avait pas
prévus. Etranger dans Paris, parti d'une chaumière, fils
d'un père sans écusson, il rencontra partout froideur et mé-
pris : ses services furent méconnus. Et puis, en ce temps
comme dans d'autres, il faut le dire, au pays des faveurs le
roseau croissait mieux que le chêne. Goquillart tenait peu
du roseau : droit et ferme, il ignorait le grand art de plier
à l'occasion ; il savait bien comment tournaient les gi-
rouettes, mais il ne lui était pas possible de les imiter.
Tel il fut jeune, tel nous le retrouvons dans ses vieux
jours. Nous le verrons à la face des ministres, de ces
grands dignitaires, qui préfèrent aux hommes les valets,
accuser avec une mordante ironie l'injustice et la partia-
lité des grands, raconter en termes moqueurs ses espé-
rances trompées, rire du système de Teau bénite et du
bec dans Teau, puis écraser avec une exclamation de
mépris cette cour où tout est lâcheté, mensonge et perfi-
die, cette halle fangeuse, où qui n'a rien à vendre n'a
rien à attendre, où qui veut rester net ne doit pas mettre
les pieds, il avait cru que le dévoûment au pays était
un titre à la protection, le travail une garantie d'avenir,
la droite voie le plus court chemin pour' arriver au port.
Brave enfant de la Gbampagne ! pardonnons A son inno-
cence : c'était alors Guillaume Goquillart le jeune.
Enfin désabusé, il quitta ce Paris qu'il avait trop aimé
cette ville dont le nom se retrouve dans toutes ses poésies,
cette terreoù ilavaitvu s'évanouir ses plus chères illusions,
ses plus nobles espérances. U partit le cœur serré comme
X
le guerrier qui laisse étendus s«r le champ de bataille ses
amis les plus chers, et plus d'une fois il dut retourner les
yeux vers cet horizon qui cachait la tombe où dormaient
pour toujours ses rêves d'amour et ses rêves d'ambition.
Il revint où reviennent tous ceux que le monde a trom-
pés. Ce fut au sol natal qu'il alla demander asile après la
tourmente. Il avait compris qu'on peut partout servir son
pays y et que le travail et l'honneur donnent seuls à
l'homme une position indépendante et convenable. Las
de poursuivre des fantômes trompeurs, il ne songea plus
qu'à conquérir l'estime publique. Cette fois il devait at«
teindre son but, et bientôt les luttes du barreau et les
lettres fermèrent les plaies de son âme. En li60, nous
le trouvons assis devant un manuscrit latin. Il traduit
l'Histoire des Juifs de Flavius Joseph.' Pendant trois ans,
ce travail absorba ses moments de loisir et sa pensée
redevenue libre. Les vers qu'il écrivit en terminant, res-
pirent la piété pure et confiante : la Religion avait consolé
le poète. (V. au Glossaire : trad. de F, Joseph).
Au milieu de nos malheurs, la loi du Christ avait perdu
de sa puissance; plus d'un ecclésiastique avait erré dans la
voie qu'il devait suivre comme prêtre et comme citoyen. Les
mœurs du clergé s'étaient corrompues. Le luxe^la paresse,
la débauche avaient forcé la porte des couvents; quelques
prélats avaient affligé l'Église par le désordre de leur con-
duite. Le scandale était public, il fallut y remédier : la
tâche était rude , un archevêque de Reims l'entreprit. Jean
Juvénal des Ursins s'était assis sur le siège de Saint-Remy
en 1449. Pendant cinq ans , il avait employé vainement
les avis, les remontrances, les menaces et les peines dis-
ciplinaires. Fatigué de soutenir une lutte ingrate, il con-
voqua, en i454, un concile à Soissbns:là les blessures de
l'Eglise furent mises à nu, et l'auguste assemblée prit
des mesures énergiques pour y remédier. Des circonstan-
ces déplorables allaient rendre tous ses nobles efforts
inutiles et anéantir pour longtemps l'autorité des prélats
et le respect dû à leurs ordres.
En 1461 , Louis XI succédait à son père; il commen-
çait un règne qui fut une longue suite de mystifications
toujours perfides^ souvent cruelles. Les rémois furent les
premières victimes de cette politique, habile peut-être,
mais infâme. Quant le monarque vint se faire sacrer à
Reims, il promit la suppression de la gabelle; un mois
après, cet impôt était exigé avec plus de rigueur que
jamais» : le peuple s'insurgeal Les hommes d'armes de sa
sa majesté s'emparent de la ville : la potence se dresse,
le sang coule par flots, et Reims apprend que parole de
XI
roi nouveau n*est pas parole d'Évangile. D'autres humi-
liations , d'autres actes de tyrannie attendaient encore la
vieille cité.
Le monarque^ pour se concilier l'appui de la cour de
Rome, avait sacrifié les libertés de l'église gallicanne et
révoqué la pragmatique sanction, rédigée en 1438 par
une assemblée de prélats français fidèles à Charles YII;
elle avait renfermé dans de justes limites le pouvoir
de la cour de Rome , et mis des bornes à ses exactions.
Les chapitres avaient reconquis le droit d'élire les évo-
ques, les moines choisissaient leurs supérieurs, les pré-
lats et les chanoines donnaient les prébendes et les cures;
tout tendait à rentrer dans Tordre, lorsque Louis XI ren-
versa l'œuvre de l'épiscopat français, et rendit au Vatican
ses anciennes exigences. 11 n'avait pas entendu livrer au
pape seul les dignités, les bénéfices, les revenus ecclé-
siastiques du royaume. Homme d'expérience, il savait
ce qu'on peut demander à l'espèce humaine de dévoû-
ment, d'obéissance passive, et au besoin de turpitudes, en
offrant un peu d'or. Sa majesté profita de l'occasion pour
partager avec le souverain pontife les dépouilles du clergé
militant et régulier. Tantôt le roi recommandait au pape
ses créatures, tantôt il lui signifiait, ainsi qu'aux chapitres
et aux moines , ses choix directs et absolus : il disposait
des dîmes et des rentes de l'Ëglise, et les divisait en
pensions pour en gratifier ses favoris et acheter ces servi-
ces honteux qui ne se donnent pas. Le clergé de France
ne plia jamais en principe sous le joug qui le dégradait;
chaque illégalité commise par les cours de Rome et de
France était suivie d'une protestation. A Reims, la lutte
fut énergique; mais le combat ne s'engageait pas à armes
égales, et le clergé rémois fut écrasé par les vainqueurs.
Le savoir, la vertu, la considération publique n'étaient
plus des titres à l'avancement; les promesses, les mena-
ces des évèques n'étaient plus que des mots : leur in-^
fluence était tuée; le prêtre n'avait plus rien à espérer
de l'affection de ses frères, de l'estime de ses supérieurs ;
le moine n'avait plus rien à attendre de son ordre. La cour
donnait tout, ou plutôt elle vendait tout; elle joignait les
rigueurs de l'intimidation aux amorces du système corrup-
teur: avec elle on faisait son chemin; sans elle on restait
perdu dansla foule, enseveli dans l'obscurité. Les pension-
naires du pape 'et du roi dévoraient Ta venir; on leur al-
louait les places avant leur vacance. Bientôt le nombre
des grâces expectatives dépassa celui des prébendes et des
dignités; les abbés de St-Remy et de St-Nicaise viennent à
mourir (1465-1475); les bénédictins choisissent dans
leur sein des chefs recommandables par leur conduite et
leur savoir; le pape et Louis XI leur donnent pour abbés
des hommes étrangers à leur ordre, à la Champagne, à
la France. Des intrus envahissent le chapitre de IS^-D®.
Coquillart connaissait la cour et savait ce dent elle
était capable; il devinait sans peine ses honteux marchés,
et voyait les droits du clergé méconnu , les garanties don-
nées aux fidèles par la constitution de Tétat foulées aux
pieds. Autour de lui tout s'indignait : son âme avait pu
soutenir le choc du malheur; elle ne put s'accoutumer à
la corruption. Le citoyen s'irrita : le poète allait bientôt
courir aux armes.
L'homme de cœur devait subir encore d'autres décep-
tions. La politique de Louis XI avait blessé les populations;
des princes intrigants et ambitieux profitèrent du mécon-
tentement général pour allumer le flambeau de la guerre
civile au nom du bien public (1465). Les communes qui
demandaient à grands cris la convocation des Etats géné-
raux , crurent pouvoir les arracher au mauvais vouloir
royal (i) : la bataille de Montlhéry mit fin à la guerre.
En 1466, le traité de Gonflans satisfit personnellement
les princes; une commission fut chargée de faire droit aux
réclamations du tiers état et du clergé; le roi acheta les
commissaires, et ils trouvèrent qu'entre les mains pater-
nelle de S. H. la France était heureuse et que les gens diffi-
ciles à vivre pouvaient seuls se plaindre. La nation était
mystifiée; elle se plaignit hautement. Louis, pour éviier
l'orage qui le menaçait, convoqua les Et^ts généraux à
Tours; les séances ouvrirent le premier avril, jour de
moqueur augure; les députés furent comblés de faveurs
individuelles p aussi se déclarèrent- ils satisfaits, et au bout
de douze séances ils se séparèrent sans avoir porté remède
aux abus réels dont souffrait le pays. La même comédie
fut représentée en 1470; elle eut le même succès. Sa ma-
jesté, qui pouvait s'en dire l'auteur, fut, à la fin de la pièce,
saluée par les acclamations unanimes des acteurs :
ensemble ils partagèrent la recette. Le public avait payé,
mais les spectateurs qui sifflèrent furent traités commegens
turbulents, querelleurs, mauvais citoyens, ennemis du
repos public : ils furent destitués, incarcérés, au besoin
pendus comme vilains, ou décapités comme gentilshom-
mes. Les romains de ce parterre monarchique reçurent
croix et colliers, pensions et places, bénéfices et titres.
(1) Voir au Glossaire les mots Trois Estais.
XUJ
et le roi put leur dire : amis, tirons le rideau, la farce est
jouée.
Au milieu de ces débauches politiques , les hommes
graves gémissaient et attendaient des jours meilleurs.
Jean Ju vénal des Ursins, à la tête de son clergé, luttait
contre le torrent de la coiTuption et cherchait à s'entourer
de gens probes et sérieux; il avait vite apprécié le mérite
de Goquillart et l'avait nommé son fondé de pouvoirs ;
pour parler lé langage du temps, il en avait fait son pro*
cureur. A ce titre honorable s'attachaient de véritables
fonctions; le procureur de l'archevêque de Reims était le
second de ses ofticiers temporels. Le premier rang appar-
tenait au bailli : c'était celui-ci qui rendait la justice au
nom de l'archevêque. A Goquillart était réservé le rôle
du ministère public : c'était encore lui qui représentait
le prélat au conseil de ville (1470). Reims avait su
défendre sous les deux premières races ses privilèges
municipaux. Quand Clovis entra dans Reims^, Saint-
Remi avait exigé de lui la promesse de les respecter;
le prince avait tenu parole; ses succeseurs suivirent son
exemple. Au milieu des troubles qui précipitèrent du
trône les Garlovingîens, Reims devint le fief de ses ar-
chevêques, et les libertés de la commune furent de temps
à autre menacées. Elle les défendit, et plus d'une fois
le peuple s'écria : reddatis libertates quas nobis pater
Remigius sHpulavit. L'échevinage fut ébranlé mais il
tint bon et eut foi dans l'avenir. Lorsqu'on 1358 l'An-
glais menaça la France et marcha sur Reims, en pré-
sence de l'ennemi commun, seigneurs et vassaux -se
mirent d'accord : la cité se donna des chefs, le roi les
reconnut et le conseil de ville fut institué. Le nombre de
ses meinbres fut illimité d'abord, et le peuple en nommait
autant que bon lui semblait. Les affaires se discutaient
publiquement, et tous les assistants avaient droit de voter.
En 1443, on arrêta que les conseillers de la ville neseraient
plus que 25 : on y admit l'archevêque ou son procureur^
les deux sénéchaux du chapitre, les abbés de Saint-Denys
de Reims, de Saint- Rémi et de Saint-Nicaise, deux éche-
vins, quatre nobles, quatre marchands, quatre bourgeois
et quatre praticiens . Le capitaine de la ville pour le roi ,
ou son lieutenant présidait l'assemblée (1). Cette réforme
utile n'avait pas porté d'atteinte aux droits du peuple :
tous les citoyens sans distinction continuèrent à nommer
(1) Ce ne Ait qu^en 1483 qu'un lieutenant , chef de la com-
mune , fut nommé par les habitants.
XlV
leur mandataires. Sans doute il n*y avait pas là de ces fie*
lions ingénieuses qui plaisent aux nations éclairées : mais
dans ces temps encore primitifs, on croyait avoir le droit
de donner soi-même sa procuration; on se figurait qu'un
mandat n'obligeait que celui qui l'avait accordé: erreur de
droit, dont le XiX* siècle a fait enfin justice. La position de
Coquillart était délicate, car il recevait aussi parfois la
même mission de la confiance de ses concitoyens, et on
rhonorait d'une des places réservées aux praticiens.
Souvent les intérêts de la commune et ceux du haut
clergé ne s'accordaient pas ^ mais le poète avait l'estime
de tous. Habile et conciliant, il savait rapprocher les
pouvoirs antipathiques, et il obtenait de chacun des
concessions qui facilitaient et perpétuaient le bon accord.
C'est ainsi qu'en 1470 la ville de Reims, écrasée d'impôts
par la taille, les aides et la gabelle, voulut obliger les gens
d'église à porter une partie de ces charges : ils refusèrent
dabord, mais Coquillart fut chargé par la ville de traiter
cette affaire, et elle se termina de manière à satisfaire les
prétentions de chacun. En 1473, Reims perdait un digne
prélat, la France un bon citoyen, l'histoire un sage écri-
vain, Coquillart un noble protecteur, un sincère ami :
Jean Juvénal des Ursins mourut le 14 Juillet. Ce fut à
l'homme qu'il avait choisi comme son représentant devant
la commune et aux pieds de la justice, qu'il voulut lais*
ser encore le soin de faire exécuter ses dernières volontés.
Les marques d'estimes données par un mourant, sont sé-
rieuses et sincères. L'archevêque duc et pair de Reims ,
Juvénal des Ursins , allié à toutes les grandes familles de
France, avait choisi comme exécuteur testamentaire
l'humble praticien. C'était un honneur pour Coquillart.
Le 15 Juillet il se présenta devant le chapitre réuni dans
^ salle capitulaire, lui donna lecture du testament de
l'illustre défunt, et requit l'assemblée d'octroyer à l'ar-
chevêque la faveur d'être inhumé dans la cathédrale de
Reims, devant le grand autel, ainsi qu'il l'avait demandé.
Ce pieux désir fut satisfait.
Les chanoines s'étaient réunis pour procédera l'élection
d'un nouvel archevêque; déjà leur choix était fait, quand
Louis XI leur signifia qu'il daignait leur donner pour chef
Pierre de Laval : il les menaçait du poids de sa colère, s'ils
ne s'inclinaient devant son bon plaisir. Le chapitre se sou-
mit, mais après une énergique protestation : il allait
bientôt porter la peine de son indépendance. En 1474, les
Anglais menacent d'envahir la France: partout on relève
les vieux remparts; de tous côtés on court aux armes, le
roi nomme capitaine de Reims Raoul Cochinart, sieur de la
XV
Brosse, son maître d'hôtel et son échanson. A celle époque,
Coquillart était dans la force de l'âge : Pierre de Laval lui
avait confirmé les pouvoirs qu'il avait déjà reçusdeJu vénal
des Ursins. La considération dont il jouissait» allait toujours
croissant : au conseil de ville il siégeait toujours et comme
élu par ses concitoyens, et comme mandataire du prélat.
L'opinion publique le signalait comme un homme capable
et bon patriote. Cochinart fut obligé de le nommer Tun
des commissaires chargés de veiller aux fortifications de la
ville. £n 1475, l'armée d'Edouard IV remit le pied sur le
sol de la France; le péril devenait imminent; les travaux
marchaient avec un redoublement d'activité. Cochinart,
alors à Lyon, envoyait aux commissaires des ordres rigou-
reux et terribles. Bientôt il arrive à Reims; il avait reçu de
Louis XI des pouvoirs illimités et il en abusa sans scrupule.
Il oblige tous les citoyens à prendre la pioche : il met
la hotte sur le dos des moines, il attéle femmes , vieillards,
enfants à la brouette ; pour se procurer des pierres et des
matériaux il détruit les bâtiments inutiles qui se trouvaient
à Reims et aux environs: tout était pour le mieux, et jus-
que-là rigueur n'était que du zèle. Mais Cochinart et ses
commis comprirent bientôt le parti qu'ils pouvaient tirer
de leur mission. Us se mirent à exiger à Reims et dans les
villages voisins des sommes considérables, destinées, di-
saient-ils, à payer les ouvriers: ils se les partagèrent; ils
rançonnèrent le clergé séculier et régulier, et vendirent aii
poids de l'or l'exemption de la corvée. Les mécontents ne
furent pas épargnés : leurs dépouilles enrichissaient le
capitaine de Reims et ses complices. On s'en prit bientôt
aux propriétés des archevêques; Coquillart et tous les
ofiiders de Pierre de Laval les défendirent et résistèrent
aux dém^isseurs. Cependant le prélat s'était ému , et le
14 Juin 1477 il parvint à se faire donner le gouvernement
de la ville; déjà il réparait le mal fait par Cochinart; ses
commis allaient être condamnés comme concussionnai-
res quand il réussit à faire disgracier M. de Reims. Le
20 Juillet suivant, Regnault Doulcet, lieutenant du
bailli de Vermandois, se transporte à l'abbaye de Saint-
Denis, où se trouvaient réunis les officiers de l'arche-
vêque : là, au nom du roi, il est défendu à Pierre de
Laval de se dire lieutenant du roi à Reims. Le prélat
était absent, et ce fut à Guillaume Coquillart que fut faite
cette brutale notification : il fallut obéir, et Reims trembla
de nouveau. Cochinart s'était fait donner des pouvoirs
plus absolus que les précédents. Il revint à Reims à la tête
d'hommes d'armes qui lui sont dévoués : ses adversaires
sont violentés et rançonnés; on arrache à Coquillart son
XVI
linge de luxe et cinquante écus d'or ; on le précipite dans
de noirs cachots. Les exactions du voleur officiel n'ont
plus de bornes : il fait partir de Reims plusieurs chariots
pleins de meubles avec d'autres bons citoyens, et se fait
donner plus de 100,000 écus; onze mille à peine sont
employés au service du roi. Il oblige le chapitre à nom-
mer son fils curé de St-Jacques. Ses complices Hugues
Olivier, Pierre Tiret, Robinet et J. Parinet pillent les
habitants pour leur propre compte^ et à la face de la po-
pulation consternée, ils dépensent en honteuses débauches
le produit de leurs rapines et de leurs violences. Gocbinart
ne put jouer longtemps ce rôle tyrannique, le peuple s'in-
digna et ses murmures obligèrent le capitaine à remettre
les prisonniers en liberté. Tant que Louis XI vécut, il
protégea son mandataire contre les plaintes de Pierre de
Laval et des Rémois; ce ne fut que sous Charles VIII que
la réaction eut lieu et que justice fut faite.
Coquillart ne pouvait plus garder le silence : pillé ,
maltraité, traîné en prison comme un malfaiteur, il avait
une revanche à prendre : il la prit. Sous la force brutale
son corps avait plié, mais son âme était restée debout , et
l'homme de lettré allait punir l'injure faite au citoyen.
Son œuvre devait survivre aux circonstances qui l'inspi-
rèrent et traverser les âges : de siècle en siècle les gens
de cœur répétèrent avec le poète : Mépris aux ministres
des rois qui spéculent sur leur pouvoirs, vendent leurs
faveurs et s'enrichissent des deniers du pauvre, honte
aux gouvernements qui savent toutes ces infamies et ne
les répriment pas.
C'est en 1478 que Coquillart ouvrit la campagne : il ne
devait la terminer qu'à la mort de Louis XI. Il écrivit
d'abord le plaidoyer d'entre la Simple et la Rusée et l'en-
quête qui suivait le procès. La date de 1478 se trouve
dans la seconde de ces pièces. Deux jeunes femmes sont
épiises du même galant : on l'appelle le Mignon. L'une
d'elles, la Simple est son nom, l'aima la première. Mais la
Rusée, parisienne, aimable et entreprenante, lui a dérobé
le cœur de son bel ami et l'a troublée dans sa paisible pos-
session. Le procès s'engage et l'on plaide au posseisoire.
Le poète attaque directement les abus de la procédure
suivie de son temps, la vénalité des avocats, qui, pour de
l'argent, plaident toutes les causes; la cupidité des magis-
trats qui, pour avoir de belles et nombreuses épices, sa
prêtent à tous les incidents, inventés par la chicane. Il
peint à grands traits les mœurs relâchées de son siècle et
couvre de ridicule les scandaleux procès soutenus par
gens d'église, qui se disputaient les bénéfices donnés aux
XVlj
uns par rautorité régulière, aax autres par la cour de
Rome ou celle de France. Cesdébats étaient fréquents alors,
et le poète parodie les moyens qu'on plaidait de part et
d'autres. Le tribunal déclare les parties contraires en fait et
ordonne l'enquête. Ici l'épigramme prend un caractère plus
net : sa voix est plus accentuée; ses traits vont droit au bi)t
et frappent à coup sûr. L'auteur continue d'abord à rire
des procès entamés au sujet des bénéfices, et des combats
que se livraient le possessoire et le pétitoire. Il s'amuse
à mettre aux prises, suivant l'usage du temps, le droit
romain et le droit canon. Goquillart, après avoir raillé les
magistrats qui ont rendu le jugement, traite aussi mal
ceux qui ont entendu les témoins : par exemple il place
parmi eux maistre Regnault Prendtout: c'est ainsi qu'il
désigne peut-être ce Regnault Doulcet, qui remit Gochi-
nart en fonctions. £nfin , on lit l'enquête : parmi les
surnoms dérisoires et les qualifications ironiques dont le
poète écrase les témoins, la satyre sérieuse a pris place : elle
fait comparaître tour à tour le soldat voleur et vagabond, la
femme galante, la religieuse débauchée, le prêtre sans
mœurs, l'agent du fisc avide et concussionnaire, et l'offi-
cier ministériel incapable et indigne de son rang. Le haut
clergé n'est pas épargné : les agents de Cochinart et ceux
qui les imitaient sont signalés par des sobriquets inju-
rieux. Les détails de mœurs abondent dans cette pièce :
les allusions railleuses s'y enchaînent. Au milieu de cette
pluie de sarcasmes l'intention du poète se devine sans
peine : parfois la prudence la voile : souvent elle apparaît
nue comme la vérité.
Goquillart critiquait les abus pour en provoquer la ré-
forme; il flagellait les mœurs pour les rendre meilleures.
Afin d'atteindre son but, il ne suffisait pas qu'ileût raison :
il fallait qu'il fût populaire. C'était à l'homme de lettres
à faire écouter le sage : aussi dut-il avant tout consulter
le goût du public. Comme il le dit luî>même, il cherchait
les mots nouveaux, c'est-à-dire les expressions à la mode;
qu'est-il arrivé de là? c'est que son style est parfois en
avance sur celui de son époque, parfois il est inintelligible.
Le temps ne ratifie pas toujours les caprices d'une matinée;
une locution a du succès, parce qu'elle contient une allusion
maligne. Elle fut une plaisanterie de bon aloi ; mais le fait
qu'elle concernait s'oublie, et elle devient sans valeur. Tel
fut le sort de quelques-uns des mots nouveaux adoptés par
le poète. Mais aussi que d'expressions heureuses choisies
par lui sont restées dans la langue populaire ! Les unes
sont devenues proverbes , les autres servent encore d'armes
légères à là plaisanterie. Les termes qui font image et ren-
2
• • •
;viij
dent une idée avec originalité^ grâee ou chaleur, sont
toujours les meilleurs; la foule les saisit, le peuple les in-
scrit dans son dictionnaire. Dans les poésies de Coquillart,
ils sont sans nombre. ^Le public alors aimait les jeux de
mots; s'ils le faisaient rire, il leur pardonnait leur licence
et leur audace» On ne rougissait pas d'entendre donner à
chaque chose son nom, si la brutalité du style amenait une
image plaisante, une allusion comique. Notre poète dutsa-
crifier aux travers de son temps le bon goût et la décence :
sansdoute il eût pu suivre l'exemple de Martial d'Auvergne,
son contemporain et son confrère, cet auteur à l'âme si
tendre à l'esprit si délicat, liais Goquillart n'écrivait pas
pour les gens de cour qu'il méprisait et qu'il livrait à la
risée publique. Il travaillait pour la nation, il futcontraint
de s'incliner devant elle. Si c'est un tort aux yeux des
muses, il faut convenir qu'il n'est pas inexcusable. Heu-
reux qui peut préparer des réformes politiques avec des
calembourgs, et corriger les mœurs à coups d'équivo-
ques : séduire la foule en la faisant rire ne sera jamais
un crime. Au surplus, le poète pouvait invoquer pQur
sa défense des exemples notables. L'abus des jeux de
mots était poussé si loin, qu'on en trouvait même dans
les actes sérieux, dans les ordonnances royales : les
termes grossiers, les locutions graveleuses qu'on n'aime
pas à voir dans Goquillart, et qu'on y rencontre trop
souvent, se lisent dans les lettres de la chancellerie,
dans les arrêts des parlements, dans les règlements de
police. Poètes et prosateurs en usent sans scrupule;
l'éloquence de la chaire s'en empare, et les sermons
de Michel Menot et d'Olivier Maillard, ces deux hardis
prédicateurs, laissent à cet égard bien loin derrière eux
le railleur champenois. Il fallait que le style eût alors
des allures bien franches, pour que devant toute la cour
de Charles YIII Goquillart fit des plaisanteries qui bles-
seraient aujourd'hui tes auditeurs les moins sévères. Avec
plus de sagesse et de pureté, Goquillart aurait laissé une
mémoire plus classique : l'académie française aurait
peut^ire daigné feuilleter ses œuvres. Mais il eût été moins
populaire, on ne l'aurait ni compris ni même écouté:
chez lui le fond aurait péri sous la forme. La verte licence
de son langage donne à son style une tournure dégagée et
sans façon qui plait à l'esprit. Ghez lui pas de périphrases
hypocrites, pas de circonlocutions rampantes et endor-
mies ; tout est clair , ou tout devait l'être. Mais oserait-on
aujourd'hui reprocher à l'auteur quelques obscurités que
ses œuvres présentent. On ne peut consulter ses manus-
crits : ils n^existent plus. Les premières éditions de ses
poésies caustiques sont pleines de fautes roatérièlles. La
prudence de Téditeur n Vt-ella maintes fois mis un Toile
sur la lumière trop vive» et émoussé le trait trop aigu? Au-
cun contemporain n'a commenté les œuvres de Coquillart*
La génération qui suivit la sienne les comprenait et ne
chercha pas à les éclaircir. Elles n'opt pas eu le bonheur ,
comme celles de Villon, de trouver un éditeur dans Jean
Maroty ni comme celles de Rabelais d'ère étudiées et illus*
trées de siècle en siècle. C'est un malheur, et nous pou*
vous le reprocher à la littérature des XYl* et XVIl^ siècles.
Un travail fait en temps utile nous eût révélé mille
détails de mœurs, mille allusions politiques aujourd'hui
inintelligibles. Il eût doublé l'intérêt du Plaidoyer et de
l' Enquête f et la valeur historique de la satyre des Droite
Nouveaux qui les suivit de près.
Louis XI s'était fait vieux; il devenait de plus en plus
jaloux de son pouvoir et écoutait les projets de réforme qui
devaient le consolider, t Depuis longtemps, dit Ph. de
Commines, il avait à contre-cœur plusieurs choses dont il
haïssait son parlement de Paris* » Ce corps célèbre avait
pris une position indépendante, s'érigeait parfois en assem-
blée nationale, rendait des édits et contrôlait les actes du
gouvernement. Pour mettre un terme à cet état de choses, le
roi voulut soumettre à la même organisation les tribunaux
de toute la France, faire rendre la justice en son nom et Im-
poser à toutes lesprovinces un seul et même codeémanéde
sa toute puissance. L'entreprise était grande, Charles Yll
en avait eu l'idée, et de temps à autre les états généraux
Féclamaieni sa mise à exécution. £n 1479, pour y parve-
nir, le roî décida que d'abord on constaterait l'état de la
législation sur tous les points du royaume. En f 481 il or-
donna que les coutumes, usages, stiles et communes ob-
servances de chaque baillage seraient rédigés par écrit.
Le 17 août, le bailli de Vermandois reçut l'ordre de nom-
merles commissaires à qui serait confiée cette importante
besongoe. Le 10 octobre suivant, Coquillart faisait partie
des quatre jurisconsultes que l'on chargea de cette intéres-
sante collaboration. Le praticien se mit à l'œuvre : bientôt
ce long travail fut adressé au bailli de Vermandois et envoyé
par lui au grand conseil de sa majesté. Révisé en 1507 , il
i^sta manuscrit jusqu'en 1555, et fut imprimé peu de temps
avant d'être retouché pour la seconde fois.
La rédaction des coutumes de France conduisait non
seulement à l'unité de la législation, mais elle avait pour
résultat immédiat la substitution d'un texte de lois précises
à rafbitrairedesjuges, aux capricesde leur mémoire, àl'in-
ceniti/KJe de$ preuves par témoins. Elle permettait de fixer
XX
un grand nombre de points douteux, de réformer lesabaf
delà procédure, et de remplacer perdes principes puisés
dans les lois anciennes et approuvés par la paison et l'ex-
périence, les traditions singulières et barbares, consacrées
par la routine. Le roi, dans son intérêt, rendait à ses
sujets un service réel. Cette réforme avait ému toutes les
classes; elle en faisait espérer d'autres : le nouveau code
était un sujet de conversation à Tordre du jour. GoqulUart
saisit avec ardeur cette occasion de livrer aux vices et
aux scandales publics un nouvel assaut. Vous voulez saioir
ce que sont les Droits nouveaux y s'écria-t-il un jour! je
vais vous les lire, vous les expliquer. 11 monte en chaire,
liais avant d'aller plus loin, il est temps d'apprendre au
lecteur ce que l'auteur était devenu. En 1474 , CoqutUart
prenait le titre de licencié en droit; procureur de l'arche-
vêque, il plaidait aussi comme avocat devant les autres
tribunaux de la ville; il était ce qu'on appelait praticien en
court laye. Plus tard il avait pris un nouveau grade :'on
l'avait reçu docteur en décret; il avait fait des éludes en
théologie et il avait fini par entrer dans les ordres. Quels
motifs l'arrachèrent au monde pour se jeter dans la carrière
ecclésiastique? nous l'ignorons; mais voici ce qui advint.
Le chapitre de Reims était seigneur d'une partie de la ville;
il donnait à ses membres des hôtels et d'honorables re-
venus. Dans le monde il élait célèbre par son érudition, et
le grand nombre de cardinaux et de prélats sortis de son
sein. Pour être nommé archevêque de lieims, il fallait
avoir fait partie du chapitre : aussi les grandes familles de
France avaient-elles de tout temps recherché pour leur fils
les prébendes de Notre-Dame. Plus d'un prince du sang
avait obtenu cet honneur. On ne se laissait pas toujours
éblouir par l'éclat des écussons, et si le chapitre accueil-
lait parfois l'aristocratie de naissance, il y appelait souvent
aussi celle du mérite et du savoir; c'est ainsi qu'il savait dé-
fendre son indépendance et augmenter la considération
dont il jouissait. £n 1482, la 57** prébende vint à vaquer;
Pierre de Laval et son chapitre la donnèrent à Coquillart;
mais, nous l'avons dit, les collations régulières n'avaient
plus de valeur. Le poète devait être aussi victime des abus
de son siècle, et se trouver réduit à lutter contre les pro-
tégés de la cour de Rome. Un nommé Jaques Quentinet fait
signifier à Coquillart qu'il ait à renoncer au titre que lui
donnait le collateur ordinaire; à l'appui de ce comman-
dement il exhibe les bulles de grâce expectative qui lui
confèrent préventivement le canon Icat vacant. La lutte s'en-
gage au possessoire comme au pétitoire. Quentinet s'aperçut
des difiicultés qu'il aurait ai vaincre : repoussé par le clergé»
XXI
mal vu de la population, il se lira d'affaire en homme d'es-
prit et de bon goût, et se laissa passer de vie à trépas
naturellement et sans effort. Cet à propos lui valut sans
doute quelques regrets.
Le 21 Avril 1483 donc, messire Guillaume Coquillart
s'assit dans sa sialle de chanoine, et dès lors il recul et goûta
paisiblement les fruits de sa prébende : c'était alors Coquil-
lart le vieux (senior). D'autres hommes de son nom, des fils
peut-être, ou des neveux entraient dans le monde. Le vieil-
lard se retirait pour leur faire place. Il avait vécu en hom-
me d'honneur, aussi s'en allait-il pauvre : et si, dans ses
derniers jours, il avait trouvé l'aisance et une noble retraite,
il les (levait à l'estime du clergé rémois, à l'affection de ses
^concitoyens. L'archevêque lui laissa le titre et les fonctions
de son procureur, et les Rémois continuèrentà l'appeler au
conseil de la ville. 11 était chanoine quand 11 écrivit les Droits
Nouveaux : aussi dès le début fait-il connaître sa nouvelle
dignité: il annonce qu'il va mettre sa toque de docteur et
sa chape d'honneur. Les dignités ne l'avaient pas changé,
et sous les soieries et les dentelles de l'homme d'église com-
me sous la bure du praticien , nous trouvons toujours le
frondeur. Hais s'il revêt le costume du prêtre, il a grand
soin de ne pas profaner par des plaisanteries indécentes le
style ecclésiastique. C'est toujours au langage du barreau
qu'il fait ses emprunts, ses allusions. 11 ne prêche pas, il
fait un cours de législation. Ce n'est pas le chanoine qui mé-
dit de son prochain : c'est l'avocat qui flagelle la société. Le
cadre éea Droits Nouveaux est large : il y a place pour tous :
Roi, pape, grands dignitaires de l'état et de l'église, moines
et gens d'armes, députésol femmes galantes vonts'y trouver
' peints. Parfois l'artiste est prudent : sur quelques coups de
pinceaux trop audacieux il jette un nuage prolecteur.
Amour et coquetterie, luxe et débauches sont ses adver-
saires avoués : il les attaque franchement. Bourgeoises et
fillettes, damoiseiles et femmes du peuple subissent le feu
de plus de deux mille vers. Galanterie, vanité, amourette
de cœur, luxure brutale leur sont reprochées sans pitié.
11 fait aussi la. guerre à la frivolité, des jeunes gens de son
temps, à leur toilette ruineuse et surtout à leur lougue che-
velure. Le poète revient cent fois à la charge, cent fois il
change la forme de ses traits, mais ils vont au même but.
Puis quand le combat est engagé, il profite du trouble de la
mêlée pour commencer son assaut politique. Toutes les co-
lères de Coquillart se font jour. Le volcan éclate, et cette
société qui brille^ règne et domine, expie sous le fouet de
la satyre ses faiblesses et ses infamies. L'auteur frappe à
XXIJ
coups redoublés sur le veau d*or, cette idole si vieille et tou-
jours jeune^ toujours debout, toujours encensée. Il ditcom-
ment cette puissance infernale saisit, garrotte et précipite
dans le gouffre du deshonneur probité de négociant, vertu
civique, bonnesmœursde la famille, respect des lois, patrio-
tisme et principes religieux. C'est pour avoir de l'or que
Rome a sollibité la réi ocation de la pragmatique; c'est pour
avoir de l'or qu'elle vend les bénéfices, lesdispenseset toutes
ses faveurs. Pour del'argenl l'Université oublie ses devoirs,
le prêtre sa dignité, le souverain pontife sa haute mission.
Appuyée sur des sacs d'écus, la monarchie brave les plaintes
du peuple et les clameurs de ses chefs. Elle attend de pied
ferme les attaques des états généraux. Sous sa pluie de col«
tiers, de places, de pensions, les batteries hostiles s'étei-
gnent : devant des arguments à la voix argentine et bien
trébuchants, les plus farouches adversaires se convertissent
en danseurs souples et lestes : sa majesté tient les ficelles
et fatt manœuvrer les marionnettes. Que de pirouettes !
que de sauts ! il y a foule sur la corde des voltigeurs; rois
et danseurs s'entendent rapidement. La salle des séances de-
vient un lieu de trafic : les députés se font marchands ,
courtiers en denrées. Pensions, toques de magistrats,
riches abbayes, gras prieurés, privilèges commerciaux,
monopole d'industrie, mitres épiscopales, riches maria-
ges, dispenses de Rome, dignités ecclésiastiques, places
de cour, lettres de noblesse, dotations en terre leur sont
partagés. Aussi sont'-ils parfaitement satisfaits, ces loyaux
députés ! qu'ils sont doux et complaisants : ils vont où
l'on veut, s'habillent comme on veut, parlent français ou
latin, chantent ou se taisent, courent à la messe où à la
guerre. Le poète les affuble d'une galvardine, pardessus
flottant, aux manches larges en forme dé sac et garni de
poche, costume symbolique qui dénote à ses yeux le vray
estât de marchandise. Avec de pareils moyens des minis-
tres gouvernent avec impunité. Leur impudence peut en-
tasser mensonges sur parjures, perfidies sur lâchetés. En
achetant des amis et des approbateurs, on meurt au milieu
des honneurs, on blanchit dans les affaires. Eu vendant sa
conscience on a des hôtels et des titres, on assure son
avenir et celui des siens. Mais on a joué le peuple, on a ri
de ses plaintes, on a foulé sous ses pieds le faible et le
pauvre. On irrite la moitié de la nation après avoir volé
l'autre. Aux gens de cœur on a substitué les gens d'affaires.
Le vieil honneur national a péri sous les serres de l'égoîs-
me et de la cupidité. La foi politique, les affections tradi-
tionnelles hésitent et s'éteignent. Les esprits s'interrogent :
•• »
XXUJ
le doute parle, la raison prêle l'oreille : puis un jour Tes-
prit de réforme perce (i), élève la voix et prépare des
révolutions. Les mauvaises passions s'arment : Tordre
social est ébranlé; les factions déchirent la patrie, et le
peuple demandé des comptes sévères à ceux qui ont sali
le passé et compromis l'avenir. — Ceci s'adresse au feu
roi Louis XI et aux députés de 1468 et de t470 : qu'ils
reposent en paix.
Toutes ces poésies ne furent imprimées que sept ou huit
ans après la mort du roi : mais avant, elles circulaient, et
bardi'fut l'auteur qui les écrivit. 11 eut peu d'imitateurs;
citoyen obscur, il ne pouvait défendre le peuple : il le
vengea. Le nom des La Balue, des Tristan et autres suppôts
de Louis XI est aujourd'hui flétri d'une marque indéléliile.
Et après quatre siècles on répète encore l'anathême du poô*
te : honte à qui marchande la conscience d'autrui ! honte
à qui vend son âme et son honneur !
A peu près à la même époque (2) Goquillart écrivait une
autre satyre. Son Monologuedu Gendarme casséesi un drame
à un seul personnage. Un homme d'armes s'est fait chasser
de sacompagnieparson inconduite; misérable à son tour^ il
assemble ses camarades et leur conGe ses regrets et ses dé-
sirs. Cette première partie de la pièce est un tableau mor-
dant des mœurs de la soldatesque. Leurs fantaisies désor-
données, leurs vices et leurs violences y sont signalés. Au
milieu de ces récits de débauches il est un trait qui rejaillit
au pied du trône (5). Enûn le gendarme, désespéré de voir
ses beaux jours finis, s'en prend à la société, qu'il déchire
cruellement. Les moines sont livrés à la risée publique :
Coquillart flattait ainsi la jalousie du clergé séculier contre
le clergé régulier , et signalait en même temps des scanda-
les trop réels : puis il prend à partie non plus les hautes
classes sociales, mais la geni ouvrière. Homme de con-
(1) Tola reani summa ad status advenit, nec eis est suppli-
catione ulenaum nui fro modo. — Regnum dignitas est, non
hereditas. — Ad utilttatem euam sîbi quUque fopulus rec-
tores eligebat. — Nonne crebro legistis rempuolicam, rem
populi esse. — Et imprimis vobis probatum esse velim rem
publicam rem populi esse , et regibus ab eo traditam^ eosque
qui vi vel aliàs, nullo populi consensu, eam habuere , tyran-
nos crudeles et cUienœ rei invasores. — Discours de Ph. Pot,
S' de la Roche, dépaté de Bourgogne aux états-généraux de 1484,
mort eo 1494. — Procès-verbal des états de 1484^ publié par
les ordres de M. de Salvandy.
(2) 1473 - 1493. — V. au Glossaire le mot Briol
(3) V. au Glossaire le mot Mente.
xxiv
science, il lui dit des vérités dures mais sages: pour être
utile au peuple , il ne craint pas de risquer sa popularité.
Les ouvriers de son temps dépensaienten folles débauches,
en toilettes ridicules le fruit de leur travail. Une journée
dévorait le gain d'une semaine : il tourna en ridicule ces
désastreuses folies : derrière elles il montre la misère qui
s'avance et leur succède rapidement. Cette tirade satyrique
n'est pas celle qui fait le moins d'honneur au poète. Ce
n'était pas un homme à railler les artisans pour plaire à
la cour, à flétrir les grands du monde pour flatter les gens
de journée. Apôtre de la vérité, il ose la dire à tous. Sa
franchise faisait sa force. Ce n'était ni le factieux, ni
l'écrivain gagé par un parti qu'on écoutait: il s'érigeait
• en censeur: il devait rester impartial, il le fut. Le courage
plaît à tous, et le poète qui n'avait ménagé personne, ne
cessa pas de jouir de l'estime générale.
Coquillart n'était pas toujours aussi sévère, et ce n'était
pas dans le fiel qu*il trempait sa plume toutes les fois qu'il
en usait. Deux de ses petits poèmes ne renferment que des
malices innocentes et des railleries sans amertume. I*ious
voulons parler des Monologues du Puy et de la Botte de
Foing; la date de leur composition est difficile è fixer : on
n'y trouve pas d'allusions historiques très-précises : sans
doute on pourrait conduire le lecteur dans un labyrinthe
d'hypothèses, mais comme le fil qui devrait l'aider à en
sortir n'est pas trouvé, nous abandonnerons la question
à sa sagacité. Ces deux contes furent faits pour être récités
dans de joyeuses et jeunes assemblées. Le narrt^teur se
donne pour le héros des aventures dont il entretient le pu-
blic. Il devait joindre à la parole les gestes^ le jeu et le
oostume de son rôle. Coquillart sans doute joua lui-même
ces petites parades. L'une d'elles, le Monologue de la Botte
de Foing, fut longtemps connu sous le nom de Monologue
Coquillart, C'est sous ce titre qu'elle fut impiimée pour
la première fois. Il prouve Ja diversité des talents du poète
qui savait être auteur et acteur, et le renom dont il
jouissait À cette époque. Le sujet de ces deux opuscules
est le même. Dans l'un comme dans l'autre, un galant ob-
tient un rendez-vous d'amour chez une femme mariée. 11
y court; mais le mari revient à l'improviste : où fuir?
Dans l'un des Monologues, le galant se cache dans un
grenier plein de foin , et finit par se sauver. Dans l'autre il
se précipite dans un puits. Il en sort miraculeusement.
Mais le guet le prend pour un voleur et leconduiten prison :
tous deux racontent au public leurs mésaventures. Comme
on le voit, on rit depuis longtemps des petits malheurs du
bonheur. Dans ces réeitS; le poète n'a pas cherché le scan-
XÎV
dale : les deux Lowelace ne sont ni des ministres, ni des
pairs de France. Ce son^ simplement deux étourdis^ deux
élégants à la mode. Quoique de pareils sujets n'aient rien
de gravé, il est évident que le poète n'a pas seulement
voulu mettre en vers deux anecdotes scandaleuses. Ce
qu'il peint avec une spirituelle ironie, ce sont les mœurs de
son temps, faciles et dissolues; c'est l'insouciance et la
frivolité des jeunes hommes du siècle. Aubades, chan-
sons, bals, toilette^ galante cavalcade , caquets et propos
d'amour, faisaient le fond de leur vie : ce sont là les ri-
dicules que le poète montre au doigt. Philippe de Gom-
mines critique aussi en prose sérieuse la nullité de la
jeunesse du XV" siècle, le vide de son existence, son
ignorance et sa fatuité. Honstrelet, les prédicateurs Menot
et Maillard, blâment les mêmes ridicules, les mêmes tra-
vers. Mais notre poète n'a pas voulu faire un sermon;
avant de quitter la scène, il provoque flûtes et tambourins,
et donne le signal de la danse.
Dans toutes ces poésies sérieuses ou légères nous re-
trouvons le s^le du poète, avec ses qualités et ses dé-
fauts, ses malices et ses équivoques. S'il eut le tort de se
laisser aller au torrent du mauvais goût, il paya cher ce
manque de tact. Son nom fut ridiculisé par Rabelais.
Clément Marot, à l'entrée de sa carrière, alors que le vieux
satyrique terminait la sienne, lui fit une épitaphe rail-
leuse; elle n'est qu'une suite de jeux de mots (1). L'in-
scription gravée sur la tombe de Coquillart a péri.
L'épigramme tumulaire a survécu : le nom de son auteur
la sauve de l'oubli. Dans ce monde chaque faute a sa
(1) Coquillart avait fait des mots coquin et coquard les syno-
nymes de cocu ; il prononçait coquin , coquard. — Rabelais dit
dans le même sens Coquillart. — Voici Tépitaphe composée par
Marot :
La morte est jen pire qii*an;c quilles
19e qu*aux escliets ne qu'au quiilart.
A ce meschant jen Coquillart
Perdit sa rie et ses coquiUes.
La morre était un jeu de cartes , et le quiilart un jeu de quilles.
La morre est là pour la mort — Le poète , de chanoine était
devenu noble , et avait pris des armes parlantes , il portait d'azur
au chevron d'or, à trois coquilles de même, deui chef une en
pointe. — Marot avait trop de goût pour n'avoir vu dans Coquil-
lart que des équivoques futiles. Dans une autre pièce il cite notre
auteur comme Tbonneur de la Champagne et une des notabi-
lités littéraires du XY*' siècle.
XXVI
peine. Celle que subit le poète est cruelle; elle ne finira
qu'au jour où le gouffre de l'oubli engloutira ses œuvres
et celles de C. Marot.
• Coquillart n'était pas un homme d'opposition systéma-
tique, et en 1482 il avait chanté la paix conclue par
Louis XI avec l'empire d'Autriche. D'autres événements
allaient lui rendre parole, le lancer encore une fois dans
l'arène, et le rapprocher de cette cour où sa jeunesse
avait perdu toutes ses illusions.
Louis XI était mort. Les communes relevaient la tête,
la noblesse et le clergé secouaient le joug qui depuis
SO ans pesait sur eux. Anne de Beaujeu, régente de
France, convoqua les états généraux à Tours. Les séances
furent orageuses. La souveraineté du peuple y fut procla-
mée; on posa en principe que la nation avait le droit de
déposer les monarques qui abusaient de leur pouvoir. Les
factieux prolitèrent de cette réaction pour fomenter des
troubles. Coquillart eut le plaisir de voir les députés si-
gnaler tous les abus qu'il avait ridiculisés. Les Doléances
des états et le discours qui les résuma, renferment toutes
les accusations du satyrique : c'était un succès pour son
amour-propre; mais il ne lui tourna pas la tête. Toujours
impartial et bon citoyen, avide de sages réformes, mais
ennemi de folles révolutions, il donna dans quatre bal-
lades de bons conseils aux différents partis qui menaçaient
de diviser la France. La prudence d'Anne de Beaujeu , la
fermeté des états parvinrent pour le moment à conjurer l'o-
rage, et Charles Yl II partit pour aller se fai re sacrer à Keims.
Il y arriva le 29 Mai 1484. Une jeune fille lui présenta les
clefs de la ville et récita quelques vers de circonstance,
composés par notre auteur. L'estime de ses concitoyens
lui réservait un honneur plus grand. Quand le prince ar-
riva devant la porte de la cathédrale, il fut reçu par
l'archevêque et tout son clergé : décote, s'élevait une
estrade richement décorée; elle portait Coquillart. C'est là
(qu'il récita son Blason des Armes et des Dames, Pour la
soixante-deuxième fois, il voyait revenir l'hirondelle et les
neiges fuir devant leà roses. Mais le cœur du vieux chanoine
était encore brûlant de patriotisme, riche d'indépendance
et déjeunes souvenirs; à sa verte franchise, l'âge n'avait
rien enlevé. Son début fut hardi : c'était le résumé des
rêves de sa vie. Il regarde en face les courtisans, les fa-
voris de Plutus, les enfants gâtés du sort; il les voit cou-
verts de broderies , émaillés de croix et de colliers. Moi ,
s'écrie-t-il, je ne suis qu'un pauvre homme de lettres : la
fortune a trahi mon courage, mais je suis riche d'honneur
et je méprise la cour. Après cette audacieuse sortie, le poète
XXVIJ
songe à son principal auditeur, il devine ce qui se passe
dans cette jeune âme, et pour lui plaire il chante la gloire
et l'amour.
Cette fois le praticien se tait, c'est Guillaume GoquiU
lart le jeune qui parle. Il a reconquis toutes les croyances
de ses beaux jours : son regard brille; son cœur bat; sa
voix s'anime. Ecoutez : entendez-vous le rude cliquetis
des armes et le doux bruit des baisers; ici les chnnts da
victoire, là les tendres soupirs. Le poète laisse échapper
le cri qui frappa son enfance : haine à l'Anglais, haine à
l'étranger : il oublie les perfidies de l'amour, et du doigt
il montre à Charles VllI un chemin semé de fleurs et de
roses.
La France entière connaissait le rêve de son jeune mo-
narque. La gloire des conquêtes était la seule qu'il com-
prît. Déjà d'imprudents amis lui peignaient le royaume de
Naples comme son patrimoine, et le poussaient à passer les
monts. Coquillart avait flatté la passion de son cœur:
mikis en homme prudent, en sujet fidèle, il avait voulu le
préparer à recevoir on sage avis ; après avoir célébré les
armes et les dames, il finit par dire : s'il est glorieux de
combattre et de vaincre, c'est surtout quand on défend
son pays, ses autels et sa liberté. Charles VIII oublia les
derniers vers du poète, et bientôt il commença cette
guerre d'Italie, qui devait coûter à la France tant
d'hommes et tant d'écus.
Coquillart avançait en âge, mais son activité ne vieil-
lissait pas, ses travaux littéraires ne nuisaient en rien
aux diverses fonctions qu'il avait à remplir. Charles VIII
avait ordonné une levée de gens de pied en Champagne
et en Picardie. Le bailli de Vermandois fil connaître à la
ville de Reims le coniingeot qu'on exigeait d'elle : la com-
mune réclame, elle envoie deux députés à Laon : ils sont
porteurs d'un mémoire; il était rédigé par Coquillart. On
lui avait confié le soin d'exposer les réclamatiqns de ses
concitoyens (1486 - 1487).
A la même époque, des difficultés assez graves s'éle-
vèrent entre Tarcbevêqueet la ville. Le gardien d'une des
portes de Reims avait été battu, les malfaiteurs furent
arrêtés » poursuivis et condamnés devant les magistrats
municipaux. Pierre de Laval intervient, il réclame les
coupables et les traduit devant son bailliage. Comme sei-
gneur de Reims , jouissant des droits de hante justice, il
se prétendait seul juge compétent de tous les méfaits
commis intrà-muros. Cette question avait une grande
importance. La ville reconnaissait la suzeraineté du pré-
lat, mais elle lui refusait la seigneurie des portes , le droit
xxvuj
de les garder et d*y faire la police : elle ne remeitaii ses
clefs qu'au roi. Encore entendait-elle qu'elles lui seraient
rendues. Alors, l'amour des rémois pour leurs lihertés
était grand. Elles constituaient la fortune et la noblesse du
pauvre, la puissance de la bourgeoisie, Tindépendance
delà noblesse locale. Aussi, le lieutenant des habitants
protesta-t-il en plein conseil, au nom de la commune,
contre cet empiétement judiciaire. Coquillart était pré-
sent, il dut soutenir les droits de son mandataire, et il
appela au parlement de la protestation de \n ville.
Les archevêques de Reims avaient érigé de nombreux
offices en fief, leurs titulaires avaient des droits seigneu-
riaux : les uns étaient honorifiques, les autres donnaient
lieu à des perceptions de différents genres. Au nombre de
ces titres féodaux étaient celui de panetier de Reims.
Pendant les XIV* et XV* siècles, les boulangers et les
pâtissiers ne cessèrent de secouer le joug et de lutter con-
tre les prétentions de cet oflicier. Dans' chaque procès,
l'archevêque intervenait pour prendre le fait et cause de
son vassal. En i486 et 1487, l'affaire fut portée au par-
lement de Paris; Coquillart figure dans la procédure, et
c'est sans doute à sa plume que l'on doit les mémoires
adressés à la cour par l'archevêque (1).
Ces luttes, soutenues contre la commune et ses habi-
tants, n'enlevaient à Coquillart ni l'estime, ni l'affection
publique : on respectait ses lumières, et on rendait jus-
tice à son esprit impartial et conciliant. Dans, les procès-
verbaux de cette époque, on l'appelle toujours honorable
homme et sage maislre Guillaume Coquillart. Lorsqu'en
i486 Haximilien voulut essayer de reconquérir l'héritage
de la maison de Bourgogne , Reims se mit sous les armes,
notre poète fut Tun des douze commissaires chargés de
veiller à la défense de la cité : le clergé lui confia le soin
de le protéger contre les exactions des hommes d'armes.
En 1487, le chapitre de Reims lu4 donnait une preuve
d'estime, en le nommant chanoine de Sainte-Balsa mie.
On nommait ainsi une église collégiale, sise non loin de
la célèbre basilique de Saint-Nicaise. Les prébendes, au
nombre de douze, étaient à la collation du chapitre.
Bâtie dans un quartier couvert de couvents, de chapelles
et d'églises, celle de Sainte-Balsamie était pauvre. Ses
prébendes, sans importance financière, étaient à peu
(1) V. Archives de Reims, 2* partie, i**' vol., page 370.
M* Pierre Varin.
près bonoriûques; aussi personne ne songeait à disputer
au chapitre ses droits de collateur ordinaire.
Cependant la guerre continuait; Tennemî menaçait
d'entrer en Champagne; les cultivateurs fuyaient de tous
côtés et se jetaient dans Reims. On nomme un conseil de
guerre pour établir le bon ordre, visiter les fortiGcations
et les mettre sur un bon pied. On eut encore recours à
Texpérience et au patriotisme de Coquillart^ et le poète fut
du nombre des élus sur le fait de )a guerre. Au mo-
ment du danger on compte ses forces, et Reims constata,
non sans douleur, que la population était diminuée. Une
commission fut chargée de remédier à un mal aussi sé-
rieux : Coquillart en fît partie, ce fut lui peut-être qui
rédigea la requête présentée au roi : 1488. — En 1 400, Pb.
de Croy, gouverneur de la ville, est obligé de s'ab-
senter précipitamment ; il écrit à la commune une lettre
d'excuse, et il ne nomme que trois personnes dans l'a-
dresse : le lieutenant des habitants, celui du bailli de
Yermandoiset Guillaume Coquillart; ce fait prouve la con-
sidération dont celui-ci jouissait. La suscription de la
lettre ne lui donne pas de titre, c'est au citoyen qu'elle
s'adresse: son mérite le plaçait à la tête de la commune.
L'archevêque avait aussi voulu récompenser les ser-
vices de Coquillart, il l'avait nommé oflicial. En cette
qualité, il était à la tête du tribunal ecclésiastique. Le clergé
du diocèse métropolitain relevait de son tribunal. A quelle
époque fut-il promu à ces importantes fonctions? nous
l'ignorons, mais il est certain qu'il les a remplies. Le
chanoine Weyen, auteur d'un grand travail sur les ca-
nonicals de Reims, a lu l'épitaphe de Coquillart, et il
constate,, dans le résumé qu'il nous a transmis^ que
parmi ses titres se trouve celui d'official. 11 en était in-
vesti quand parut la première édition de ses œuvres. Ce
fut vers 1491 (1) qu'elles furent livrées à l'impression.
De tous les événements de la vie du poète, celui-ci ne
fut pas le moindre. L'opinion publique allait enfin le
juger comme homme de lettres, et ses poésies se mettaient
en marche sur la grande route de la postérité. Cette fois le
Monologue duPuys et celui du Gendarme cassé ne furent pas
édités : ils n'ont vu le jour qu'en 1525 > longtemps après
(i) V. Notice sur les édiliom de Coquillarl, en tète du second
volume — La date de cette édition peut être discutée ; mais on
remarquera que dans celles qui Tont suivi on a soin de dire que
Coquillart n'est plus : au contraire, dans celle-ci on le désigne
comme un homme encore de ce monde.
XXX
la mort de l'auteur. La première pièce est inoffensive, et
nous ne comprenons pas le motif qu'eut le poète de ne pas
la publier. Les hardiesses du Gendarme caisse expliquent au
contraire d'une manière suffisante pourquoi le poète et
l'imprimeur ont mieux aimé retarder leur apparition
dans le monde littéraire. En présence de cette omission ,
on s'est demandé si le Monologue du Gendarme caste
était bien l'œuvre de Goquillart : nous ne balançons pas
à nous prononcer pour raffirmaiive. Le poète, dans ses
autres poésies , a soin d'éviter les allusions qui peuvent
blesser ses concitoyens; il ne nomme jamais Reims: Paris,
les parisienset les parisiennes sont toujours en jeu. Dans le
Monologue du Gendarme^ au contraire, la villede Reims est
nommée; on y trouve le nom d'une famille rémoise alors
existante, et une dlusion au cumul d'évèchés qu'on pouvait
reprocher à Pierre de Laval. On reconnaît partout le style
de Coquillart, et surtout sa haine contre les perruques :
il les attaque avec un tel acharnement^ que le public
avait surnommé cette pièce de vers le Monologue des Per-
ruques.
Cette suppression , faite dans l'édition de diQi • sans
doute avec l'assentiment du poète y a conduit les biblio-
philes à se faire une autre question : connaît-on bien
toutes les œuvres poétiques de Guillaume Coquillart? Cette
fois, je pencherai volontiers pour la négative. Ainsi,
le Procès de la Simple et de ta Rusée n'est pas terminé, à
la fin des Droits nouveaux le poète annonce que son cours
n'est pas fini ; il promet de le continuer, et il était homme
à tenir parole. Au début du Blason des Armes et des
DameSf il dit qn'il a chanté les chevaux , les lévriers , les
héraults d'armes, les échansons, les escuyers: ^s œuvres
connues n'en parlent pas.
Au surplus, notre opinion sur ce point n'est pas nou-
velle , et de tout temps on a voulu augmenter le bagage
littéraire du poète.
En 1521, paraissait un livre in-8®, imprimé à Paris,
en caractères gothiques, pour le célèbre libraire Ker-
ver: ce rare volume, intitulé Sylva nuptialis, est une lon-
gue et mordante satyre contre les femmes. On le doit à
un Italien, Jean Nevisano, professeur de droit à Turin.
Il accumule contre les dames les accusations de tous
genres , et cite à l'appui de sa thèse de nombreux auteurs
contemporains, itprès divers noms des XY" et XVi* siècles
il ajoute : < Et in lingua etiam gallicâ. Cuil. Coquillart,
in lib, : Des droits nouveaux , in le Débat des dames et des
armes, iniib. le Trop tard marié et de la Louange et
beauté des dames, et le Purgatoire des mauvais maris...
xxxi
et in Ubro TAvocat des dames de Paris allant aux par-
dons. • François Hotman, sur la parole da Névîzan , at-
tribue aussi à Coquillart le Purgatoire deg mauvais Maris,
et 1^ Avocat des Dames allant aux pardons de Saint^Trottet :
(Matagonis de Matagonibus monitoriale, tit-8** absque loco,
4575.^ En 1584, paraissait à Paris » chez Abel Lange-
lier, Ja Bibliothèque française de Lacroix du Haine, et
comme Hotman, il donnait aussi à Coquillart le Purga-
toire des mauvais Maris et l'Avocat des Dames.
L'exemple était donnée un éditeur qui ne s'est pas
nommé allait encore surenchérir sur ces erreurs litté-
raires. On ne prête qu'aux riches, et c'est un tort, parce
qu'ils n'ont pas besoin qu'on leur prête : Coquillart était
dans ce cas-là. Cependant on vit apparaître à Paris, en
1597, un volume in-8°, intitulé (Kuvref (/e CoquillarU
On y trouvait, avec ses œuvres avouées et incontestables,
une foule d'autres pièces joyeuses ou saty riques. Les unes
comme la Farce de Pathelin ne pouvaient être de lui; les
autres avaient des auteurs très-connus, de ce nombre étaient
des poésies empruntées aux Œuvres de Villon et de Roger
de 6)llerge, le célèbre abbé des Fous. Celte édition,
je n'en ai jamais vu d'exemplaire a paru suspecte à dont
M. Brunet^ auteur du savant Manuel du Libraire^ et
homme fort compétent en pareilles questions. 11 pense
que sa date est toute de fantaisie, comme son titre, et
qu'elle fut faite pour la satisfaction d*un bibliophile du
XVII* siècle: elle oe peut donc servir de titre à personne.
Nevizan est étranger à la France : il est probable qu'il
n'avait pas lu Iqs Œuvres de Coquillart, Le Débat des
Armes et des Dames n'est pas une satyre contre les femmes,
c'est un poème en leur honneur. Le petit poème de la
Louange et beauté des Dames parut à Paris pour la pre-
mière fois vers l'an 1500; le Purgatoire des mauvais
Maris fut imprimé à Bruges pour la première fois, vers
1480; les auteurs de ces deux opuscules sont inconnus.
Les éditeurs français qui ont publié les (JEuvres de Co^
quillartf pendant sa vie et peu de temps après sa mort,
n'ont jamais songé à les revendiquer en son nom. On
remarquera d'ailleurs que ces deux pièces parurent de
son vivant, et que dès lors il aurait pu les réclamer;
comme elles sont inoffensives, il pouvait les avouer sans
danger : il l'aurait fait s'il en avait eu le droit.
L* Avocat des Dames de Paris, touchant les pardons de
saint Trottet, se termine par un acrostiche dans lequel
l'auteur se désigne sous le nom de Maximien. Cette énon-
cialion suffît pour faire retrancher cette pièce des Œuvres
de Coquillart, La complaîncte du Trop tard Marié est
XXXlj
de l'illustre Pierre Gringore *. il se nomme aussi dans un
acrostiche de huit vers, qui termine cette facétie.
Sans doute il est intéressant de découvrir les auteurs
des enfants trouvés de la littéraluie : mais une paternité,
même en fait de poésies légères, ne doit pas s'imposer
sans examen. De nos jours encore on a gratifié Coquillart
d'une progéniture anonyme. Quand après la mort de
Charles ?iodier, ce roi des bibliophiles, on vendît les
derniers trésors delà bibliothèque, on inscrivit au catalo-
gue, sous le nom de Coquillart, un petit poème intitulé
la Louange des Rois de France, imprimé à Paris par
Euistachè de Brie, le 17 juin 1507.
Ce titre est celui d'une satyre historique contre la ré-
vocation de la pragmatique sanction : c'est là sans doute
ce qui a pu faire supposer que Coquillart. zélé défenseur
des libertés de l'église gallicane, en était le père. Mais on
y trouve aussi l'éloge de Louis Xll, et des allusions aux
victoires' qu'il remporta en 1507 sur la république de
Gènes. A cette époque notre poète vivait encore, mais il
avait 87 ans : il ne devait plus écrire. Dans ce poème
historique se trouvent de nombreux détails qui prou-
vent jusqu'à l'évidence qu'il n'en est pas l'auteur.
Ainsi les gens du parlement énumèrent les archevêchés
et les bénéfices que le pape donne à ses favoris, et ils ne
disent pas un mot de ceux de la Champagne. — Ailleurs
on lit ces deux rimes :
Cestui Clovis , dont avons devisé ,
Par saint Denys receut crestienté.
Un rémois n'eut jamais mis en vers pareille hérésie.
Nous ne chercherons pas à découvrir l'auteur delà Louange
des Bois de France; il nous suffit d'établir que ce n'est
pas Coquillart. Nous ne pouvons donc rien ajoutera ses
œuvres déjà publiées. Ne les comptons pas, jugeons-les,
et nous trouverons que le nombre en est assez grand
pour illustrer celui qui les composa.
Leur apparition dans le monde produisit sensation.
On n'y vit ni le pamphlet d'un factieux, ni l'œuvre d'un
esprit frivole et licencieux; c'était tout un acte d'accusa-
tion. Le vice baissa la tête et les honnêtes gens applaudi-
rent. Le clergé ne s'indigna pas des attaques dirigées
contre ses membres impurs; Charles Ylil et Louis Xll,
tous deux rois absolus, tous deux rois par la grâce du
ciel, luttèrent contre les abus et n'inquiétèrent pas le
poète qui les signalait. Sa liberté ne fut pas menacée ,
son triomphe fut complet : c'était celui de la morale pu-
blique.
XXXllJ
Ses confrères saisirent avec joTe une occasion d'honorer
en lui le champion des bonnes mœurs. En 1493» il fut
nommé grand-chantre; cette dignité était la troisième du
chapitre;, elle donnait la police du chœur et la présidence
dans lés assemblées des chanoines, en Tabsencé du doyen
et du prévôt. Le nom du grand-chantre se trouvait, avec
celui de ces deux dignitaires » en tète de tous les actes'
capitulaires.
Pierre de Laval était mort ; le chapitre, redevenu libre,
élut pour son successeur Robert Briconnet : ce fut à
Coquillart que fut conâé le soin de solliciter près du
pape la confirmation de cette élection. On récompensait
ainsi le champion des droits deVÉglise.
Trois ans après ^ uyi traité'de paix rapprochait la France
de l'Angleterre; il dut être approuvé et ratifié par les états
de chaque province. Les trois ordres du bailliage de Ver-
mandois envoyèrent à Laon leur député > et ce fut Guil-
laume Coquillart qu'élut le clergé du diocèse. Soixante-
quinze fois l'hiver avait passé sur sa tête; mais à la voix
du pays, il retrouva ses forces et se rendit à l'assemblée
nationale. Le serment fui prêté : devant Dieu, devant les
élus du peuple le vieillard jura d'oublier sa haine et sa
défiance contre les gens d'Angleterre; au nom du clergé
rémois il promit d'observer cette paix si longtemps at-
tendue. En 1497, Tarchevêque de Reims mourut, et le
chapitre nommait à sa place le cardinal Guillaume Bri-
connet, et lorsque Tannée suivante le nouveau prélat fit
dans Reims son entrée solennelle, ce fut notre poète qui
prononça, au nom du chapitre, la harangue d'usage.
Cet acte solennel fut le dernier de sa vie publique. Lea
honneurs qu'il venait de recevoir couronnaient dignement
sa carrière; l'estime de ses concitoyens l'entourait tou-
jours, et la popularité, cette amie inconstante, caressait
encore ses cheveux blancs. Tout finit ici bas, et Thomme
assez heureux pour avoir placé son nom dans une au-
réole brillante, ne doit pais attendre qu'elle s'éteigne : il
doit, s'il est sage, quitter la scène avant qu*on ne lui
crie assez. Ainsi fit Coquillart : il passa dans la retraite
les dernières années que Dieu devait lui compter, il avait
vu la France conquise sous Charles VI, déchirée par la
guerre sous Charles Vil, opprimée et jouée sous Louis XI,
sacrifiée sous Charles \ill aux rêves d'une folle ambi-
tion ; il eut là consolation de voir Reims renaître et pros-
pérer sous Tépisoopat de Robert de Lenoncourt , le père
des pauvres, et la pairie vivre heureuse et libre sous
Louis Xil, le père du peuple. Le ciel avait béni ses vœux
les plus chers: ses derniers jours furent paisibles, et
a 3
xxxiv
en 1510, alors qu6 la prairie s'émaîlle de fleurs, le dou-
zième jour du mois de mal, il s'éteignit sur le sol qui
rayait tu naître; ainsi le rocher qui brava mille tem-
pêtes, s'écroule un jour miné par l'âge; ainsi le chêne,
que l'ouragan n'avait pu faire plier, tombe à la fin sous
la faux du temps. Goquillart avait passé dans ce mpnde
près de quatre-vingt-dix ans, et pendant cette longue
carrière, il n'avait cessé de marcher d'un pas ferme dans
le sentier de l'honneur. Il s'était nommé le povre hon-
neste fortuné : ses contemporains avaient confirmé ce
noble surnom. La postérité devait le consacrer (1). Il
laissait sa famille considérée , et pendant plus d'un siècle
elle allait briller de la gloire acquise par son chef, et re-
cevoir, de génération en génération, la récompense des
services qu'il avait rendus au pays (^).
11 fut inhumé dans l'enceinte du chapitre, et l'on
creusa sa fosse au pied de la bibliothèque, à l'angle de
ce bâtiment, du côté de l'église, près du transsept sep'
tentrional , en face du portail sis à la gauche du specta-
teur et décoré du bas-relief du jugement dernier. Une
dalle de marbre noire fut posée sur les restes du poère;
une inscription latine la distinguait des sépultures voi-
sines. L'homme de cœur reposait près de ces livres qu'il
avait tant aimés, au milieu de ses frères qui l'avaient
tant chéri. Quand un ami des lettres venait visiter Notre-
Dame de Reims , son palais et son cloître, s'il prononçait
le nom du poète populaire et demandait à voir sa tombe,
pendant plus de trois siècles on put lui répondre : Nous
veillons sur ses cendres; elles sont là.
Un jour les bacchanales révolutionnaires passèrent par
la grande église : tout fut souillé, tout fut détruit; l'asile
des chanoines fut démoli; leurs tombeaux furent violés;
des pavés chassèrent leurs dalles; une rue passa sur tou-
tes ces ruines, et le peuple foula d'un pied indifférent
des débris désormais sans nom.
Hais dans ce monde tout ne périt pas avec les mo-
numents et les mausolées : la Providence a voulu que,
même ici bas, après la mort, chacun fût traité sui-
vant ses œuvres. A celui qui n'a rien fait pour être utile
(!) L^édition des (ouvres de Coquillart\ publiée à Lyon en
1535, 26 ans après sa mort, acco.le à son nom de ArABH
TYXH.
(2) V. au Glossaire : Recherches sur la famille de G. Co;wt7-
lart.
XXXV
sur la terre» oubli ; au méchant qui usa da sa force pour
écraser le faible, et de son or pour corrompre la Tertu,
bonté étemelle ; au pauvre plébéien qui servit son pays et
resta pauvre, au poète qui flétrit le vice et chanta nos
victoires nationales, à Guillaume Goquiliart, long et glo-
rieux souvenir.
P. TarbÉ,
LE PLAIDOYER
DB
COQUILLART
ARGUBOSNTi
Beai beHes se disputent le coeur d'un Jeune gâtent;
l'une d'elles , la Simple , se dit le premier objet de ses
afléctions. La Rusée est venue frauduleusement troubler
ison bonbeur et lui enlerer son bel ami. — Celle-ei
n^est pas disposée à restituer Tobjet du litige ; elle le
possède et prétend le garder. Sur cette sérieuse alAirey
les Avocats ont construit un procès en complainte, et
l'on plaide en possessoire. Le tribunal , après avoir écouté
Vattaque et la défense , déclare les parties contraires
en liût et ordonne une en<piéte.
Le cadre de cette plaidoirie se retrouve dans
les spirituels arrêts d^amour de Blartial d^Auvergne;
mais cet aimable littérateur ne songeait qu'à plaira, et
n y a réussi. Le poète rémois vise plus baut : en amu-
sant le public , il attaque de front de graves abus; il si-
gnale avec vigueur la paresse et la cupidité des magis-
trats, la mauvaise foi , le dévoûment vénal des avocats ;
il montre les gens de lois, de tous rangs, de toutes
robes prêts à exploiter à leur profit les ressources de la
«bicane et les afbires des pauvres plaideurs. A la fin
de cette moralité à dix personnages , l'auteur se met
lui-même en scène et résume en quelques vers son
acte d'accusation. La littérature et lliistoire du XV* siècle
nous sont venues en aide ; notre glossaire contient les
renseignements ^qu'elles nous ont fournis.
Le plaidoyer d'entre la Simple et la Rusée n'est donc
pas une oeuvre badine et firivole ; on la doit à la plume
d'un bon dtoyen; il a payé sa dette au pays; qu'après
la mort il en reçoive la récompense. Semons lauriers et
fleurs sur sa tombe : cela ne peut tirer à conséquence :
les gens de cœur sont rares.
M* Piimmi Hafpaet.
M» OoB*»T BE Mai. Gah». ^ ^,„„«^ jw/.gr.
M* GuiLLÂUm L*AB4TTIUm.
M* jAOQQBt L*Av#AICTli.
La Sikp^b.
Là Evsix.
Ls MxovoB.
M* Simnr , jÉvoeai dg U Simple.
M* ÛLiTiim DB FEfti raBa4HT| Ayocat de U Rusée,
ley comeice le Pliydoyer de Cofiillirt,
d'entre la Simple et h tisée.
MAiSTRE smoN , premier Advocat.
Monsieur Maistre Jehan TEstoffé ,
Qui trenchez là de Fespousée ,
Oyez le plait fort escbauffé (1)
D'entre la Simple et la Rusée :
Que la cause soit si traictée ,
AfBn que on entende le cas.
LE JUGE.
Sus donc , qu'elle soit despechée ;
Faites appeler Advocatz.
MAISniB SIMON.
Deffault (La Rusée n'y est pas)
A la Simple.
LE JUGE.
Deffault ayez.
MAISTRE OUVIER.
Je m'oppose quant à cela ;
J'ay procuration.
MAISTRE SUiON.
Montrez ;
L'a point partie faict revocquer,
Puis le temps qu'elle la passa?
6
MAISTRE OLIVIER.
Je cuyde que vous vous mocquez ;
Riens du monde.
LE JUGE.
Faictes paix là ,
A coup, qu'on entende à voz dictz.
MAISTRE sniON en plaidoyant dit,
A la Simple , pour qui je suis ,
Demanderesse et complaignant
Contre la Rusée par ses dictz (1)
Deffenderesse et opposant ,
En cas , en matière pourtant
De saisine et nouveUeté ,
Gompete et aussi appartient
Ce que sera cy recité.
Et premier, il est vérité
Que la nature féminine
La pluspart du temps est encline
A appeller le masculin ; (2)
Présupposant cette doctrine , (3)
Car nous tendons à cette fin ;
Pourquoy ladicte Simple , affin (4)
Qu'elle eust ses désirs assouvis
A toute heure , soir ou matin ,
A son plaisir, à son devis ,
A elle , selon mon advis ,
Tout en son propre et privé nom
Appartient ung amy acquis ,
Dit et appelle le Mignon ;
Duquel , à juste tiltre et bon ,
Elle pouroit le petitoire
Intenter ; mais riens , nous venons
Tant seullement au possessoire.
Et pour bien entendre Tbystoire ,
Cest amy estoit ung fricquet ,
Ung gorgias , comme on peult croire ,
Hardy , vaillant , loyal , secret :
Quant il trouvoit de nuyt le guet ,
Ne failloit à frapper ou batre ;
Tousjours en tuoit six ou sept,
Posé qu'ils ne fussent que quatre.
—Qui est-<5e ?— qui vive 7 et de combatre, (1)
Clif , dof — franchement, et de hait.
— L'ung à la boue , l'autre au piastre.
— Demeurez ribault — pas ung pet
Tenant ung espée en effect ,
Quand on vit qu'il chargeoit si bien ,
Et vêla mon cousin le guet,
Tantost de brouer le terrien.
— Qui a ce fait ? — je n'en sçay rien :
Quelque Laurens , ou Maistre Pierre ,
Msustre Olivier, ou Maistre Jehan.
— Qu'il soit prins — qu'on l'envoyé querre ;
On le labourra comme terre ; (2)
Posé que aultmy Tait faict ou non , (3)
Foncez ; il en avoit la guerre,
— Efchecq àl'huys — c'est faict — c^est mon.
Et par ainsi onc ce mignon
Estoit ung homme hault et ferme
Pour dire franchement bon bon
En curialité , en gendarme
Dire : par la foy de mon ame ,
Madame , je vous ayme bien.
Je ne suis Jacopin , ne Carme ;
s
Dieu mercy ! j'ay assez du mien. .
Par le ventre bieu 1 ung maintien (1)
EsveiUé comme ung beau lepvrier ;
(n fault dire éi^ Mon le Jùan)
A parler, franc coHune uag osîer ;
Six robbes cbeat son coostttrier,
Huit ou dix gris, bnHi, gris changeant ,
Et^sept ou huit chez le drappier , (2)
Qui ne tiennent que pour l'aigent (8)
Qu'il ne iust homme assez plaisant,
Hardy, secret » adventoreux :
Si estoit bien propre , et duysant.
Et faict pour ung yray «moiareux.
Geste Simple en faisoit ses jeux ,
Si le tenoiten pension; (A)
Et d'icelluy est « se m'ust Dieux »
En très bonne possession.
En possession et ssûsine
De soy dire , porter, nommer
Vray Dame, seule et encline
A l'entretenir et aymer ;
(Seullement qu'elle l'eust mandé ,
S'il eust esté oultre la mer,
n s'en venoit royde et bandé, (5)
La lance au poing , faisant grant diere ; (6)
Aultrement il eust amendé
Et eust payé la folle enchère. )
De soy renommer droictyriere , (7)
Ancienne, vraye possesserea^ ,
Et comme de ce coustumiere ,
Par droit juste detenteresse ,
Maistresse, amye singulière
Par raison occupateresse ,
Gomme du sien propre heritaige :
9
Brief ladicte demanderesse
Le tient pour sien: vêla Tusaige.
n estoit si courtoys, si saige,
Et avoit voulenté si franche.
Que , s'elle eust voulu , pour tout potage ,
Elle Teust mis dedans sa manche.
En possession et saisine
De rédifice laiKHirer , (1)
Luy faire prendre médecine
Pour plus amptement pasturer,
Puis tost rire, puis souspirer, (2)
Et s'il a maintint trop farouches (3)
Le faire tourner , et virer,
Et galoper plus drus que mouches ,
Faire ralias, escarmouches,
Dancer, et cent mille fatras ,
Luy fûre suer grosses souches
D'or à vmgtMpiatre cpiaras , (&)
L'aller attendre au galetas, (6)
Craintif, peureux , froit et swUet.
Elle s'en venoit pas à pas :
— Quoyî— quest^eî— quia-il?— etde het.
— Quoy?-comment?-que fusse en effect?
— Tout est en Dieu — passe — revîen. (6)
— Dicte, hé ! ne voulez vous rien?
— Faictes tout à vostre s^petît.
Il estoit si faict au deduyt
Et si aspre, (aussi estoit elle).
Qu'il ne leur failioit nul respit ,
Délay , grâce ne quinquemelle.
Gelluy ne demandoit que celle ;
Et y en eust-il ung millier,
Ung tel ne queroit qu'une telle ;
Vêla , à tel pot , tel culier.
10
De le faire de nuyt veiller (1)
Et estarder par dessus tous , (2)
Il estoit Tamy singulier ;
Elle le faisoit à tous coups.
En possession et saisine
De prendre, cueillir, percevoir
Rente , revenue masculine
Et tout ce qui luy peult escboir ,
Exiger par tout , recepvoir (3)
La dépouille : quant on labeure , (4)
Au moins n'en peult on que d'avoir (5)
Ce qui en vient, (c'est chose seure)
De povoir lever à toute heure
Les fruitz , prouffitz et esmolumens ,
Entre deux vertes une meure , (6)
(Ainsi que on ferre les jumens)
Gomme baisiers , embrassemens ,
Aubades , cent mille bons tours
Et generaUement tous biens
Qui pevent escheoir en amours :
L'aller entretenir tousjours ;
Tous les ans le jour des estraines ,
Luy donner coletz de velours ,
Saintures , chapperons de migraines, (7)
Chausses et souliers à poulaines :
De prendre telz chatz sans mitaines , (8)
Vous sçavez que c'est ung abbus ;
Vêla le refrain. — Au surplus ,
Quant elle sentoit le motif,
Il failloit qu'il vmt sus ou jus
La fournir à son appétit :
Car qui ne fonce de quibiis, (9)
Prester l'appétit sensitif.
Il se monstroit ardant , hastif ,
11
Serchant par tout comme ung furon :
Et si n'estoit jamais rétif,
Farrouche , ne dur à Tesperon :
Et la tenoit en son giron
Baiser assez , tel ty, tel my : (1)
Il sembloit que le quarteron
Ne leur en coustast que demy.
Elle disposoit d'icelluy
Ainsi que de sa propre chose :
Et comme son privé amy
Le tenoit en sa chambre close.
D'aultres prouffitz , sans longue pose ,
En f estes, en nopces, en banquetz,
Une violette, une rose,
Une marguerite , ung bouquet ,
Quelque bague , quelque affiquet
Pour dire : hon ! vous y pensez.
Estoit-ce faictî — s' on le picquoit,
C'est-à-dire : recommencez.
Et d'estre ensemble assez, assez ,
Ilz en estoyent tous coustumiers ,
Comme deulx beaux coulons ramiers.
De tous biens d'amours singuliers
Elle en est en possession ,
Dont je me tairay voulentiers ,
Pour plus bref expédition.
En possession et saisine , (2)
Qu'il n'est loysible ne ne loist
A femme , commère ou voisine ,
Ou de quelque estât qu'elle soit ,
Qu'elle ne peult , et si ne doit
Donner trouble et empeschement ,
Ne s'efforcer d'y avoir droit
Contre ladicte complaignant.
12
Et n'est loisible aucunement
A homme ou femme , hault ou bas »
De le tenir secrètement,
Ne aussi d'en faire ses choux gras ,
Ses grans chieres, ses ralias
De gueulle , ses gaudeamus.
Nous avons pour nous sur ce pas ,
Loix , chappitres gros et menus ,
La reigle de droit, au surplus ,
Qui dit pour résolution
Ce mot : Quod qui sentit anus ,
Sentire débet commodum.
Beau Sire , c'est dommaige don ,
(Ou ce sont motz bien feriaux) (1)
Que la Simple bâte le buisson
Et ung aultre en ait les oiseaulx.
Ubi de hoc? — ^aux veaux 1 aux veaux I (2)
Cela c'est affaire au nyetz ;
Ce sont des paraphes nouveaulx
Des droitz de la Porte Baudetz. (3)
En possession , et saisine
Que ladicte deffenderesse ,
Posé qu'elle soit sa voisine,
Ne peult estre detenteresse ,
Ne aussi occupateresse ,
Au grief préjudice , dommage (4)
De ladicte demanderesse ;
Car pourquoy ? ce n'est pas Tusaige.
D'aultre costé si elle saige ,
Pour esviter plus grands despens ,
Qu'elle laisse ce tripotaige ,
Ou qui ne m'entend je m'entens.
En possession , et saisine
<
IS
Que , ce ung quidam je ne sçay qui ,
Ou quelque femme , tant f ust fine ,
Pretendoit droit à cest amy ,
Pour vouloir user d'icelluy
Et en recepvoir les proffitz ,
De le rendre dès aujourd'huy (1)
Piteux comme ung beau crucifix :
Et s'ilz faisoient aucuns proffitz
De la troubler, ou empescher ,
Contredire aux droits dessus dictz ,
De le faire réintégrer, (2)
Remettre sus et restaurer (3)
Au premier estât deuSment ,
Amender tout et reparer
Par Justice et autrement.
Ou se quelqu'un , ne sçay comment ,
Faisoit plus telle abusion ,
Le contrsdndre suffisanmient (A)
De faire satisfaction.
Et desquelles possession (5)
Et droitz , ladicte complaignant
A, pour toute conclusion,
Joiiy et usé plainement
Par dix , vingt , trente ans franchement :
A faict ce qu'elle en vouloit faire
Par tel temps , et si longuement
Qu'il n'est mémoire du contraire ,
En mesmement sans soy distraire ,
Depuis ung an et jour en ça ,
Ainsy comme il est tout notoire ,
Jusques à ce que dès pieça ,
(Je ne sçay qui la conseilla)
C'est une , que on dit la Rusée,
ftint cest amy et l'emmena ,
Aflin d'en faire sa traînée ,
14
Par voye indeuë et diffamée;
C'est ce doût-il est question ,
Parquoy , la Simple est empeschée
En sa bonne possession.
Et après inhibition ,
Et maintenant sans séjourner ,
Gomme appert par relation
Du Sergent, la faist adjourner
Par devant vous, pour procéder
Contre elle , et à la vérité ,
Pour cause et matière intenter
De saisine et nouvelleté :
Si concludz qu'il soit adjugé
A la Simple ledit mignon ,
Par vous , Maistre Jehan TEstoffé ;
Et la maintenez , veuille ou non (1)
La Rusée , en possession
Et saisine dudict amy ;
Et vêla ma conclusion.
Oultre , se ceste matière cy (2)
Estoit trop longue et ennuyeuse ,
Qu'elle ait la recreance aussi
De la chose contentieuse.
Et que plus n'en soit curieuse,
Sur peine de cent mars d'argent ,
Ceste Rusée , ceste baveuse ,
De luy donner empeschement
Ne aidcun trouble doresnavant.
Et si requiers tous coust et fraitz ,
Avecques restablissement ,
Despens , dommaiges et interetz
Par moy mis , soustenus , et faitz
En ceste cause : et jprotestans
16
De toute ayde ; pour tous metz ,
Goncludz et demande despens.
LE JUGE.
Nous'avons oûy voz moyens
Et voz' raisons , sans faire pause.
Maistre Olivier de près prenant ,
A coup deffendez vostre cause.
MÂISTRE OUYIER.
Oûy son playdoyé , je cause
Chose qui sert à mon office.
LE JUGE.
Dictes , sans faire longue pause ;
Soyez bref ; il est nécessaire.
IIAISTRE OUYnSR.
Monseigneur, nous avons cy affaire ,
Pour la Rusée.
LE JUGE.
Or vous couvrez ,
MAISTRE OLIVIER.
Grant mercy : je ne m'en puis taire ,
Car elle a bon droit. Vous orrez
Soit en deffendant, comme avez
Oûy ce que dit a esté
En. la matière que sçavez ,
De saisine et nouvelleté.
Or dy-je , quoy que ayt recité
Monsieur T Advocat qui là est ,
Que mon propos est bien fondé ,
Et que mon faict est clair et net.
Et dit la Rusée en effect ,
Pour monstrer son intention ,
16
Que passé a long temps elle est
En très bonne possession
De cest amy , de ce migaon ,
Et que à certain et juste Tiltre
Elle en a l'acquisition ,
Comme il appert par son registre ;
Et s'il fault qu'il y ayt behistre, (1)
Elle prouvera clerement
Par loy , decretalle , ou chappitre ,
Qu'elle a bon droit. — Premièrement
Pour le dire et bien brefvement , (2)
(Car nous avons d'aultres affaires)
Elle pose totallement
Possessions toutes contraires
Aux possessions frustratoires
De la Simple demandeFesse ;
Car elles sont bien scdutoires (3)
A la dicte deffenderesse ,
Qu'el' n'en soit Dame et maistresse :
Si est ; vêla son intendit.
Mais , pour respondre à ce que dit
La Simple qu'elle est seulle amye ,
Elle est trop Simple ; oncques on ne veit ,
Se me semble , plus grant foUye.
Elle est bien si estourdye (A)
Que de cuyder, ou de penser
La chair d'ung homme assouvie
D'une femme et de s*en passer.
Quant de baiser et d'embrasser.
Voire à Dieu , passer sa fortune , (5)
Assez, assez, trop d'avancer
Pour ung coup à demy pecune.
Mais ainsy qu'il vient sur la brune
En quelque coing , ou quelque bout ,
il
Vêla s'on rencontre quelqu'une ,
Le sang bieu ! c'est pour gaster tout
Ung lingeret tendre du bout ,
Tendre la broche enhamachée.
On tend le becq » s'il vient à goust ;
— Où est-ce qu'elle est accouchée ? (1)
Puis on vient : — ung tel vous demande i
— Patic 9 patac — à la sachée,
S'on la trouve en place marchande »
Il n'est homme qui ne se bende
Pour repaistre l'humanité :
Et n'y a celuy qui ne tende
A suivir la mondanité ;
Vêla le cas. D'aultre costé
On a beau tenir pied à boulle ;
Car il n'est celle en vérité ,
Qui ne vueille prester le moulle ; (2)
On est vaincu à tour de roulle.
Et se faict? tournez vostre main ; (3)
Aussi-tost que la beste est saoule ,
On y pert la paille et le grain.
Et n'y a plus rien incertain : [h)
Aujourd'buy , vous estes d'accord ;
Mais quoy I retournez-y demain ,
Par le corps bieu ! vous avez tort.
Tout le monde tend à ce port :
Parquoy , quoy que la Simple dye
Pour vouloir monstrer par effort
Qu'elle est vraye Dame, seulle amye,
Par mon sacrement je luy nye :
Car je cuyde que ce mignon
A faict souventes foys folye
Comme ung aultre; et pourquoy non?
Ainsy donc , c'est abusion
2
18
De ce dire , comme je croy ,
Estre en bonne possession.
Autant à elle comme à moy : (1)
Et allègue raison pourquoy (2)
J'en ay usé , j'en ay joûy ,
Ne jesçay qui, je ne sçay quoy ,
Par ung , deux, trois, quatre ans; oûy.
D'aultre part , voicy que je dy :
Prenez qu'elle l'eust possédé ,
Combien que je crois que nenny :
Toutesfoys , ce présupposé ,
n me semble que c'a esté
Secrettement , par voye oblicque ;
Et est , selon bonne équité ,
Possession non juridicque.
Nous avons en droit et praticque
Pour nous , au moins touchant ces ditz ,
Et mesmement la loy unicque
Codice, ubi possidetis ,
Et la loy tierce , Digestis,
Qui dit : eodem titulo»
Que à bien posséder est requis ,
Non vi, non clam, non precario.
De la Simple, je ditz pnmo
Que sa possession et saisine (3)
N'est pas ftdcte tali modo ,
Gomme le droit le détermine ;
Mais est secrette et clandestine ,
Recellée de nuit et de jour ; {h)
Et comme sur crime et rapine , (5)
Le recolloit en son séjour, (6)
Sans fiatire vif ade ne tour.
Cheminer, ne allisr dehors.
19
Je ne sçay se c'estoit de paour
Qu'il ne feist follye de son corpa :
Combien qu'elle s'abusort , fors (1)
Qu'on ne la laissast point aller.
Non pourtant , alors comme alors ;
Avec les folz il faut fbller : (2)
De prendre quelqu'un , et le bouter
En sa tutelle , en sa bsôllie ,
Afin de n'en point hériter,
Par le corps bien , c'est grant follye :
Car s'il debvoit perdre la vie ,
Rompre barreaulx , crier et braire ,
Saillir en bas par l'estampie, (3)
Si est-il force de le faire.
Car pourquoy il est nécessaire
Et besoing à la créature ,
Aulcunesfoys de soy forfaire
Et trouver bestail et pastûre.
Si aulcun quiert son adventure ;
Et une femme le deduyt ,
Cela ce n'est que nourriture ;
En fault-il faire tant de bruyt ?
Quant ces mignons si sont en ruyt ,
Et qu'elles le font à plaisance , (A)
Le monde n'en est point destruyt;
Pourquoy , ce n'est que accoustumance.
D'aultre part, se ung homme s'avance
De vouloir trouver quelque bien ,
Quel mal est-ce ? comme je pense ,
On ne luy en demande rien ; (6)
Dont on le faict , comme je tien ,
Souvent qu^on ne s'en doubte pas.
Et pour ce , à mon point je reviens :
Et veulx contredire ce pas ,
20
Que la Simple pour tous debatz ,
Se veuille seulle amye tenir
De ce mignon : voyla le cas.
A ce je veulx contrevenir,
Et le contraire maintenir :
C'est que la Rusée sans blâme,
S'en peult dire Haistresse et Dame ,
Joflyssant sans quelque diffame ;
Vêla la resolution.
Et prouvera, par baulte game ,
Qu'elle en a l'acquisition ;
Et oultre plus, de ce mignon , (1)
Soy maintenir et franc , et net , (2)
En meilleure possession ,
Cent foys plus que la Simple n'est. (3)
Et pour ce condudz en effect.
Qu'elle soit par vous maintenue
En son bon droict cler et parfaict
Bien gardée et entretenue ,
Et comme vraye Dame tenue ,
Et de cestuy bien héritée.
A tort a esté convenue (4)
Pour la cbose bien conquestée.
Oultre , la complainte intentée
Par la Simple , soit non vaillable , (5)
Par vous gettée et debouttée
Conune faulce , non jaisonnable ,
Torsionnaire et desraisonnable , (6)
Mal sceuë , mal veuë , mal prouvée , (7}
Par ce non préjudiciable
Au faict de la dicte Rusée ;
Nonobstant cbose proposée
Affin d'avoir conclusion ,
Par elle dicte , ou alléguée (8)
21
Pour fonder son intention.
Elle faict protestation
Et si requiert tous coustz et frdtz
Pour toute resolution ,
Despens , donunaiges et interestz.
LE JUGE.
Nous avons oOy tous voz plaitz ;
Haistre Simon , sus desgueullez.
MAISTEB SIMON.
Quant au regard de ses cacquetz , (1)
Nous en sommes pieça saoulez.
MAISTRS OUYIER.
Sa , Monsieur l' Advocat , parlez ;
Replicquez , et on vous orra.
MAISTEB SIMON.
Vous dictes ce que vous voulez ;
Il vous en croyra qui vouldra.
LE JUGE.
Sus » faictes le court.
MAISTEB SIMON.
Or ça , or ça ,
Je dis que mon intention
Est bien fondée de pieça , (2)
Touchant ceste possession :
Et respond , par conclusion ,
Aux faictz que dist partie adverse.
Baillé une solution : (3)
Je ne sçay moy où il se verse ;
Il a dit chose, bien diverse ,
Et semble qu'il vueille ruer
Sur nous , pour toute controverse. (A)
Monseigneur, qu'il se face advouer.
22
MAISmE OUYIER.
Riens.
MAISTRE SIMON.
Je le requiers.
BIAISTB^ OUYIER.
Tant hai'celler I
BiAISUE SIIIOM.
C'est raison.
JLEWGE.
Sus , au demourant»
MAISTRE SIMON.
A ce qu'il a sommûrement (1)
Voulu dire , soy guermenter
Qu'ung homme ne peut tant ne quant
D'une femme se contenter,
Et que cbascun veult appeter
Nouveauk amys , nouveaulx gallans , (2)
Tant que on enraige de habiter,
(Ainsy que dient nouvelles gens)
^ Monseigneur, se tous ces moyens
Estoient vrays , croyez qu'on verroit
Venir des inconveniens
Bien grans. — Car, quoy ! il s'ensuyvroit
Que ung meschant homme se pourroit .
Prendre aux Succrées et Druôs :
Et ce semble qu'il ne fauldroit (3)
Qu'abatre femme emray les rues,
^ Si telles manières indeuës
Couroyent , tout seroit aboly :
Povres filles seroyent perdues ,
Et le mestier trop aviUy. (4)
Parquoy , il n'y auroit celuy
23
Qui ne gouvernast Damoyselles ,
Et qu'il ne voulsit aujourd'huy ,
Sans foncer, avoir des plus belles
Et des plus gorgiases , s'elles
Se Youloyent habandonner,
Gomme il dist qu'elles fussent telles ,
(Dieu le me veuille pardonner).
Il ne faudroit donc plus donner
Rubis , diamans , ne turquoyses ,
Mais dire franc , sans séjourner ;
Allons — faisons — ne vous* déplaise.
Gbascun en feroit à son ayse
Sans avoir langaige , ou effroy :
La coustume en seroit mauvaise :
Pour ce 9 ce qu'il dit n'est pas vray.
D'aultre part , je luy repondray
Se je puis , soubz correction ,
Affin qu'il soit mis à l'essay
D'impugner ma possession.
Il dit , pour resolution ,
Qu'elle est secrette et clandestine ,
Contre la disposition
Du droit qui de ce détermine.
Or, dis-je pour toute doctrine ,
Bonne , prescripte et raisonnable, (1)
Bien observée , non muable ,
Honneste , juste et auctentique ,
Gardée par tout , non variable ,
Et de quoy l'en use en praticque :
Il n'est requis (quoy qu'on replicque) (2)
En amours (en touchant ce dict)
Possession si très publicque
Et si notoire comme il a dit.
Mais pour intenter l' intendit ,
2à
C'est assez qu'on ayt possédé
Secrètement ; cela souffit :
Et ainsy il est praticquë.
n fauldroit se j'ay habité
Avecques Jennette ou Jaquette »
Qu'incontinent soit publié
A son de trompe, à la sonnette :
Ou se quelque fille secrette
A preste ung peu l'instrument ,
Que on ne sçet, s'on n'en caquette (1)
Qu'elle perde son droit ; pourtant
Se seroit dommage trop grant.
n est mainte femme succrée ,
Mainte bourgeoyse tant ne quant
Qui n'en a bien toute l'année , (2)
Fors qu'elle le fait à l'emblée.
Cinq ou six foys ; et se m'aist Dieux ,
S'on le sçet , elle est diffamée
Et s'en mocque l'en , qui vault mieulx :
Ce droit là est trop rigoureux.
Se llsdstre Olivier se boffume ,
Ou s'il veult faire le véreux ,
Il y impose ceste coustume :
Se bonne est pour luy , si la hume.
Quant est de la possession
Qu'il allègue, dit et résume ,
Que la Rusée de ce mignon .
En a eu l'acquisition ,
Il eust plus gaigné de s'en taire :
Monseigneur, soubz correction ,
Je vous monstreray le contraire.
Ceste Rusée par soy distraire ,
Pstr tant d'allées. et de venues, (8)
Par trop penser, par soy forfaire , (â)
26
Les mordans , paroUes aguës ,
Nouvelletez , choses indues ,
Brocquars , dissiinulalions ,
Lardons , cautelles incongneuês ,
Prières et persuasions ,
Par faintises , dérisions ,
Par motz dorez , par joncheries »
Sornettes , adulations ,
Malices , façons rencheries ,
Langaige affaicté , railleries ,
Blason de court , par voyes indeuës ,
Par désordonnées fringueries,
Et par manières dissolues ,
Par telles faulcetés a eue
Ses droitz , ses acquisitions :
Par quoy sont de nulles value
Toutes telles possessions ,
Par robbes fendues , fainctz ouvers , (1)
Blandices» subornations, (2)
Menteries , séditions »
Par mines » tetins descouvers , (3)
Machinations , motz couvers ,
Fauk entresdns et controuvez ,
Et par aultres moyens divers
Qui sont induz et reprouvez.
Exemple : comme vous sçavez ,
En ung bancquet la créature
Se venoit asseoir à ses pieidz ,
Pour luy eschauffer la nature :
Et luy disoit plustost injure ,
Plustost Tappeloit son amy.
— Que vous en semble-il d'icelluy ?
C'est-il — c'est mon — cela — cecy.
Et pour ce , au trou la cheville :
26
Estes vous bien — oy — nenny. (1)
Il respondoit au coup la quille : (2)
Elle sautelle, elle frétille (S)
Pour cuyder rompre la r^ette , {à)
Comme ung cheval doulx à Teslrille
A qui on met la gromette. (5)
Elle estoit si rusée et faicte
Qu'elle luy disoit franchement :
Je vous songe ; je vous souhaitte ;
Je pense à vous incessamment.
Par telle mine et faulx semblant ,
Et par tel langaige trouvé ,
L'a faulcement , mauvaisement
Seduyt et aussi suborné ,
Et de faict par prinse de corps ,
Ou de bon emprisonnement,
Puis qu'elle faict telz griefz et tors,
Telz eifors et telz tourmens , (6)
Telz crimes , telz abusions ,
Telz delictz , ne yallent au fors (7)
Toutes ses acquisitions ,
N'aussi toutes possessions.
Dont la dicte Simple , au surplus ,
Per^ste en ses intentions ;
Et si concludz comme dessus.
MÂISTRE OUVEER.
Pour respondre à ses points
LE JUGE.
Or sus,
C'est trop playdoyé.
MAISTRE OIIVIER.
Encores ung mot ,
Monseigneur, s'il vous plaist.
27
LE JUGE.
Mettez sus.
MAISTRE OUVIER.
Grant mercy ; j'auray faict tantost.
J*ay bien oûy tout son tripot
Et ses baves : elle prouvera
Tous ses faictz ; parlons par escot.
MAISTRE SIMON.
C'est à tort.
MÀISTRE OLIVIER.
Bien I bien ! on verra.
MAISTRE SIMON.
Je proteste.
LE JUGE.
Faictes paix là !
Injures sont cy înterdîctes.
MAISTRE OLIVIER.
Or ça , elle vous monstrera
S'elle est telle comme vous dictes.
Par droictz et par raisons escriptes ,
J'ay mes intentions cy mues ,
Monseigneur, qui ne sont petites :
Mtdstre Simon les a solufis ,
En alléguant choses menuSs.
Je ne sçay moy où c'est qu'il preuve
Des conséquences si cornues ,
Ne où , tout les diables , il les treuve ;
Benedicite , et je preuve
Tout au long mon intention.
Hais sa conséquence et sa preuve
Ne tiennent à chaubc ne à sablon.
28
Se seroit une abusion
Delareciter; je m'en tûs, (1)
Pour plus brefve expédition.
Oultre, au second point où je metz
Et si maintiens à tousjours mais
Sa possession et saisine
Ne valoir riens » et pour tous metz (2)
Estre secrette et clandestine :
Il respond et si détermine
A une coustume notable ,
Gomme il dit , mm il la devine ;
Car elle est faulce et variable ,
Et au droit préjudiciable.
Mais affin qu'on ne se pertube »
Chascun , pour le plus véritable ,
Produira ses tesmoins en turbe ,
Et que l'ung l'autre ne destourbe ;
Et les enquestes accomplyes ,
AfSn qu'il n'y ait point d'estourbe , (3)
On fera lors droit aux parties.
Touchant le tiers point, j'ay oyes (&)
Ung tas d'excès et de follies
Et d'aultres persuasions;
Et dit-on acquisitions
Avoir esté par ce point la
Faictes ; se sont abusions :
Le contraire se trouvera.
Aussi doncques par ses vertus ,
Peine , labeur, et industrie ,
Et non pas par moyens indus ,
Gomme motz couvers de joncheries , (5)
Elle acquesta la seigneurie
Et renommée de cest àmy,
29
(A quoy que la Simple varie) (1)
Et en use , et en joûyt :
Et demeure , touchant cecy ,
Ferme en son propos pertinent ;
Ofire à prouver ; conclud aussi (2)
En la forme comme devant.
MAISTRE SIMON.
Monseigneur
LE JUGE.
C'est assez.
MAISTRE SIMON.
Seullement
Ung mot 1
LE JUGE.
Il est tard.
MAISTRE SIMON,
Audience I
MAISTRE OUVIER.
Rien ! rien !
MAISTRE SIMON.
J'auray dit mdntenant ,
Monseigneur.
MAISTRE OUVIER.
Imposez luy silence.
LE JUGE.
Parlez bas t
MAISTRE OLIVIER.
Monseigneur, que on s'avance.
LE JUGE.
Despechez vous , il est temps.
so
BIAISTRE SIMON.
Je demande la recreance ;
Je m*en raporte aux assbtans.
LE JUGE.
Paix là I — Hesseigneurs cy presens ,
Monseigneur Haistre Pierre Happart ,
Vous estes bien gamy de sens
Et estes ung saige Goqoart;
Vostre opinion ?
HAPPiAT.
Monsieur,
Veu ce qu'ilz disent à l'esquart
LE lUGE.
Couvrez vous.
HAPPART.
Ha 1 saulve vostre honneur.
LE JUGE.
Sus ! de par Dieu , sus ! quel couleur
Auray-je de donner sentence ?
HAPPART.
On doibt bailler pour le plus seur
A la Simple la recreance :
Car elle a plus belle apparence
Que la Rusée , quoy que l'on die ;
Et les déclarez par sentence
Contraires en ceste partie.
LE JUGE.
Ça , maistre Oudart de main gamye ,
Que vous en semble , dictes en ?
31
BIAISTRE OtDART.
J'ay'son opinion ofiye.
Par ma foy, Monseigneur, il dit bien.
LE lUGE.
Délibérez sur ce moyen ,
Maistre Guillaume l'Abbateur.
l'abbatedr.
Quant à moy tousjours je me tien
A Toppinion du meilleur.
UltTGE.
Opinez : qui aJe meHleur?
Sus, Maistre Jacques Taffaictié ,
Que vous en semble , dictes en?
l'affaictié*
Par sainct Jacques , ilz ont trop bien
Dit ; faictes en le traictié , (1)
Gomme ilz ont dit formellement ;
Et qu'il n'y a aulcun blecé, (2)
Vous ferez bien et justement.
LE JUGE.
Or ça donc , pour abbregement ,
Oyez voz rsdsons très propices ,
Vous aurez ung appoinctement.
Mais il faut payer les espices ;
Se sont les droitz de noz offices ,
Et puys on vous appointera.
MAISTRE SIMON.
Monsieur, nous ne sommes pas nices ;
Ne vous chaille ; on y pensera.
3â
LE lUGE.
Le Juge appointé vous a
En telle façon et substance ,
Et dict que celle Simple aura
De cest amy la recreance ,
Despens réservez en sentence
Difl^itive ; sans doubter,
Oûy de chascune l'alegance (1)
Contraire , on vous peult appointer. (2)
Et viendrez vos faitz apporter
Par escript , sabmedy au soir,
Comme à ceste heure après souper :
S'il vous plaist, vous y viendrez veoin
l'acteur.
Par ce l'en peult appercevoir
Souvent , en mainte plaidoyrie ,
Ung homme afiSn de recepvoir
Estre ensemble juge et partie ,
Aussi l'Advocat qui playdie
Les causes , raisons et moyens,
Pourveu qu'il ayt la main gamye ,
Estre pour les deux aboyans.
Hais toutesfoys je n'en dys riens :
Et vous en vueille souvenir.
Pardonnez à mon simple sens;
A Dieu ; jusques au revenir.
Cy fine le plaidoyé de CoquiUart touchant
la Symple et la Rusée.
LINOUESTE
D^ENTRE
la Slmidle et la Rasée.
JLRGUMfiNT<
L'enquête ordonnée par le tribunal a eu lieu : TaOkire
revient à Taudience, et le juge-commissaire fait son
rapport. Il se demande si Ton peut cumuler le posses-
soire et le pétitoire, c^est-à-dire réclamer à la fois la
possession et la propriété d^un objet en litige, n se pro-
nonce pour Talfirmative avec le droit canon , en dépit
du code romain. Au XV* siècle, les luttes deVun et Tautre
droit étaient vives. Goquillart fait allusion aux res-
sources puisées par la chicane dans leurs contradictions.
A la même époque , il était fort question du possessoire
et du pétitoire en matière ecclésiastique. Les bénéfices
étaient sourent donnés en même temps à un impétrant
|Mr le collateur ordinaire , puis à un second solliciteur
par Rome ou par la cour de France. L^un d^eui se met-
tait en possession , Tautre le troublait en plaidant au
pétitoire. La discussion soulevée par le rapporteur était
à Tordre du Jour : aussi notre poète se permet-il d'en
plaisanter.
Le Juge adopte les conclusions du rapporteur et or-
donne que Tenquête fiiite au possessoire comme au pé-
titoire sera lue par le greffier. Les détails historiques
abondent dans les dépositions recueillies. Goquillart
donne à ses témoins des titres ridicules ou odieux \ il
fait passer devant le lecteur Thomme d'armes devenu
vagabond et pillard , la fille de joie , la religieuse sans
conduite , le prêtre débauché , Tagent du fisc avide et
sans pitié , Vofficier ministériel incapable et sans tenue.
S'il eût continué son œuvre, il aurait immolé tour-à-tour
à sa verve satjrique chaque état , chaque position so-
ciale : vices , abus , excès , violences politiques et autres,
auraient passé par le pilori. La troisième déposition
contient une violente satyre contre les débauches du
haut clergé ; dans la sixième , le notariat est sévèrement
traité. Regrettons que ces tableaux de mœurs , si pré-
eieux pour rbistolrei n'aient pas été plus nombreui :
GoquUlart s'arrête au milieu de sa procédure , et ne ré-
dige ni contre-enquête ni Jugement
Au moment où il monte en chaire pour eipliquer les
droits nouyeaux , il appelle des auditeurs de toutes
parts ; la Simple et la Rusée ne sont pas oubliées. « Votre
alhire | » leur dit-il, « aurait pu se terminer cette an-
née ; mais elle est remise indéfiniment. Une autre fois
on y pensera. » C'est ainsi quMl excuse son silence , et
cette plaisanterie est encore un trait lancé contre la
paresse et lindiflérence de la magistrature.
Quant au Mignon , on peut se rassi^r sur son sort :
il n'est pas en séquestre. La Simple a obtenu la ré-
oéanccy et TobJeC en litige ne dépérira pas bute de
soins.
Cy couffleHce TEi^ieste
tfeiire la Sunple el la lisée.
Or ça , maistre Jean TEstoffé ,
Qui jadis fustes eschauffé
Touchant mainte menue pensée ,
Vous sçavez que dès Tan passé
Y eust ung procès commencé
Entre la Simple et la Rusée ,
Dont la cause a esté plaldée
Et aussi liticontestée
Par devant vous , comme est notoire ;
Et , pour estre plus abrégée ,
Fut la recreance adjugée
A la Simple » et le possessoire.
Et au regard du petitoire ,
Fut appointé par vous encoire
Quel' prouveroit ses intentions ;
Et pour cela , vous debvez croire
Qu'elle bailla tout par mémoire,
Articles et positions ;
Lesquelles faisoyent mentions
De batures , séditions ,
D'excès , de partialité ,
De contracta , et de pactions ,
Et aussi de droitz et raisons
Qui touchent la propriété
38
Du mignon. En vérité ,
Cela fut par vous appoincté.
Et furent donnez Commissaires ^
Ausquelz la Rusée a porté.
Ainsi comme il est d'équité ,
Ses poinctz et interrogatoires :
Et la dicte Rusée encoires ,
Aux possessions et mémoires ,
Respondit tout pour le meilleur.
Au surplus, voicy peremptoires , (1)
Lesquek tantost seront notoires »
Et dont voua orrez la teneur.
Qr , soubz correction , Monseigneur ,
n semble qu'il y ayt erreur (2)
Bien grant , en cest appointement ;
C'est k savoir que ung possesseur
Soit en la cause demandeur ,
Et qu'il preuve totallement
Ses faitz , je ne sçay pas comment ;
Car nous avons communément ,
(Et de jure notissimo,)
Contre vous ung fort argument :
Qîiod poêsidenii, seurement ,
Nulta competit actio :
Imtituta et digestis,
( Aussi vray que je le dis , )
Au Paragraphe cum vero
De acquirendo dominio.
Le plus souvent invenio
In jure : quod probatio
Semper incumbit actori.
Et doncques pour cela je dy,
Quant est de ceste Simple cy
Laquelle a eu la recreance
39
Et possession de l'amy ,
S'il fault qu'elle prouve cecy ,
Se semble maulvaise sentence.
Mais se la Rusée , en substance ,
Veult obtenir la joûyssance
De ce mignon , elle debvroit ,
S'elle cuyde avoir sans doubtance
Sur le petitoire apparence ,
Prouver et poursuyvir son droit.
Au regard de ce , on pourroit
Respondre en ce point qu'il vouldroit ,
( Qui est bien vray ) se ung demandeur
Sur le possessoire intentoit
SeuUement et il obtenoit ,
Et parce qu'il fust détenteur
De la chose , le deffendeur
Qui se veult dire vray seigneur
Et qui la noyse renouvelle
Au petitoire , soyez seur ,
Qu'il se doibt tenir assailleur.
Pourquoy ? c'est une aultre querelle.
— Mais quant ensemble on interpelle
Les deux causes en ung libelle ,
Le demandeur en l'une , ( sans ce
Qu'on die que c'est aultre querelle )
Doibt l'autre prouver toute telle :
Car ce n'est que une mesme instance ;
Et de l'une et l'aultre allegance
Ensemble doibt estre traicté ;
Et le cas des deux , sans doubtance ,
Soubz ung mesme juge intenté :
Nam continentia causœ
Numquam non débet dividi.
Comme nous avons (Codice
àO
Dejudiciisj : la loy Nulli. (1)
Doncques que ceste Simple cy
A les deux causes intentées
Tout ensemble ; par elle aussi
Les deux doibvent estre prouvées :
Car ses demandes sont formées
En tout cas et à toutes fins :
Dont les escriptures baillées ,
Les registres et parchemins
Feront foy ; non pas ces badins
Qui corrumpent le Playdoyé ,
Ces vendeurs , ces forges latins :
Je n'ay point leurs faits advoué ;
S'ilz ont lourdement coppié
Et mis en une faulce voye ,
S'ilz ont erré ou desvoyé ,
Ce n'est pas ce que je queroye.
Qr, contre ce que je disoye.
J'argue : car de raison escript
On trouve ( qui n'est pas petit) :
Quod causa possessionis
Et causa proprietatis ,
Nil habent in se commune ;
Sed differunt quoad amne.
Comme il est mis formaliter
En la loy Naturaliter
(Digesiis) de acquirenda
Possessione .• et y a
Cela noté , et non pas mal ,
Dessus le chapitre final ,
Et de judiciis extra ,
In glossa ordinaria.
Puisque c'est chose si contraire ,
Je cuide qu'il soit fort à faire
41
Que on les puisse intenter ensemble
Et pour cecy, faict se me semble
Une loy Incerti juris ,
(Codice) , de InterdictU ,
Qui dit qu'on les doibt intenter
L'ung après Taultre sans doubter ,
Non point ensemble. Y a aussi
Une loy Ordinarii,
( Laquelle est mise Codice^
De rei vendicatione )
Qui baille ses enseignemens ;
Se semblent très fors argumens.
Mais voicy les solutions :
Il y a des oppinions
Bien diverses dessus ce cas ,
De Procureurs et d'Avocatz ,
De Docteurs et de gros masche sens ,
Et aussi d'aultres saiges gens ;
Et brief , Martinus et BcUdus (1)
kv&û Joannes , Accursius (2)
Gtossator juris civilis,
Stabant legibus predictis.
Soustenans qu'on ne pourroit pas
Intenter ainsi les deux cas ;
C'est à sçavoir le petitoire
Quant et quant le possessoire.
Mais quasi cœteri cmnes
Tenentes sacras Canones ,
Referunt in oppositum
Scilicet : quod est licitum
Eam et ex una instantia ; (S)
Et dicunt quod sententia
Nata de possessorio,
Incontinenti postea
42
Fcrtur de petitorio :
Vcl si quod pronuntiato (1)
Petitùris expresse,
Possessarium sub illo ^
Pronunciaiur tacite. (2)
Comme il est cotté et notté ,
Et trouvé per argumentum
In kge prima, Codice,
De ordine cognitionum.
Et de faict , ceste oppinion
Est bien certaine , se me semble ,
Qu'on les peult intenter ensemble ;
La quelle je veulx approuver ,
Pour nostre appoinctement saulver.
Car pour elle faict sans abbus (3)
Le chapitre cum dilectus ,
Qui est extra (se m'est advis)
De causa possessionis.
Et de la matière parle on
Quasi per totum titutum ,
Et ainsi comme je Tentens.
Et affin que les escoutans
Ne cuydent qu'il y ait erreur ,
J'ay dit , selon mon povre sens «
Ce qui m'a semblé le meilleur.
Laissons cela : ça , Monseigneur ,
Voicy nostre Enqueste scellée »
Et close sans quelque faveur.
Pour Dieu qu'elle soit publiée
Devant chascim ; à gueulle bée , (&)
Faictes la prononcer et lyre.
LE JUGE.
Vostre enqueste bien m'agrée : (5)
Je le veulx ; voulez vous rien dire ?
43
L ADYOGAT DE LA RUSEE.
Je proteste de contredire ,
£t de ses tesmoings reproucber.
l' ADYOGAT DE LA SIMPLE.
Et s'on veult riens sur eulx mesdire ,
Je proteste de les saulver.
LE JUGE.
Escripyez , Monsieur le Greffier ,
Leur protestation honneste ;
Et vous despeschez hault et clair, (1)
A coup , et lisez ceste Enqueste.
LE GREFFIER.
Tesmoings produictz à l'Enqueste (2)
De notable fenune et honneste
La Simple , en tout bien renommée ,
Sur la demande qu'elle a faicte
( Comme il est à tous manifeste , )
A rencontre de la Rusée ,
Examinez de plaine entrée
Par nous Geoffroy Chasse-marée ,
Regnault Prenstout , Massé Mauduit
Commissaires d'après disnée ,
Licenciez soubz la cheminée ,
Ouvriers pour enfourner pain cuyt. (3)
De quoy premièrement s'ensuyt
Le narré d'ung tesmoing produyt ,
Ouy de couraige joyeulx ,
Le jour et Fan que on dit
Mil quatre cent soixante dix-huit ,
Dont vous orrez ung mot ou deux.
LE PREMIER TESMOING.
Noble homme , hault , puissant et preux
ha
Messire Enguerrant Toutrageux ♦
Seigneur sur poulain entravé, (1)
En petitz faictz advantageux ,
Capitaine de plusieurs lieux ,
Et Chevallier sur le pavé
Pour servir de gibet à pié ,
Garde d'ung passaige estouppé ,
Aspre et cruel après la gouge ,
Fermier de Testang dérivé ,
Guemetier (sur tous approuvé)
Du sel qui croist en la mer Rouge ,
Aagé drâs une plaine bouge ,
Assennenté dessus ung crible ,
Respondit ( que homme ne bouge !
Vous orrez une droicte bible. )
Et]]desposa chose impossible ,
Connue vous orrez par escript :
Toutesfoys , elle est bien possible ,
S'il est sdnsi , comme il le dit.
Examiné, s'oncques il vit
Les personnes? — Respondit que oûy :
Qu'il congneut dès qu'il fut petit
La Simple et la Rusée aussi ;
Et jura qu'il estoit ainsi.
Examiné à sçavoir mon ,
S'il congnoist point , touchant cecy ,
Ung que on appelle le mignon ,
Dont il est présent question ?
— Respond qu'il le congnoist vrayement
Et qu'il a esté compaignon
Maintes foys dudict déposant ;
Qu'ensemble ihc ont hanté souvent
Avecques mainctes bourgeoisettes ,
45
Comme font marchant à marchand
Touchant leurs petites chosettes :
Et ont faict mainctes besongnettes ,
Mainctz petis bancquetz , mamctz fatras ,
Et maintes assemblées secrettes
Dequoy ilz ne se vantent pas ;
Et faisoient les deux gorgias ,
Entretenant ce monopolle
Ensemble, par tout leur pourchas ,
Pour besongner en terre molle ;
Et du temps qu'ilz hantoient l'escoUe »
Toute leur resolution
N'estoit jamais d'aultre paroUe
Que du faict d'habitation.
Examiné à sçavoir mon ,
S'il sçet point , sur ce contenu ,
Que aulcunes foys ledict mignon
Ay t à la Simple appartenu ?
— Respond qu'il l'a entretenu ,
Et luy souvient bien qu'il veoit
Que le mignon , comme tenu
A elle , souvent en parloit ;
Et que icelluy la souhaittoit
En tout , et par tout , et tousjours ,
Quasi comme s'il la tenoit
Sa seulle Dame par amours.
Avec se , disoit tous les jours
Au dict déposant , que la dicte
Sur toutes aultres avoit cours
Pour estre propre, gente et miste , (1)
Combien qu'elle fust fort petite ;
Et que , touchant la courtoisie ,
Une dragme prînse à l'eslite
En valoit bien livre et demye.
Oultrc , examiné de la vie
Dudict mignon , s'il peult sçavoir
Que il ayt point quelque aultre amye?
— Dit qu'il ne le peult concepvoir
Qu*ung aultre l'eust peu decepvoir ;
Et que par aulcune manière
Estoit ainsi , et croyt pour voir (1)
Que la Simple estoit singulière. (2)
Et oultre sur ceste matière
Examiné , pour quelle raison (S)
La Simple estoit familliere
Et maistresse dudict mignon ,
Se c*estoit par vendition ,
Ou par contract , ou par abus ,
S'il en sçet rien ? — Repond que non.
Ces motz furent par moy concludz.
Interrogé, quant au surplus.
Sur le faict de ceste assemblée ,
Jure et respond qu'il n'en sçet plus ,
Au moins qui touche la meslée.
LE SECOND TESMOING.
Et lendemain , ladicte année , (4)
Fut oûye ceste déposante ,
Et par nous comme sui&sante ,
Bien et deuêment examinée.
Noble Dame , haulte atoumée ,
Dame Florence Tescomée ,
A longue eschine , plate forcelle ,
Allant de nuit sur la vesprée ,
Princesse de basse contrée ,
Et preste à chevaucher sans selle ;
Dame quant elle a son escuelle ,
Refaicte comme une groselle ,
47
Gorgée comme ung oyseau de proye i
Fassonnée comme une chandelle ,
Durette comme une prunelle ,
Et cordée comme une lamproye ,
Aagée comme une vieille oye ,
Oûye comme dessus est dit ,
Interroguée la droicte voye ,
Déposa tout ce qu'il sensuyt.
Et de prime face nous dit ,
Qu'elle avoit d'aultre foys esté
Cointe , mignonne , ayant le bruit (1)
Touchant toute joyeuseté ;
Mais que son temps estoit passé :
Toutesfois qu'elle valoit bien
Les gaiges d'ung Archier cassé ,
Pour^trouver quelque bon moyen ;
Du surplus ne servoit à rien ,
Fors à boire comme une cane :
La raison', car son cordouen ,
Estoit ja devenu basane.
Examiné raison moyenne ,
S' elle congnoist point la Rusée ?
— Respond qu'elle est Parisienne ,
Grosse courte , bien entassée ,
Tousjours une fesse troussée ,
Le bec ouvert , l'œil enUillé (2)
Pour bien chasser à la pipée (3)
Et prendre quelqu'ung au caillé , (A)
Petit musequin esveillé ,
Preste à donner l'eschantillon
A quelque grobis esmaillé ,
Contrefaisant l'esmerillon. ^
Et puis quant on a Tesguillon
Et qu'on se sent de restincelle ,
On faict comme le papillon
Qui se brusle à la chandelle :
Et pensez , qui n*a bonne belle
Pour soy contregarder du chault , (1)
On est mis à la kyrielle ,
Avec le passetempâ Micbault.
Au surplus , déposa tout hault
Qu'elle congnoissoit le mignon ,
Et que c'estoit ung beau ribault ^
Franc , frais « Trasé comme ung oignon ,
Là daguette sur le rongnon
Troussée comme une belle poche ,
Fleury comme ung champignon ,
Verdelet comme une espinoche ;
Lequel a mis maintz motz en coche
Et mainte parolle glosée ,
Et faict souldre mainte reproche
Entre la Simple et la Rusée :
Comme il advint , Tannée passée ,
Qu'un banquet là où il estoit ,
Après une dance dancée
Avec la Simple qu'il menoit,
La Rusée l'en despitoit
Et commença fort à pallir :
Et de faict , comme on s'en venoit ,
Elle vint la Simple assaillh-
Ea luy mist au bec , sans faillir ,
Ung tas de menues tricdondaines ,
Qui la firent bien tressaillir.
— L'une dit : vos fièvres quartaines,
Et l'çiutre : vous perdez vos peines.
— L'une dit : va — l'autre dit : vien.
— L'une dit ung tas de fredaines ,
&9
Et Vautre qu'il n'en estoit rien;
— La Simple disoit : il est mien ,
L'autre dit : vous ne l'aurez pas.
— L'une disoit : je l'entretien ,
L'autre je le tiens en mes laz.
— Puis sept— puis dix— puis hault— puis bas :
Ung grand ha hay — ung grant hola. (1)
— Tost f tard , je l'aurai — non auras.
— C'est toy ? — mais moy — non a — si ha; (2)
Ung grant haria quaria ,
Ung plet , ung débat , ung procès :
— J'ay faict — je feray — on verra.
— Je fonce — je dis bruit — je metz.
— Je luy viens à gré — je luy plaiz.
— Je faitz tout — je faitz dyablerie.
— Je suis plus belle que tu n'es ;
— Mais moy, par la Vierge Marie, (3)
Brief , à oûyr leur resverie ,
Comment l'une l'autre guermente ,
S'estoit une droicte faerie, (&)
Comme dit celle déposante ,
Laquelle y fut tousjours présente :
Et s'elle n'eust deffaict la meslée ,
Elle croit de vray et se vante
Que l'une eust esté affoUée.
Car comme elle dit , la Rusée
Ne taschoit si non à paigner, (6)
Et de lascher quelque baulfrée ,
A mordre , ou à esgratigner.
Quant le mignon vit rechiner (6)
En ce point , sans plus enquérir ,
De paour qu'on le vint empoigner ,
Il fut saige ; et luy d'escarrir.
La Rusée se print à marrir
k
50
De plus en plus , et se ti*aubler ;
Et jura, selle debvoit mourir, (1)
La nuyt qu'elle Tyroit ribler.
S'elle sçet personne assembler
Sur ce cas , par aucun moyen ,
Pour soy préparer d'y aller?
— La déposante n*en sçet rien.
Examiné s*elle sçet bien
A qui appartient ce mignon ?
A la Simple? quoi? et combien ?
— Aultre chose n'en sçet , si non ,
Qu'elle croyt mieulx qu'il fust à l'une
Qu'à l'autre ; car le compaignon
Y passoit souvent sa fortune.
Mais du surplus de la rancune ,
Ne troys , ne deux , ne six , ne sept ,
Soit sur quelqu'ung , ou sur quelqu'une»
Elle jure que plus n'en sçet
LE TIER9 TESMOING.
Et ce dit jour , d'ong mesme traict »
Le soir , au son d'une flutte ,
Fut oûy ce tesmoing de faict
Qui de tout ce cas nous députe ,
Vénérable personne et juste ,
Maistre Bidault de Cullebutte ,
Ghappellain d'ammanche faucille ,
Grant abbateur de prime lutte ,
Chanoine de longue barbutte, (2)
Et Curé de saincte Bazîlle ,
Hospitallia* de mainte fille ,
Doyen de par la belle drille , (8)
Archeprestre d'escaîBc ncux , (4)
Achediacre de trousse quille , (5)
51
En TEsglise de saincte Cheville
Sur le pays de Muscannoys ,
Aagé d*aDS quelque trente trois.
Assermenté delamdlée (1)
Nous dèclaira à haulte voix ,
Qu'il en diroit sa ratellée ;
Et fist serment de plaine entrée ,
Qu'il congnoissoit les personnaîges ,
Tant la Simple que la Rusée ,
Lesquelles ne sont gueres ssdges.
Dit plus , qu'il a faict maintz voyages ,
Porté lettres puis ça , puis là ,
Et faict en amours maintz messaîges
Dont il a eu les biens qu'il a ;
Et que de cest art se mesla
Jadis , tout par tout , en maint lieu ;
Et a esté duict à cela
Fust en grec , latin , ou hebrieu :
Et pour ce cas , pour cest adveu (2)
Servit et fut très familier
Du Révérend Père en Dieu
L'Evesque de pince dadîer ;
Lequel estoit trop coustumier ,
En chambre natée loing de rue ,
En lieu d'aultour et de lasnier ,
De tenir des garces en mue. (8)
C'estoit tousjours sa revenue ;
• Et failloit ung grant gibacier (â)
Plain de rouelles de leton ,
Lequel son maistre Faulconnier
Attachoit au bout d'ung baston ;
Quant lesym phes oyoîent le son ,
Tant fussent-ilz voilées loing ,
Elles accouroyent de grant randon
52
Eux rendre à deux coups sur le poing.
Le déposant avoit le soing ;
Et à cause de son office ,
Pour ce qu elle faisoit besoing ,
En a eu maint bon bénéfice.
Or sur la matière propice (1)
Dont il est présent question ,
Interrogué , sans aucun vice ,
S'il sçet à qui est ce mignon ?
— Ledit déposant dit que non ,
Et qu'il ne sçet à qui il est ,
Ne à qui il appartient , sinon
4u premier qui la main y mect ;
Et dit que le droit le permect.
Nom injure reperitur :
Quod nullius in bonis est, (2)
Occupanti conceditur.
Si ce mignon « ut dicitur ,
N'appartient à honome vivant ,
11 fault dire pour le plus seur
Qu'il soit au premier occupant ,
Il oc est , le premier qui le prent ^
Sans quelque difficulté;
Supposé qu'il ne soit pourtant
In aliéna potestate ;
Mais qu'il ait franche voulenté
Et franc arbitre en tout usaiges
Et qu'il puisse yver et esté ,
Courir par buissons et bocages^
Gomme font ses bestes sauvaiges.
Et nous dit : (si hoc sit verum)
Qu'il tient des natures ramages
Apum et Galiinarum,
Siauferat compectum; (3)
53
QiUB pars , dit le déposant ,
52 non habuerit animvm
Plus revertendi (qui s'entend)
Encores au premier occupant.
— D'elles, la Simple et la Rusée? (1)
— Sur ceste demande formée ,
Dit que elle qui peult coucher (2)
Avecques luy quelque nuytée
Pour le faire bien esmouscher ,
Devant que l'autre y puist toucher ,
(Cela selon le droit s'entend)
Qu'elle doibt estre , sans reprocher ,
Tenue la première occupant :
Et s' elle avoit peu faire tant ,
Que le mignon soir ou matin
La vint veoir ordinairement (3)
Et luy bailler le picotin.
Et s'il est en quelque advertin
Parquoy il ait laissé cela ,
Dit : de rechef, il est enclin
D'estre au premier qui le prendra.
Et combien quod hœc omnia
Si suntjura et non facta.
Que en noz Enquestes on n'a
Que faire d'y bouter cecy ,
Toutesfois déposa ainsi
Ledict tesmoing et de la sorte ,
Par telle forme et par tel si ,
Comme l'escripture le porte.
Du surplus , comme il se comporte ,
Jure sa foy qu'il n'en sçet rien ;
Du tout en tout il s'en rapporte
iux aultres qui le sçavent bien.
54
LE QUART TESMOING.
Et lendemain , aodîct an ,
Par nous , en faisant bonne chère
La veille de sainct Godegran , (1)
Fut oQye ceste menasgere ,
Dame de bonté singulière ,
Valentine irreguliere , (2)
Religieuse de Frevauk ,
Abbesse de hauHe culi«*e ,
Prieure de longue barbiere (3)
Du Diocèse de Bourdeauh ,
Aumousniere de vieulx naveaulx ,
Gardianne de vieuk drappeaulx ,
Le dos esgu comme une botte,
Chevauchant à quatre chevauk
Sans estrivieres ne houseaulx ,
Et ridée comme une marmote ,
Aagée comme une vi^e cotte ,
Jura sur ung gras cbappon cuyt , (&)
Demy saige et demy bigotte ,
Déposa tout ce qui s'ensmt :
Et de prime face nous dit
Qu'il est vray que l'année passée
n y eu3t ung terrible bruit
Entre la Simple et la Rusée ,
Pour la cause qu'a déposée
Noble Dame hault atoumée
Pâme Florence l'escomée ,
Laquelle a narré tout cela :
Tant que la Rusée se ravisa ,
Et pour ce mignon accabler
Une nuytée délibéra
Qu'elle mesme Firoitribler :
55
Et fist des fdles assembler
Environ quarante ou cinquante ;
De faict les pria d'y aller
Avecques celle déposante ,
Laquelle y fut tousjours présente
Avecques d'aultres ung grand tas.
C'est assavoii* : Margot la gente «
Jaqueline de Carpentras ,
Olive de gaste fatras , (1)
Hugueline de cote crotée, (2)
Marlon de traine poetras ,
Et Julienne Tesgarée , (8) .
Cristîne la découloiu^ée ,
Egyptienne la pompeuse ,
Augustine la mauparée ,
Bertheline la rioteuse , (&)
Sansonnette lourde grimasse , (5)
Henriette la marmiteuse ,
Guillemette porte cuyrasse ,
Ragonde michelon beccasse ,
Regnaudine la rondelette ,
Laurence la grant chiche face
Demourant à la pourcellette ,
Jacquette la blanche fleurette , (6)
Tiennon la cousine Yolant , (7)
Edeline pisse collette .
Maistresse de la truye volant ,
Freminette de mal tallent,
Gefiine petit fretillon ,
Raulequine de Fesquillon ,
Josseline de becquillon ,
Et Dame Bietrix demourant
En la rue du Carrillon
A l'ymage du Gormorant ,
Toutes filles d'ung père grant :
50
LesqueDesde faict apensée, (1)
Ayant leurs oliviers courant »
Acompaignerent la Rusée
Et yindrent avec le déposant »
Contrefaisant la grosse armée ,
Affin d'avoir ceste despoUilIe :
Dont chascun avoit son espée »
Ou à tout le monde sa quenouille ;
L'une crie et l'aultre fatrouiUe ;
L'une avoit ung escouvillon
De four ; l'une Taultre brouille ;
Et l'autre portoit ung pillon.
Et vindrent toutes , se dit l'on ,
A la Simple par bonne sorte ,
En criant : se nous la trouvons ,
On peult bien dire qu'elle est morte.
Et de faict par puissance forte ,
A tout ung gros chevron de boys
Vous vindrent accabler la porte , (2)
Et fraper des coups plus de troys, (S)
Hads de leur malheur toutesfoys,
Elles ouyrent quelq'ung venir ,
Qui d'une vessie plaine de poys
Les en fist toutes enfouyr ,
Et de vuider et de courir ,
Et la Rusée toute première.
Bref, on les fist bien escarrir,
Que ame ne demeura derrière , (A)
Sinon une vieille tripière
Qui avoit une jambe enflée ,
Laquelle couroit la dernière ,
Après toute ceste assemblée.
L'une crioit : je suis blessée.
— L'autre : j'ay laissé ma massue.
— Et l'autre : je suis affolée ;
57
Helas ! m'amye je suis perdue.
— Et vous couroyent parmy la rue ,
Gettant ung si terrible cry ,
Tant que la Ville en fust esmeuë
Et le commun tout esbahy,
Examiné après cecy ,
Se quelq'une fut point fourbie?
— Respond et jure que nenny :
Qui n'y eust aultre baterie.
Mais , se n'eust esté la vessie
Qui en ce point espouventa ,
Il y eust eu grande tuerie ,
Avant qu'on fust party de là.
r
Examiné cahy, caha,
A qui appartient ce mignon ?
— Dist qu'elle ne sçet riens de cela :
Mais selon bon droit et raison ,
Se quelque bourgeoise a le nom
D'avoir amy , se une aultre femme
L'usurpe par ambition ,
Elle est réputée pour infâme.
Toute envie et toute diffame ,
Tout mal, toute sédition,
Toute malle voulenté , tout blasme
S'engendre par corruption.
Aussi, comme elle dit, voit-on
Des plus succrées et plus parées ,
Par faulce subornation
Bien piteusement désolées ;
Et les plus esmerillonnées
Ont entre elles inimitié ,
Et font de maulvaises traînées ;
Dont c'est une grande pitié.
58
Et dit que, selon l'équité.
Celle là qui est trouvée telle ,
Doibt estre pour sa mauvaistié
Punie de peine corporelle.
Du demourant de la querelle
Examinée , respond et dit
Qu'elle n'en sçet aultre nouvelle t
A tout le moins touchant ce bruit.
LE QUINT TESMOING.
Et ce dit jour, heure de nuyt,
Sans tenir Digeste ne Code ,
Fut oQy , cestuy qui s'ensuit ,
Par nous derrière une custode :
Godeilroy d' Arrachasse brode , (1)
Escuyer à la vieille mode ,
Homme d'arme par toutes voyes,
Aagé comme une vieille gode ,
Fort et puissant conune ung Herode
Pour esgossiller grosses oyes ,
Grant gênerai de morte payes ,
Tenant à ferme vieilles brayes ,
Résidant au hault et au loing ,
Concierge de buissons et de hayes,
Et maistre des faulces monnoyes
Qui sont forgées à double coing ,
Produit et oûy pour tesmoîng , .
Cessant toute suspition ,
Jure , comme il estoit besoing :
Nous dit sa déposition.
Et premièrement qu'environ
Dix ans a , ledict déposant
Congneut la Simple et le mignon ,
Et la Rusée semblablement ;
59
Et , jamais ne fut si enfant
Qu'il n'ouyst racompter tousjours
Que la Rusée principallement
Se mestoit d*aymer par amours ,
Et qu'elle sçavoit tant de tours ,
Tant de ruses , tant de blason ,
Qu'elle entretenoit les plus gourdz
Et leur faisoit bien leur raison.
Examiné si ce mignon
Est à la Simple? — Et , se ainsi est,
Qu'il nous declaire assavoir mon
S'il vient de propre ou de conquest.
S'il vient de naissance ou d'acquest ,
S'il vient d'apport ou de douaire ,
Comme elle l'a eu, et que c'est ,
Et que tout ce cas nous declaire ?
— Respond qu'il y a grand mystère ,
Et que la Rusée , ce dit-on ,
Avoit jadis une commère
Appellée la grant Alison :
Laquelle tenoit ce mignon
Et l'entretint longtemps , et l'eust ,
Comme on dit , par succession
De sa feu tante qui mourust ; (1)
De laquelle tante elle fust
Héritière , comme est notoire ,
Et , comme depuis on congneust ,
Par bénéfice d'inventoire :
Et tous les biens mis par mémoire^ ,
Deducto cUieno jure j
On treuve que de reste encoire
Ce mignon luy est demouré ,
Et qu'elle l'a longtemps aymé ,
60
Et fadct maintes bonnes chosettes ,
Entretenu , bavé , gallé ,
Avec plusieurs œuvres secrettes ,
Et en faisant ces besongnettes , (1)
Ainsi qu'on ne se doubte pas :
Après toutes aultres sornettes
Elle alla de vie à trépas
Sans hoirs , héritiers , ou parens ;
Entre lesquelz ce gorgias
Demoura tout seul , sur les rens :
Et fut doncques, par ces moyens ,
Sans y mettre aulcuns contreditz ,
Comme les autres biens vacans ,
In bonis hœreditatis.
Et pourtant non dubitetis,
Quod quœcunque acquirebat ,
Ante adventum hœredis,
Hereditati quœrebat;
Et sic illud concernebat
Hœredes post ea factos.
Au fort laissons tout ce débat ,
Et venons à nostre propos :
Ledict déposant en brefz motz
Nous dit que le Roy succéda
A ses biens vacans tout en gros ,
Et ledict mignon posséda.
Toutesfoys depuis il laissa
Toute ceste succession
A Tanneguy de Baillera,
Qui estoit son grant eschansson.
Peu de temps après le mignon
Impetra d'iceluy Seigneur
Lettres de manumission ,
Soubz umbre de quelque couleur
61
Qu'il estoit ung bon serviteur :
Et fut, par bien jouer du plat,
Par ses lettres et leur teneur (1)
Remis en son premier estât.
Et estoyent les lettres d'ung dat
Dattées en formes d'escrouë ,
Escript dessus ung grant fiât, (2)
Signé maistre Jehan Tortemouë ,
Présent Olivier Patte-d'ouë , (3)
Yvonnet d'Empoigne-clicaille ,
Maistre Hervé de Crocque-pouë
Secrétaire de basse taille ;
Et lesdictes lettres sans faille , (A)
Bien et deuëment interinées
Par Monseigneur Vaille-que-vaille ,
Juge de grasses matinées.
Or laissons toutes ces traînées.
Examiné après , comment
La Simple , par quelz destinées ,
Peult avoir le gouvernement
Du mignon ? — Dépose briefvement (5)
Que, après qu'il fust à devis ^
Comme dit a esté devant ,
Il alla gaudir à Paris
Et hanta tous legiers espritz ,
Gorglas ,'enfans de plaisance ,
Et eut par telz charivariz
De la Simple grant congnoissance.
Or par vertu de l'acointance
Et de sa gorgiaseté ,
Une secrette intelligence
Les mist en grande ]M*ivaulté.
Depuis par amours ont hanté
Souvent l'ung l'autre ; ilz se trouvèrent
62
Eux deux à une youlenté.
Vêla comment ils s'entraymerent ;
Et tousjours &i bien s'accordèrent
Sans couroucer , ne rechigner ,
Que je cuyde qu'ilz besongnerent
Ainsi qu'il falloit besongner.
Et ce mignon , pour abréger ,
Pour la rémunération
Des biens faits , se veult obliger
Et mettre en la subjection
De ceste Simple , ce ditr-on.
Et depuis fut abandonné
A elle : ainsi fûct pactum
\estium traditione.
Item usurpatione j
Elle en acquist la seigneurie :
Car elle en a joûy et usé
Dudict mignon toute sa vie.
Au regard de la baterie ,
Et aussi sur les aultres pointz ,
Dépose de la broûillerie
Comme on faict les autres tesmoingz :
Et ce dict tout, ne plus ne moins. (1)
LE SIXIESME TESlfOING.
Et ce mesme jour sur la brune •
Fut ouy sans aller plus loing
Quelq'un qui nous en bailla d'une ,
Maistre Mathieu de Hoche-prune , (2)
Recepveur de riffle pecune ,
Reformateur de tous coquus , (3)
Grant cousin de Happe la lune ,
Espicier de dragée commune ,
Et marchant de moules à culz ,
6S
Seelleur de harnoys esmoulus ,
Greffier sur le faict des esleuz ,
Escripvant en lettre de forme ,
Patron des enfans dissolus ,
Notaire en parchemin de corne , (1)
Et grant Advocat dessoubz l'orme ,
Juré sans reigle ne sans norme ,
Aagé de je ne sçay combien ,
Interrogué , sans se qu'il donne,
Nous a dit tout le tu autem.
Et tout premièrement , que Fan
Mil quatre cens soixante et dix ,
La propre veille de s^dnt Jehan ,
En la sepmaine à deux jeudis ,
( Par ses paroUes et ses dictz (2)
'Dont n'est ja besoing de soy taire , )
Avecques d'aultres estourdiz
Il fut faict et créé Notaire
Au Baillage de Pauquaire , (S)
Présent maistre Lucas Pillette ,
Aussi Monsieur le Gonunissaire ,
Maistre Artus de Tourne-molette ,
Messire Dreux Barbe-follette ,
Maistre Adam de Tire-lambeaux ,
Maistre Gringenault Ghevillete
Grant Conseiller des Generaulx,,
Maistre Ponce Arrache-boyaulx ,
Maistre Gratien Taste-mistre (A)
Audiencier de faitz nouveaulx
Et contrerolleiu* de belistre ,
Maistre Marpault de Ghante-epistre ,
Maistre Florentin Teste-molle , (5)
Crachant tousjours loy ou chapistre
Et résolus comme Bertholle ,
6&
Clercz quant ilz ont leur portecolle 9
Racheteurs de rentes fondues, (1)
Et touchant Testât de Tescolle
Advocats de causes perdues ; (2)
Ce déposant , en plaines rues (3)
Fut faict Notaire ; et par excez
Passa des lettres bien cornues ,
Comme vous orrés cy après ;
Et eut en ceste office accez ,
Et en fut vestu et saisy ,
Par le trespas et le decez
De feu Michelet Mauchoisy ,
Lequel , pour passer ung nisi
Et faire une monition
En vieil parchemin tout moisy ,
Estoit ung ouvrier de renom.
Or dit après que le mignon
Et la Simple vindrent à luy ,
Pour passer l'obligation
Sur le faict de ce dict amy.
Et brief , qu'il la p^ssa ainsi ;
Et y avoyt , se luy sembloit ,
Que le dict mignon par tel sy
A ceste Simple s'obligeoit
Et en ses mains luy promettoit ,
Par ses mains corporellement
Sur ce données , qu'il serviroit (â)
Ladicte Simple complaignant ,
Et luy presteroit franchement
Son corps , s' elle en avoit affaire ,
De bon gré , vouluntairement ,
Sans jamais venir au contraire ,
Sans émanciper, ou retraire
Ailleurs , sans faire en luy nuysant
65
Chose qui luy doibve desplaire * •
Mais tousjours luy seroit duisant :
Et en l'accolant et baisant
Feroit ses opérations ;
Et renonça , en ce faisant,
A toutes faulces actions , (1)
Tromperies , exceptions ,
Respis , lettres et instrumens ,
Quinquenelles , dilations ,
Privilèges et aultrement ,
Et à tout generallement
Contraire à ceste paction ,
Mesmement au droit reprouvant (2)
Toute renonciation»
Et par sa déposition
Dist ledict tesmoing qu'il passa
Avec ceste obligation , (3)
Et que le mignon confessa ,
Et encores ratiffia
Tout ce qui avoit esté faict.
Et vêla comment il s'en va :
Et dit qu'autre chose n'en sçet,
Oultre examiné en secret
Touchant les abus infinis
De la Rusée ? — Respond de faict
Comme les temoîngs dessùsdictz :
Les ditz desquelz icy reduictz
Avons , en toute diligence ,
Bien examinez et exquis ,
Tout selon Dieu et conscience :
Et lesdictz tesmoings , sans doubtance ,
ft*oduis par la demanderesse ,
Jurés et oûys en l'absence
De ladicte deffenderesse.
66
Et en besongnant sans paresse,
Par nous ceste présente année ,
La Feste de nostre Parroisse ,
A esté l'Enqueste achevée.
Signée GefFroy Chasse-niarée ,
Regnault Prent-tout , Macé Maudît» (1)
Commissaires d'après disnée ,
Gomme dessus a esté dict.
Cy finit CEnqueste d'entre ta Simple et
la Rusée,
LES DROITS NOUVEAUX
DE
Naislre GuiUaome Coquillart.
ARGUMSNT<
Sous les faibles descendants de Gharlemagne, Tunité
monarchique fut bientôt brisée; celle de la loi eut le
méffle sort. Chaque pays eut son code. 11 en ftit ainsi
jusqu'au moment où les lois recueillies par Justinien re-
parurent sur rhorizon. Les provinces du midi se sou-
mirent facilement au droit écrit ; les bommes du nord
s'en tinrent au droit coutumier. Cette anarchie conve-
nait à la féodalité : avec ses lois particulières , ses mon*
naies , ses châteaux, ses soldats , elle régnait, gouver-
nait , et ne voulait pas abdiquer. Vinrent enfin les héros
de la monarchie : Philippe- Auguste et Charles V lut-
tèrent contre Thydre féodale, et surent abattre quelques-
unes de ses têtes. Sous- Charles Yl , TAnglais, maître
de Paris ^ rendit des ordonnances , dicta des lois , in)-
posa ses coutumes. Charles VU profita de ces blessures
faites à Thonneur national pour provoquer la rédaction
de toutes les coutumes de France : les malheurs de
son règne ne lui permirent pas de mettre à exécution
ce libéral projet. Louis XI se décida, dans les der-
nières années de son règne , à ordonner que les cou-
tumes de chaque bailliage seraient réunies , discutées et
constituées en corps de lois. En 1481 , une commis-
sion fut nommée pour rédiger celles de Reims. Ce Ait
une affaire d'état : révision des lois civiles et pénales ,
réformes politiques et religieuses devinrent le siyet de
toutes les conversations. La curiosité publique était
éveillée; Toccasion était belle pour faire une satyre
et flétrir abus et scandales : Coquillart ne la manque
pas. 11 monte en chaire , il annonce qu'il va professer
les nouvelles lois^ les droits nouveaux, les droits à la
mode; il appelle à lui capitaines, avocats, médecins,
magistrats , hommes d'armes , artistes et gens de lettres.
L^auditoire est réuni ; la foule est à ses pieds , silencieuse
et attentive : alors le hardi frondeur livre à la société
de son temps un assaut en règle : il Tattaque à coups de
bélier : traits et dards, projectiles de toutes sortes
pleuveol sur elle ; il livre lour-à-tour à la risée publique
la Ténalité des amourt , rincoDUnence des femmes ma-
riées, la fritollté de la Jeunesse et les modes exagérées
qu'elle adopte, rindiOéreBce et la èmulité des maris,
le reAis que font les Jeunes femmes coquettes de nour-
rir leurs enllints , le luxe elfréné et les toilettes rui-
neuses , les fraudes et les friponneries qu^splrent l'a-
môur du gain, rUnirersité et ses viees, la vanité
des mères, les dépenses excessives qui mènent les
fioauBes à te prottitoer , la vanité des panrenus, celle
des riches keurgealses , ta débauche maîtresse de cer-
tains eourenit , ta féale des hénéaees ecclésiastiques ,
ta réfOCillM d» ta pngw a Hqa e sanction , ta corruption
des iéputia aui Ëlats-généranx , ta proxénétisme , ses
frandes ^ vM tniNraité , les rases des femmes gâtantes
et ta taurilerfe des gens du monde f ta médisance , V In-
dlscfétlM des amonrenx et ta paittence intéfeasée des
maris liompéa. Au mlliea de cette targe mêlée , te poète
tance mille traita épars : me phrase, un hémistiche,
un mot souieM porte eeup. Le poëme se divise en ru-
briques, titres et chapitres : il a rapparence d^ code.
De temps à autre svrgiMent des locutions empruntées
ironiquement soit au texte des coutumes locales , soit
à la Mgirtitfon romaine. L« satyrique ne heurte pas de
tmoî les vices cl tas abus ; H a Tair de plaider pour eux
et proBonccr en leur taveur l^rtèt rendu par la cortup-
tioB du temps : eoiHgaî lidenèo mores, Goquillart
n*avait pas tout dit : à ta fin de sa aatyre , t annonce
qu^ remet à Tannée prochaine ta sulle de ses cours ;
il demande pardon aux dames , et les assure qu^il n^
Torin que ptaisanfer ; pids sa financfaise reprend le des-
sus-sur ta g s i a n terl e , et «Re finit par dire :
Mail en tom liens et bas et lianlx
SouTienae tous de» droits nouvemalx.
S'ensuyveBt les Broits ioiv«m
àt CoqoUlart.
{tofuiièct (Partie.
Frisques mignons , bruyans enifans ,
Monde nouveau , gens trîumphans ,
Peuple tout confit en images ,
Parfaits ouvriers , grans màitres Jëhans »
Toujours pensans , veillans , songeans
A bastir quelques haulx ouvrages ,
Farouches , privez et ramaiges ,
Humains , courtois , béguins , sauvages ,
Dissimulateurs , inventeurs , (1)
Cueur actif , et saiTres couraiges , (2)
Laissez bourgades et villaiges , (3)
AfGn d'estre nos auditeurs.
Venez ,venez soï)hiâtiqueurs ,
Gens instruits , plaisons , tôpiqueurs ,
Remplis de càutelles latentes,
Expers , habilles , déclitjUeujns , (4)
Orateurs , grand Rh^ètoriqtieûrd
Garnis de langues esclatatites ,
Aprenés nos modes fringantes
Et nos paroUes élégantes ,
Nos raisons, nos termes juristes :
Nos sciences vous sont duisantes
72
Et nos traditives plaisantes ,
Et nos enseignemens bien mistes.
Venez pompans , bruyans Légistes :
Mededns et Ypocratistes ;
Laissez vos saulces et vos moustardes.
Venez , mignons Curialistes ,
Musiciens et Organistes ,
Et laissez vos harpes lombardes : (1)
Archiers , hûssez vos halebardes :
Canonniers « laissez vos bombardes :
Piétons , laissez yoUer vos picques :
Mignons , laissez chevaolx et bardes ,
Vos grands battons , vos Becs d'oustardes :
Sophistes , laissez voz Logiques :
Ystoriens , laissez Croniques :
Gouverneurs, laissez Politiques :
Conseillers , lûssez vos rapors :
Orateurs» laissez Rhétoriques :
Avocatz , laissez vos pratiques :
Generaulx , laissez vos trésors :
Baillifz 9 laissez vos grans ressors ,
Vos fins, vos limites, vos hors ; (2)
Capitaines, laissez conquestes ;
Laissez conseils faveurs et ports :
Tous autres pensements soyent mors «
Jusques à la fin de ces festes :
Procureurs , laissez les requestes :
Commissaires , laissez enquestes.
Ma science est trop plus prisée ;
Ouvrez vos yeuk , fendes vos testes ,
Oyez nos sciences honnêtes ,
Puisque l'heure y estjdisposée.
Venez , la Symple et la Rusée
78
Qui avez la court abusée ,
Venez , on vous enseignera.
La cause eust été terminée
Entre vous deux ; mais ceste année
Je cuide qu'elle surcerra : (1)
Une aultre foys on y pensera.
— Escoutés donc ce qu'on dira ,
Aprenez , soyez clergeresses : (2)
Quelque mot vous y servira
Quant Tarrest se prononcera
D'entre vous aultres plaideresses.
Ça , mes mignonnes danceresses ,
Mes très plaisantes bavarresses ,
Délaissez vos amoureux traitz :
Mes grandes entreteneresses ,
Combien que vous soyez maitresses ,
Escoutez nos moyens parfaicts.
Cloez l'œil de : je hay telz fais ; (3)
Les paupières de : je m'en tais ; (â)
L'oreille de : tout sonne cas ;
La langue de : tout est mauvais ;
La bouche de : laisse m'en paix ;
Et les dens de : ne me plaist pas.
Prenez l'art de : je m'en esbas; (5)
L'ardeur de : vêla ung bon p^ ;
Le vouloir de : on ne me peult mieulx dire ;
Les grands gestes de parler bas ; (6)
La façon de : vêla mon cas ;
Et le ris de : grand mercy , Sire.
Quant est de moy , pour vous instruire,
Pour vous recréer et desduire ,
J'ay vestu ma chappe d'honneur,
Mon chapperon fourré pour lire^,
74
Mon pulpitre pour plus hault luire , (l)
Et mon bonnet rond de Docteur ,
Ma grant lenteme de liseur ,
Mon livre pour estre plus seur
Sans faillir ne sans repentir.
Les Dames par leur doulceur ,
A ce faire m'ont meu le cueur :
Honneste cueur ne peult mentir.
Ça , mignons, pour vous advertir ,
Puis que on voit vos anciens droitz (2)
€asser, annuller , pervertir , (3)
Par la confusion des Loys ,
Et que j*apperçois et congnois
Que , pour trainacer le patin ,
n est de grans clers en Françoys
Qui ne sont que asnes en latin ,
Lesquelz sont vêtus de satin
Et ont or , argent et joyaulx ;
Advisé me suis au matin
De vous lire des droite nouveaulx,
Droitz nouveauk, droits especiauk »
Droitz dont on use par exprès.
Ce ne sont pas droitz feriaulx ,
Les droitz de la porte Bandais :
Nenny non : c9son droitz tous frais »
Droitz de maintenir bref et court (A)
Par les mondains du temps qui court. (5)
Et n'y ayt si sot , ne si lourd ,
Si nyaiz , ne si mal basty ,
Pour faire du gros , du demy lourd »
Qui n'use des droitz du jourd'huy.
Et en eifect , de ces droitz cy ,
Toute la première rubriche ,
C'est de jure naturali ,
75
Du droit naturel : je m'y fiche.
DE JUKE lïATURALI.
Ce droit deffend à povre et riche
De laisser , par longues journées ,
Povres femmellettes en friche
Par faulte d'estre labourées :
Mais veult qu'elles soyent reparées ,
Paisibles en leurs Jouyssances ,
Toujours maintenuôs et gardées
En toutes mondaines plaisances.
Et pensés quelles alliances (1)
D'amour et de vraye union ,
Leurs signes et leurs circonstances
Prennent du droit naturel nom,
Pourquoy ? car la conjunction ,
Le faict principal et meslée ,
La fin , la fréquentation ,
Fut de droit naturel trouvée.
Se en quelque amoureuse assemblée ,
Ung mignon peut avoir accès ,
Que fera-il de première entrée ?
Il prye , il commence ung procès , (2)
Il sollicite de si près
, Que Litiscontestation
Se faict ; et puis on vient après
A faire la production.
Et fault produire quelque don ,
Quelque afiiquet : si semble beau ,
On mettera sans dilation
Les pièces dessus le Bureau.
Là se fait ung droit tout nouveau ,
Dieu sçait comme on pratique l'art.
Et se c'est ung sot ou ung veau
76
Qui n'ait riens produit de sa part ,
Que fait-on ? se c'est ung coquart
Qui peult estre a produit trop pou ?
On le met à ung sac à part ,
Et le laisse-on pendre au clou.
On l'enporte je ne sçay ou ,
Sans en faire longues enquestes ,
Et le met-on en ung vieil trou
Pour les vueiUes des haultes festes.
Aucuns par bien bailler requestes ;
Obtiennent des provisions ;
Les aultres se y rompent les testc^ ,
Et n'ont point d'expéditions.
Tel2 moyens d'amours , telz façons
Viennent aux femmes de nature :
Telz industries , telz leçons
Le droit naturel leur procure.
Beau Sire , si la créature
Prent tous les jours de son mary
Le picotin à grant mesure ,
Fait-elle mal ? — Nenny , nenny. (1)
Et s'il est pesant , endormy ,
Songeart et qu'il n'y puisse entendre ,
Doit-elle point avoir ung ami ?
— Je dis qu'il est besoing de attendre
Qu'il soit sommé , avant qu'en prendre (2)
Ailleurs. Et s'il respond : sans plus ?
— Je me garderay de mesprendre (3)
Quel provision du surplus ;
Ce delay là semble reffus.
Pourtant ne dqit point estre mis
Si tost du nombre des cocus
Le mary , par six ou sept nuys ;
Combien que s'il passe les dix
77
Sans cause , et que le boys s'alume , (1)
Femme peult prier ses amys
Et faire selon la coustume.
Mes mignons , escoutez la plume ;
C/est trop le latin escumé.
Faictes tousjours que l'on se fume ,
Ainsi qu'avez acoustumé ;
Humez se vous n'avez humé ,
Riez comme vous soûliez rire ,
Semez se vous n'avez semé ,
Dictes comme vous soûliez dire. *
Ne laissez point vos droitz prescrire ; (2)
Soyez songneux de les apprendre : (3)
Car on parle souvent de cuire ,
Mais le fournier n'y veult entendre : (4)
Toutes fois batre pour l'esclandre , (5)
Pot à couvert pour les buvans ,
Loyal , subtil , secret , ou rîans. (6)
Nos mignons fringans et bruyans (7)
Qui brouillent nostre parchemin ,
Nos fringans , nos peruquians , (8)
Nos gens traverseurs de chemin ,
Hz font leur compagnon Jennin ,
Leur gros vallet Gaultier Fouet ,
Leur frère d'armes Guillemin ,
Et leur Paige Bec à Brouet.
Qui se enquierent : non est ? — si est ?
— S' elle est Damoyselle ou Bourgoise?
— Quel* robe elle a ne quel corset
Soubz son chapperon de Pontoise ?
— S' elle est grave ? — s' elle ge poise ?
— S* elle a ne mortiers ne pillectes?
— S' elle est fiere, doulce ou courtoise?
— S'elle a filz , filles ne fillettes ? .
78.
— S*elle est du quartier des BUlettes?
— Gente , coiute , propre ou fetisse?
— S'elle a ne rubens n'éguillettes 7 (i)
— Se c'est ou sucre ou forte épice 7
Se Testât haulse ou apetisse ?
Chascun en lit une leçon :
Tantost vêla Colin le Suysse (2)
Qui en va faire une chanson.
Quelque Tabourin ou Bourdon •
En orra peult-estre le bruit ;
C'est pour dancer ung tourdion
Et faire une aubade de nuy t
Ha 1 qui tiendroit le droit escript
Et le droit naturel toujours ,
Chascun craindroit grant et petit;
Jamais on ne feroit telz tours.
Il fauldra que l'ung de ses jours ,
Pour corriger telz inventeurs ,
Venus, la Déesse d'amours »
Y envoyé ses reformateurs.
Combien que tous ces grans Docteurs f.
Ces grans Clercs à ses rouges hucquea
Sont fort embesongnez ailleurs ,
Touchant le faict de ses perruques :
Car aujourd'huy de deui frehupes ,
De cheveulx d'ung petit monceau ,
Il semble qu'il y en ayt jusques
Au collet, et plain un boisseau.
J'ay veu despescher au Seau,
L'aultre jour , des lettres patentes
Pour couper au rez de la. peau
Telles qui ne sont suffisantes.
Venons aux matières présentes ,
79
Dû droit naturel conûmencées.
Femmes qui sont beltes et gantes ,
Doivent-elles estre laissées?
Nenny , non ; mais estre priées ,
Avoir leur plaisir et esbat ,
Souvent à souhait maniées ,
Sans estre délaissée tout à plat.
Et pensez que main lourt débat
Se feroit pour fournir Thostel ,
Se toutes bourgoises d^estat
Sçavoyent bien ce droit naturel.
Or je mez ung cas qui est tel ;
Ung maiy en vacation ,
Voyant que le teiBi» étoit bel ,
S'en alla en commission
Veoir sa belle ante » se dit-on : (1)
Il demourra bîe» es vUkiges ,
Cinq ou six moys^ âssav0Jin»oa,
S'il est tenu des airreraig^
Quant il revient? — Sie«it aiuc^ns saiges
Que le mary , commd j'eiuli«»s ^
En est tenu par touô. usaiges.,
Veu qu'ilz sont escheuz de soix tcaswps.
Et se d'aventure je sens ,
Que la femme d'aultre costé ^
En prengne? — Cclarfy Mt riens :
Arreraiges sont pey sonaeb ,
Et ljQs.doîv€int touS: wmi^is»
De rigeur , comme dirait dQ v©ate :
Posé qu'ilz soyent tou^^Hur» payez :
Les Seigneurs recourbât IteiJK reatev. (2)
Autrement donc» quant biae veajbe ,
Chascun àelaii>ix)it sa maôsoisi
Et s'en yroit veoir sa belle ante :
80
II n*y auroit point de raison.
Je forme une aultre question
De droit naturel qui ne fault :
Que permise est defFension
A ung chascun , quant on l'assault.
Ce présupposé , ung lourdault
A belle femme jeune et tendre ,
• Il frappe , il bat , et ne luy chault
Comme sa femme luy veult rendre.
La question est pour entendre
S'il loist à cette femme cy
De le frapper , et se deffendre
A rencontre de son mary.
De prime face semble que oQy ; (1)
Car deffension est permise
Selon droit naturel ; ainsi
EUe ne fsdct que selon la guise.
Mais au contraire je m'avise :
Se quelque voisin c'est approché
De ce débat là sans fadntise ,
Chascun en sera enbouché ;
Et se ceste femme a touché
Son mary , il chevauchera
L'asne tout au long du marché : (2)
Ainsi chascun s'en mocquera.-
Et au regard d'elle on dira ,
S'on la voit ainsi esmoucher ,
Frapper et ruer ces coups-là ,
Que ce n'est qu'ung droit Franc-Archier,
Le vieil droit a voulu toucher
Et décider aucunement ,
Que femme devoit endurer
De son mary tout doulcement.
Le droit nouveau dit autrement :
Pour ung mot que le mary dit,
81
Femme peut tout incontinent
Luy en respondre sept ou huit.
Et s'il advient qu'il y ait bruit?
Pour ung seul coup le droit enhorte ,
Que femme en rende , par despit ,
Cinq ou six d'une mesme sorte :
Et s'elle n'est pas la plus forte ,
Aucuns dient pour tout essoine
Qu'elle doit assaillir la porte
De rhostel de quelque Chanoine ,
De quelque Abbé , Prieur , ou Moyne ;
Ce luy sera seure retraicte ,
Pour faire leans sa neufvaine ,
Tant que la paix sera refaicte.
Le povre Jennin Tulurette ,
En prendra si très grand soucy ,
Pour la ravoir toute si faicte ,
Que enfin luy requerra mercy.
Ce cas se praticque aujourd'huy;
Je ne dis pas qu'on face bien.
Mais vêla, j'ay solu ainsi
Ma question par ce moyen.
A une aultre doubte je vien :
Une Bourgeoise , une commère
Avec ung amoureux tout sien ,
Mignon et de doulce manière ,
Avoît aussi une chambrière
Belle , qui savoit le secret.
Ung jour ce mignon , par derrière,
Venoit voir la Dame en effect :
Et n'y fut pas , dont luy desplaist (1)
La chambrière qui fut belle ,
Fine , franche , ferme et de hait
Pour faire saillir estincelle
6
82
D'ung caillou , par bonne cautelle
Mist au sainct par dévotion; (1)
Elle print ce bien pour elle (2)
Et eut ceste provision.
Assavoir se pugnition
Doit souffrir comme larronesse,
Et quelle restitution
Elle doit faire à sa maîtresse?
j'ay oûy à mainte clergesse
.Tenir que estre fouiToyé ,
'c:c n est pas fort grande sagesse. (3)
Mais quoy , on n'en est pas noyé , (4)
Pendu , puny , ne corrigé :
Ainçoys , selon le commun son ,
Habiter ce n est pas péché : (5)
Chascun en prise la façon.
Mais vecy une aultre raison :
Ce cas icy est domestique ,
Remply de grande trahison (6)
Et semble chose bien inicque ,
Veu que la Dame , sa practique
Luy disoit , aussi privement.
Pour ce avons ung Auténticque (7)
Qui en diffmit sainement ,
Et dit que pour le hardement
Qu elle eut , pour sa desloyaulté ,
Y chet bien ung banissement
Sur la chambrière : en vérité
Cela me semble d'équité
Qu elle soitbanye de Thostel.
S* elle Teust aillexu-s emprunté ,
Ce n'est que ouvrage naturel :
Mais de la prendre sur ung tel , (8)
Au préjudice de la dame ,
Le fait est énorme et cmel ,
83
Dont chascun le repute infâme : (1)
Et luy doit couster plus la dragme
Ainsi desloyaument toUuê ,
Que livre et demye , sans tel blasme
Prinse , aiUeurs choisye et esleuê.
A une aultre doubte je tends :
J'ay , selon droit, mainte loy lue,
Où l'en treuve , comme j'entens ,
Que le nourrissement d'enfans
Fut de droit naturel trouvé.
Le cas est : femme de quinze ans
Accouche d'ung filz nouveau né ;
Son mary est si fort donné
A chicheté et avarice,
Qu'il est du tout délibéré
Ne luy quérir point de nourrisse ;
Mais veult qu'elle l'enfant nourrisse,
AiTm d'espargner le salaire.
Je demande se c'est justice ,
Et se la femme le doit faire ?
Semble aucunement le contraire :
Car d'imposer nouveau servage
Ne peult pas à la femme plaire.
Et y auroit trop grant dommage ,
Entendis qu'elle a frais visaige ,
Jeune, et n'est q'ung enfançon ;
Elle est à la fleur de son aage ;
Or à prime il luy sembJe-il bon ; (2^
Elle a le beau petit teton ,
Cul troussé pour faire virade ,
Le sain poignant , tendre , mignon ;
Il n'est rien au monde plus sade.
S' elle est nourrisse elle sera fade ,
Avalée , pleine de lambeaux :
Faisandes deviennent beccasses ,
Les culz troussez deviennent peaux ^
Les tétons deviennent tétasses :
Nourrisses aux grandes pendasses ,
Gros sains ouvers remplis de laictz , (1)
Sont pensuês comme chiches faces
Qu'on vent tous les jours au Palays.
Tetins rebondis , rondeletz ,
Durs , picquans , gettez bien au moule ,
Tendus comme ung arc à jaletz ,
Deviennent lasches comme soûles.
Jeune femme qui n*est pas saouUe
Encor de plaisance mondaine , (2)
Ne doit rendre jamais son raoulle
Si tost par voulenté soudaine.
Ainsi , ce n'est pas chose vaine
Si femme mignote et fetisse ,
De peur d'enlaydir en la peine ,
Refuse à devenir nourrisse.
Combien que c'est chose propice
Et selon^ droit (comme je tien )
Que toute beste saige ou nice ,
Est tenue de nourrir le sien.
Que vous en semble Maistre ? en (3)
Sçauriez-vous ce point évader ?
Maintz grans docteurs et gens de bien
Ont voulu ce cas décider.
Les droitz nouveaulx pour ammender,
Dient que par action directe (4)
Et à la rigueur procéder , .
Quelque saulce que F en y mette, (5)
Femme ne peut, tant soit jeunette,
Contraindre ung mary à tenir
Nourrisse, quoyque l'en caquette.
Mais quant à T équité tenir ,
85
Ne a si grant train entretenir ,
£t par une action utille
On peut une façon tenir
Qui sera honneste et subtille.
Quelque grande vielle sebille,
Caducque, menassant ruine ,
Qui glosera sur TEvangille
Et fera au cas bonne mine ,
Une grand mère , une cousine ,
Une ouvrière bien parfaicte ,
Une chalande , une voysine ,
Ung garand à femme sortfaicte ,
Quelque fine , quelque toute faicte ,
Que entendra la boucherie
Vers le mary se sera traicte ,
Et en fera la playdoierie :
En usant d'une pleurerie,
Remonstrera, s'il est besoing,
Que sa femme est seiche et tarie ,
Et n'a pas de vie plain poing :
Et s'il fault qu'elle prenne seing ,
Elle y demourra toute roide ;
.Et de cela , à l'aide du boing.
Trouvera sur ce cas remède.
Et pensez que vieille qui plaide ,
D' invention et de faconde ,
Pour bien persuader, excède
Le plus grant orateur du monde.
Ce que de plaine voye et ronde
On ne peult obtenir ne avoir ,
Femme qui en est tel terme habonde
Le fera trouver et mouvoir. (1)
Enfans vous povez concepvoir ,
Que sans ourdir on ne peut tiltre ;
Pour ce, mettez peine à sçavoir
Geste question ou Epistre.
86
De statu hominum.
Des droitz nouvcaulx, le second titre ;
Si est de statu hominum.
Ha I qu*il a maint bon chapitre
Et mainte notable leçon ,
De Tétat des hommes (hon ! bon !)
Et des femmes , que je concludz
Tout ung ; car par tout, ce dit-on,
Ne court que estatz dissolus.
Nous voyons povres goguelus, (1)
Minces , maisgres , niays et lours (2)
Pour estre à plaisance vestu
Garsonner satin et velours ,
J'ai grant paour que , dedans brefz jours,
Par faulte d'argent et de draps ,
Entre nous fringans et milours ,
Ne soyons tous vestuz de sacz. (3)
Vielz pourpoins , touillons, vielz haras , (â)
Vielz lambeaux et haillonnerie ,
Chappeauk pelez et bonnetz gras
Seront pour nostre seigneurie.
Pensez , se Dame mincerie
Nous empoigne ung peu aux costez,
On verra bien par fringuerie
Porter maintz habitz chicquetez ,
Trouez , percez , ringuelotez , (5)
Feuilletez par jollivetez :
Ce sont grans gorgiasetez ,
Par faulces de meschancetés. (6)
Ung Monseigneur du may planté,
Sailly du fin fons d'une èstable ,
Sera aujourd'huy attincté (7)
Comme ung Duc, comme ung Connestable :
87
Et s'il n*est estourdy, muable ,
Léger comme oyselet sur branches ,
On dit qu'il n'est pas recevable
Pour ung soupper de nopces franches.
On souloit faire au corps les manches
Par compas ; mais on voit desja
Qu'en tous estans on pesche tanches.
Qui peult , il veult ; qui a , il a ;
Chascun fringuera qui pourra.
Car, selon tous nos droitz nouveaulx ,
Le monde se contrefera :
On humera de toutes eaulx :
Femmes porteront des lorioz
Par rues , par chemins , par sentiers ,
Et les hommes des grans poriaulx
Velus , qu'on emprunte aux barbiers.
Les aultres pour estre plus fiers ,
Pour estre fringans à l'amy ,
Pour monstrer qu'ilz sont grans ouvriers
Ne font leur barbe que à demy
Et laissent du poil gris icy«
Qu'il semble que ce soit la peau
De quelque formaige moysi ,
Ou l'oreille de quelque veau.
Posé que cela ne soit beau ,
Si est-ce pour faire la mine ,
Qu'on dit que c'est ung homme nouveau.
Il est bien heureux qui en fine
Ung échantillon de cuisine.
Qui n'a pas vaillant une pomme ,
Mais qu'il ait une calvardine ,
Avec cela c'est ung grant homme :
Telz gens on quiert , on prise , on nomme ;
Et sont portez , prisez , doubtez
Sans quelque aultre raison en somme ,
88
Fors que les droitz nouveauh sont telz»
Aprenez enfans et notez :
Aucuns y a qui ont beau faire
Gentilz-hommes de bons bostelz ,
A grant peine peuventrilz plaire :
Car par force d'eux contrefaire ,
De batre , de voiler aux grues ,
De hault tencer , crier et braire ,
On se mocque d'euhc par les rues.
Les demis panthoufles becquuês (1)
Rondes par devant comme un œuf,
Se semblent racquettes cousues ,
Pour fraper au loing ung esteuf.
Vêla gens de porc et de beuf
Font aujourd'huy plusieurs telz tours :
Mais au fort c'est ung estât neuf;
n ne durera pas tousjours.
Et vous championnes d'amours ,
Mignonnes , qui si bien faignez
Pour entretenir les plus gourds ,
Les plus frisques , les mieux pignez ;
On dit que plus vous ne daignez
Porter tissus , ne gris , ne vers :
Mais seulement vous vous saignez
De bandiers de velours couvers. (2)
Bandiers sont engins bien divers : (3)
Ce sont instrumens fort soudains
Pour tendre crennequins à^nerf ,
Coup à coup pour bander aux reins : (4)
Et pensez qu'il y en a maints ,
Par bien lem- crennequins lascher ,
Qui ont mainte personne attains
Bien au vif jusques à la chair.
89
Elle se peuvent enharnacher
De baudriers qui ont beaux tricoys ;
Les aultres ne se font que fâcher
Et n'entendent point bien les droitz.
Mignons en ont aucunes foys ;
Et quant ilz sont pelez ou laitz ,
Hz en font faire des harnoys
Et des resnes à leurs muletz.
Aucuns en brodent les collets
De leurs pourpointz » et font ce bien
Ou à eulx , ou à leurs varletz ;
Ung bon mesnagier ne pert rien.
Je disse le droit ancien (1)
Sur ces perruques boursouflées ,
Legieres , qui par bon moyen
Deviennent grosses et enflées.
Mais icy les années passées ,
Y vint ung docteur fort nouveau
Qui a ces matières traictées ; (2)
Pour ce je m'en passe tout beau.
Tout ne pend qu'à la queue d'ung veau
C'est toute chose contrefaicte.
Quelque jour en lieu d'ung poireau , (3)
On portera une sonnette :
D'ung aultre ton la besongne est nette ,
Se quelque fringart s'en advise (A)
Et qu'il la cache en sa cornette , (5)
Nous en verrons courir la guise.
L'habit de couverte faintise ,
La robbe de bien bas voiler ,
Le pourpoint de haulte entreprise ,
Le bonet de dissimuler ,
Le chapeau d'aigrement parler ,
90
Cornette de faulce bricolle,
On ne voit aultres loups hurler
Ne semer aultre paraboUe.
Ne suivons plus d'amour VescoUe ,
On n'y list que de tromperies :
La science est folle paroUe ;
Les grans juremens , menteries ;
Les statutz , ce sont joncheries ;
L'Université, c'est malheur;
Les Bedeaux , lardons , mocqueries ;
Faulte de sens , c'est le Recteur ;
Trahison , en est ung docteur ;
Faulceté, en est le notaire ; (1)
Avarice , est Conservateur ; (2)
Injure, elle lit l'ordinaire;
Detraction, c'est le Libraire ;
Suspection , c'est le Greffier ;
Dire tout , c'est le Secrétaire ;
Rudesse , c'est ung messagier ;
Desdaing, c'est ung premier Huyssier
Qui gardes les huys et fenestres ;
Refus , est le grant Chancelier ;
C'est celuy qui passe les Maistres.
Voyez à dextres et à senestres ,
En tous estatz qu'on peult choisir ,
Entre les gens layz , Clercz et Prestres
On ne voit que fraudes courir.
Chascun fait velours enchérir ;
Chascun veult prendre estatz nouveaulx.
J'ay veu qu'on ne souloit quérir
Que robes à quinze tuyaux , (3)
Larges manches , et haulx chappeaux ,
Grans getz de honneste gravité.
Mais ce n*est de noz fringuereaux
91
Que inconstance et mobilité ;
Pour Tatour de affabilité ,
Le colet de doulx entretien ,
On porte corsetz de fiereté
Et pièces de fâcheux maintien :
Chaînes d'or courront meshouen
Pour feindre millours et gros bis ; (1)
Et qui n'aura argent ne rien ,
Se feindra d'une chaisne à puis.
A cela sommes nous tous duyts ;
Et qui n'a que dix frans vaillant ,
On l'employé à fringans habitz : (2)
Ainsi le droit nouveau l'entend.
Notez , et vous tenez à tant
Que tel a robbe de migraine ,
Qui ne sçauroit finer contant
Six blans au bout de la sepmainç y
Combien que plaisance les maine.
Si lit on en mainte saison ,
Que de mouton à courte laine
On n'aura ja bonne toison.
Je me fonde trop à raison :
Puis qu'avez otiy ce notable ,
Je mecteray une question
Et ung cas qui est prouffitable.
Ung homme povre et misérable ,
Qui a belle femme et entière ,
N'a vaillant que ung lict, une table ,
Ung banc , ung pot , une salière ,
Cinq ou six voirres de feuchiere ,
Une marmite à cuyre poys.
Il s'en va dehors , bien arrière ,
Et demeure sept ou huyt moys.
Il retourne après toutesfoys
92
Et ireuve l'hostel grandement
Fourny de vins , dcf bledz , de boys ,
De belle vaisseUe d'argent.
Assavoir mon aucunement
Se le mary doit enquérir
A la femme dont cela vient ,
Ne qui la peult » bien fournir ?
— Semble que non : car j'oy tenir
Aux saiges, qu'à cheval donné
On ne doit point la gueulle ouvrir
Pour regarder s'il est aagé.
Item il en a bon marché :
Ce sont conquestz : après sa mort, (1)
Le mary en a la moytié;
Ainsi on ne luy fait nul tort.
D'aultre part , voicy le plus fort ,
Semble qu'il y ût conjecture
Que sa femme ait esté d'acord
D'entretenir la créature ,
Prester le mosle à la pasture ,
Pour avoir cela et soy taire.
S'il se pourvoit , tort ou droicture , (2)
EUe y perdroit tout son douaire. (3)
Quoy qu'on sache crier ne braire ,
Les droitz nouveaulx disent ainsi
Que la jeune femme doit faire
Ung chef-d'œuvre sur ce cas cy ,
Et dire franc à son mary
Que Maistre Enguerrant Hurtebise ,
Son ayeul qui mourut transi
L'aultre jour au pays de Frise ,
Si luy laissa , par bonne guise ,
Tous ses biens à son testament.
Ainsi ung vent de la chemise
Fera tout cest appointement ;
Le mary se tiendra content ,
Cuydant que ce luy soit escheu :
Et pensez que pas il n'entend
La reigle des loix que j'ay leu.
Tel cuyde avoir à bon compte eu
La marchandise qu'il a pris ,
Qui le plus souvent est deçeu
D'oultre moytié de juste prix.
Ung semblable mot cy est mis ,
Escript et noté par exprès , '
JiLXta de regtUis juris ,
Comme il apperra cy-après.
Une aultre question je mes :
Honune et femme tiennent mesnage ,
Riches assez , et pour tous metz ,
Hz veullent faire ung mariaige
De leur fille. Le père est saige ,
Qui dit qu'elle sembleroit belle
Bourgeoise : la mère en enraige
Qui veult qu'elle soit Damoyselle.
Le père, par bonne cautelle, (1)
Dit et respond qu'il ne loît pas ,
Et qu'il n'appartient point à elle
De porter si très grans estatz.
La mère en fkit toujours pourchas
Et jure qu'elle le senu
Je vous demande sur ce pas
Au quel la fille obéira ?
Ou se du tout elle fera
Comme son père luy disoit ,
Ou se on la Damoysellera , (2)
Comme sa mère le voulloit?
Brief, mon opinion seroit,
9k
Que pour terminer la querelle ,
Ceste fille cy deveroit
S*abiller à mode nouvelle ,
Porter moytié drap , moy tié toUle ,
Moy tié escarlate et velours ,
Moytié Bourgeoise et Damoiselle ,
Moytié chapperons et atours.
Mais quoy , Fhabit n*est pas en cours !
On n*en voit guerres de semblable :
Et pour ce faut avoir recours
Au droit nouveau qui est vallable ,
Qui dit qu'en chose favorable
Comme amours , on doit obéir
Aux mères. — Prenés ce notable ,
Car ainsi Tay-je veu tenir.
. A ung autre point fault venir :
Bourgeoise de basse lignie ,
De bas lieu , veult entretenir
Ung tndn de grande JSeigneurie : (1)
Car avec ce qu'elle est jolye ,
Qu'elle a beaulx babitz et fringans ,
Sa maison est par trop fournie
De servantes et de servans.
Sa fille de chambre est leans
Qui la sert de menu suffrages :
Elle a sa vieiUe aux yeulx rian's
Qui ne la sert que de courtages :
Après surviennent davantages
Toujours , ou cousins , ou nepveux :
Item , pour faire ses messages »
Elle a le page aux blondz cbeveulx ;
Elle a son tabourin joyeulx
Sonnant en chambres et en salles,
Qui emporte ung escu ou deux
96
Aucunesfois par intervalles.
Puis quant la Bourgeoise est en galles ,
Une caterve , une brigade
Vient jouer aux sons des ciinbales
Au glic ou à la condampnade.
Item , pour faire les virades ,
Pour se monstrer sur les carreaux ,
Pour faire en amours ses passades ,
Elle a sa couple de chevaulx.
Après surviennent fringueraulx
Dancer, joncher, patheliner,
Lesquelz on fournit de raorseaux
Et de dragées après disner.
Or faut-il sur ce cas noter ,
Que la Bourgeoyse et son mai-y
N'ont marchandise ne mestier
Pour entretenir ce train cy ,
Rente , ne revenu aussi.
Je demande , quel' conjecture
Doit-on avoir touchant cecy ?
Argent leur vient-il d'aventiu-e?
Le droit dit que Dame nature ,
Au moyen de l'engin qu'on porte ,
Fournit d'argent et de pasture
Et de robbe de mainte sorte.
Telle monnoye doit estre forte (1),
Et durer beaucoup au besoing :
Car ainsi qu'elle se comporte , (2)
Elle est forgée à double coing.
Il ne fault point avoir de soing
Dont leur peult cest argent venir :
Puis qu'il vient de près ou de loing,
C'est le plus fort que d'y fournir.
Je vois ung aultre cas bastir ,
96
Dequoy la question est telle :
IJng Prélat veult entretenir
Quelque grant Dame ou Damoyaelle ,
Et va deviser avec elle.
I3ng Monsieur d'ung prunier fleury,
llng simple Escuyer sans séquelle ,
Survient leans à Testourdy-
Assavoir mon, s* on doit celuy
Qui est Evesque ou grant Seigneur
Laisser seul, pour aller ainsy
Entretenir ce gaudisseur ?
Mûnt grant et notable Docteur,
Ont formé cette question :
Mais les droitz nouveaulx pour tout seur
Y mettent la décision ,
Et disent qu'on ne doit point , non , (1)
Lsdsser ung grant pour ung petit ,
Fors qu'en deux cas : que du mignon (2)
Elle ait ou plaisance ou prouffit. (3)
S'il pladst , s'il est beau , il suffit ;
S'il est prodigue de ses biens,
Que pour le plaisir et déduit
11 fonce , et qu'il n'espargne riens ,
On doit laisser par ces moyens
Ung plus grant homme la moitié :
Et le plus petit en tous sens
Doit estre humadnement traictié :
Ainsy l'a le droit appointié.
Je vous tiens trop sur ces argus ;
Et fault que par nous soit traictié
Aultre Rubriche qui vault plus.
RUBRICHE
De presumptionibus.
C'est, de presumptionibus.
97
Des presumptions , des façons
De présumer : donc sans abus
Metz les continuations (1)
Par estatz , par ostentations.
D'ambition présume maintz cas ; (2)
Pour ce ay mis des presumptions
Après le tiltre des estatz.
Or notez , enfans , sur ce pas ,
Une chose très singulière :
Au dict des saiges Advocatz
On présume en double manière ;
Aulcune est presumption fiere
Que gens ont d'eux mesme en sommes ;
Et Taultre est presumption clere
Qu'on a d'aultruy. — Puis qu'icy sommes ,
Parlons ung peu de ces grans hommes
Qui d'eulx mesmes présument trop ;
Et si n'ont pas d'argent grans sommes ;
Mais sont aussi povres que Job.
A Paris en y a beaucoup , (3)
Qui n'ont ne argent, vergier, ne terre,
Que vous jugeriez chascun coup
Alliez ou grans chiefs de guerre.
Il se dient yssus d'Angleterre, (4)
D'un costé d'un Baron d'Anjou , (5)
Parens aux Seneschaulx d' Auxerre ,
Ou aux chastellams de Poitou ;
Combien qu'il soit sailly d'ung trou ,
De la cliquette d'ung Musnier,
Voire ou de la ligne d'ung chou , (6)
Enfant à quelque Jardinier.
Ainsi haulcer sans s'espargner,
Cuyder sans avoir ne saigesse ,
J'appelle cela présumer
7
98
Selon cette première espèce.
Une simple Huissiere ou Glergesse
Aujourd'huy se présumera
Autant ou plus qu'une Duchesse :
Heureux est qui en finera.
Une simple Bourgeoyse aura
Rubis, diamants et joyaulx ,
Et Dieu sçet si elle parlera
Gravement , en termes nouveaulx ,
Afin d'estonner povres veaulx. (1)
Elles ne couchent d'aultre dez
Que d'Evesque ou de Cardinaulx ,
Archediacres ou Abbez.
Semble à oûyr langaiges telz ,
Qu'elles ayent Festes et Dimanches
Tousjours ung Evesque aux coslez ,
Ou Archediacre en leurs manches.
S'elle se vante que aulcun tranche (2)
Pour l'amour d'elle le bouquet , (3)
Qui n'est pas pour tel arbre branche ,
Jamais n'atouchera le rocquet.
Au fort f c'est ung plùsant cacquet ;
C'est trop hault planté sa baniere :
Au beau bailleur ferme nacquet
Qui sache rachasser derrière :
Veu que c'est justice foncière ,
Ou le cas deust estre advancé ;
C'est trop enchery la basâere
Du tonneau qui est deifoncé.
' Il fault ung petit soit pensé (A)
Sur la presumption seconde.
D'ung homme mince et bas percé
Que l'en présume chose ronde ,
99
On le présume mort au monde ;
On le tient pour desnaturé.
En celle là cbascun se fonde :
EDe est jurée et de jure.
Ung visaîge frès , figuré ,
Riant , plain de gayeté de cueur,
Ung cul qui n*est point empiré ,
Ung tetin de bonne rondeur,
Ung corps d'assez bonne grandeur,
Ung pas de gracieuse aleure ,
Ung sain d'assez bonne haulteur,
Ung œil de fiere regardure ,
Ung sourcilz de vive painture ,
Une gorge blanche et frazêe ,
Ung ris getté à l'aventure, (1)
Ung maintien de femme rusée ,
Ung colet de femme évasée ,
Unes joues rondes et vermeilles ,
Ung gorgias à pointe usée
Pour faire tetins à oreilles.
Une langue à dire merveilles ,
Une source comble à désirs ,
Ung reliquaire à haultes veilles ,
Ung mirouer à mondains plaisirs ,
Ung fournissement à soupirs ,
Ung prothocoUe à bons copistes ,
Ung commun thème à tous prescheurs , (2)
Ung registre à Evangelistes :
De femmes qui sont ainsi nices
Et plaines de dévotion ,
Messeigneurs les nouveaulx Légistes ,
Dicte moy la presumption.
Je dis moy , sôubz correction ,
Qu'on doit presuittér et sçavoir',
100
Pour entrer en religion ,
Qu'elles sont bien à recevoir.
Mais que le cloistre et refectoir (1)
Fussent des salles tapisées :
Que le chapitre et dortoir
Fussent belles chambres natées : (2)
Leurs libndrie , chansons notées :
Leurs cloches , bedons , menestrier :
Leurs frocz , robes bien parées :
Leurs baires , chûne et colliers ;
Leurs cerimonies » de baisiers ;
Leurs beaux pères » jeunes enfants ;
Leurs confesseurs » beaux escuyers ,
Trestous en Taage de vingt ans.
Telles femmes , comme j'entens ,
Doibvent, par presumption clere,
User leur jeunesse et leur temps
En ung tel cloistre et monastère ,
Et mener une vie austère ,
Tenir la reigle que on leur list ,
Et avoir tousjours leur beau père
Prés d'elles , tous deux en ung lit.
Par commun proverbe on dit ,
Qu'on congnoit femme à sa cornette
S'elle ayme d'amour le déduit,
Tant ait la conscience nette. (3)
Au ris, au train, à la sornette
On juge'par presumptions :
Pour ce , ceste raison admoneste (4)
Exemple en plusieurs façons.
Çue diriés vous de noz mignons
Qui ont une perrucque brune ,
Et broyent pelures d'ongnons,
101
Et font une saulce commune
Pour la jaunir ? — c'est grant fortune ,
Qu'on ne présume d'eulx en farsant»
Et qui tiennent tant de la lune , (1)
Qu'ilz vallent ung demy croissant.
De ceulx qui songent les merveilles ,
Que on appelle les maistre Jehans »
Mais qu'ilz ayent bonnes oreilles
On les présume habille gens. (2 )
De ceulx qui vivent de la menne (3)
Du ciel , qui mordent en la grappe ,
Ce sont bons furons en garenne :
Il n'y a riens qui leur eschappe.
De noz Gentilz-hommes d'honneur
Qui n'ont en tout temps qu'une robe ;
Hz en ayment fort la couleur,
Et ont peur qu'on ne les desrobe. (&)
D'homme d'armes qui par vaillance
Tient en son hostel garnison ,
Je le tiens une doulce lance
Pour prendre d'assault sa maison.
D'ung qui , de peur d'estre lavé ^
Se tient à part sur les rancs ,
On présume que le pavé
Luy semble plus doulz que les champs.
De femmes qui monstrent leurs sains ,
Leurs tetins, leurs poitrines froides.
On doit présumer que telz sainctz
Ne demandent que chandelles roides.
D'une qui se fourre en ces trous
102
Sur le soir, quand la lune luyt ;
Elle chasse les loups garous
Et les cbassemarées de nuyt. (i)
Femme qui ayme le lopin ,
Le vin et les frians morceaulx ,
C'est ung droit abruvoir Popin ;
Ghascun y fourre ses chevaulx.
Grant femme seiche, noire et maigre
Qui veult d'amour suivre le trac ,
On dit que c'est un fort vinaigre
Pour gaster ung bon estomac.
Femme qui souvent se regarde
Et poUist ainsy son collet ,
G'est presumption qui luy tarde
Qu'elle ne face le sauH de Michelet.
Fenune au chaperon avalé,
Qui va les crucifix rongeans ,
C'est signe qu'eUe a estallé
Et'aultrefoys hanté marchans.
Femme qui en ses jeunes saulx
A aymé le jeu ung petit ,
(Le mortier sent tousjours les aulx)
Encore y prent-elle appétit.
Femme qui va de nuyt sans torche
Et dit à chascun tu l'auras ,
Elle est digne à peupler ung porche
Et mener quelque vieux barras.
Femme qui met quant éï s'habille
Trois heures à estre coëffée ,
103
C'est signe qu'il luy fault Testrille
Pour estre mieuk enharnachée.
Se femme qui est du mestier
Appelle une aultre sa compaigne ,
Elle a sa part au benoiatier
Par la Coustume de Champaîgne.
Femme qui le corps se renverse ,
Que doitxm d'elle présumer?
Telle charette souvent verse
Par faulte de bon Limonier.
Femme qui a robe devant
Fendue , qui se ferme à crochet ,
Elle peult bien porter enfant ,
Car elle ayme bien le hochet.
Par telles démonstrations
On devient sage et sçavant ;
Se sont grandes presumptions
Desquelles on juge bien souvent.
Enfans , retenez-en autant ;
Notés y car elles sont utiles :
Je ne veulx pas tenir pourtant
Qu'elles soient vrayes comme Evangiles.
Or en ensuy vaut noz stiles ,
Sur ce tiltre je veux noter
Quatre choses assez difficiles ;
Et puis ho ! — Veci le premier :
Femme qui se laisse baiser
Et taster la fesse en jouant ,
Est-il pourtant à présumer
Qu'elle souffre le demeurant ?
— Doit-on procéder en avant ,
Contre elle par presumption ?
lOi
Sur ce cas y cbet seurement
Une bonne distinction.
Quant au baiser, je dis que non ;
Notre Droit n*en présume rien :
Car bouches à baiser, se dit-on ,
Sont communes à gens de bien.
Du taster, c'est ung aultre point ;
Encores faut-il distinguer,
Si la femme Suffire et maintient
Sans faire semblant de tenser ; (1 )
Et se ainsi est, on peult penser.
Se le mignon veult, qu'il y monte ;
Ou se elle faint de se courser
Et dire : n'avez vous point honte;
Laissez cda. — Le Droit racompte ,
Que seullement par ceste fainte ,
Posé qu'elle n'en tienne compte , (2>
La presumption est estainte.
Et pensez qu'il y en a mainte , (3)
S'on luy taste ung peu le derrière y
Qui jamais n'en feroit grant plainte ;
Maûs quoy, il faut tenir manière. (A)
Vecy ung cas d'aultre matière :
Se ung bon gallant rencontre (5)
Femme riant , saSre de chiere ^
Baude , alaigre , de belle monstre ,
Qui a son habit se demonstre
Femme de fréquentation ,
Et si on ne dit rien encontre (6)
Doit-il sans information
Plus grande, ou inquisition ,
Luy demander la courtoisie
Sans plus , pour la presumption
De la voir si saffre et jolye?
105
Le droit nouveau ung peu varie
Sur ce pas , sur ceste escripture ;
Mais il décide , quoy que on dye ,
Que on peult partout sercher pasture
Et prier toute créature ,
Toute femme de quelque estât
Qu'elle soit ; ce n'est pas injure »
S'on ne le fait que pour esbat. (1)
Les unes reffusent tout plat ;
Et bien ! c'est pour néant debatu.
Les autres repondent : fiât :
Et bien ! c'est un chesne abattu.
Prier hault , c'est bien entendu ;
On vient assez tost.au rabas :
Car maint beau gibier est perdu ,
Par faultes de faire pourchas.
Je vous demande ung autre cas :
Mignonne de haulte entreprise ,
Qui porte devises à tas , (2)
Lettres, couleurs de mainte guise ,
Peult estre qu'elle a nom Denise
Et son mary Jehan ou Thibault ,
Et neantmoins pour sa devise
Porte une M qui faict Michault.
De bague ou ruben ne luy chault , (3)
Si non de ceste main porter, (h)
Son mary, qui n'est qu'ung lourdault.
A-il cause de se doubter ?
Doit-il présumer n'enguester
Qui est Michault ne Michelet ,
VeiDer, oreiler, escouter
S'il congnoistr^ mousches en laict ?
Par ma foy, le droit nouveau met
Que de porter par inventoire (5)
106
Lettre en bague , ou en afBquet ,
C'est presumption bien not(Hre,
C'est competant préparatoire
Poursçavoir d'ont vient praticques.
Dieu, qu'on faict d'ung Saint grand mémoire*
Quant on en porte les reliques I
En effet ce sont voyes obliques ,
Et s*en peuvent plaindre les maris :
Telles façons , telles trafiques
Corrumpent les droitz à Paris.
Je forme après sur ces escriptz
Une question bien aguê ,
Subtile et digne de hault pris ;
Hais qu'elle soit bien entendue.
Ung bon mary de nostre rue
Qui a très belle jeune femme ,
Et est grant feste quand elle sue ;
Il n'y a plus la belle dragme. (1)
Ung matin que le jour s'entame,
Il se lieve , il s'abiUe , il pisse ,
Il s'enva et laisse ma Dame
Couchée en son lit bien propice.
Il est en l'Eglise au service
Et n'atent pas que tout soit dit ;
Peult estre il tombe , il chet , il glisse
Et s'en retourne par dépit.
Il rentre en sa chambre ; il vous vit ,
Entre huit et neuf au matin ,
Couché gentement sur son lit
Ung très beau pourpoint de satin ,
Satin fin , délié comme lin ,
Court, fait selcm le train nouveau , .
Esguillettes ferrées d'or fin ,
Tenans aux manches bien et beau ,
107
Ung collet bas en fringuereau ,
En Suysse perruquien. (1)
Le povre homme use son cerveau •
Et ne sçet dont luy vient ce bien. (2)
Il songe , il pense : est-il point mien ?
— Oiiy — nenny — je ne m'y congnois.
Il regarde emprés le sien
Qui estoit plus espès deux foys ;
S'estoit un pourpoint de chamoys ,
Farcy de bourre sus et soubz ,
Ung grant villain Jacques d'Angloys
Qui luy pendoit jusques au genoulx :
On eust estandu aux deux boutz ,
S'il eust esté sur une plaine ,
Une droite hostée de choux •
Et deux ou trois septiers d'avaine.
Quant il luy couvroit la boudaine , (3)
Quelque Philosophe ou Artiste
L'eust plainement pris pour la guaine ,
Ou le fouireau d'ung Organiste.
Uaultre estoit léger, mince , miste ;
On en eust fait une pelotte.
Dieu gçet se le mary est triste ;
Il songe, il marmouse , il radotte.
Or je demande icy et note
Ce c'est assez presumption ,
Pour faire merveilleux double , (4)
Et fouiller avant sa maison? (5)
Aucunement semble que non. :
Car on ne doit si promptement ,
Sans très grande inquisition ,
Procéder à Testonnement (6)
De sa femme ; veu mesmement
Que la double se peult oster.
Pourtant , dit le droit, seulement
108
■Pour ce , il ne doit rioter,
Fouller, tencer, ne tempester, (1)
Ne batre, ne user de menaces :
Mais bien peult à son lict taster
S'il trouvera deux chaudes places.
Se ainsy gette ces grimaces , (2)
Fouille , tempeste et se demsdne : (3)
Car playes sur playes , traces sur traces
Font une probation plûne ,
Quand on voit cheval qu'on promaine ,
Se il est chault, il a tracassé ; {à)
Chien soufflant à la grosse alaine ,
On présume qu'il ait chassé.
Se ung povre Jenin , ou Macé »
Treuve sa fejlhme fort esmuê ,
Ou elle a dansé « ou tancé,
Ou il y a beste abattue.
Si est la question soUuê ,
Et le cas sur le tiltre mis.
Et consequemment sera lue
Aultre Rubriche de Pactis ,
Et d'aultre tiltres cinq ou six.
Mais pour ce qu'il est tard je dys ,
Veu que estes tous endormis ,
Qu'il vault mieux attendre à Jeudy.
ExpUdt prima pars.
Cy finist la première partie de ce présent
livre et commence la seconde.
109
La seconde partie des Droitz DooveaDlx.
RUBRIGHE
De pactis.
Vous sçavez , mes bons apprentis ,
Quant mismes fin à noz leçons ,
Nous laissâmes à départis (1)
Des pactz : des conventions ,
D'acord , traictiez et pactions
De toutes façons , et contraulx
On trouve les définitions (2)
Sur ce tiltre , en noz droitz nouveaulx.
Tous achaptz , marchez feriaulx ,
Prestz , obligations , louages ,
Promesses , motz sacramentaulx »
Despens , donations et gaiges ,
Renonciations, lengaiges,
Tous consentemens sans erreur ,
Ainsi comme dient les saiges ,
Se traictent îcy par honneur.
Escoutez aussi le presteur ;
Pacta servabo : c'est son dit , (3)
Que tous pactis à la rigueur (â)
Il gardera sans contredit.
N'est-ce pas doncques grand dépit
D'ung tas de folles baveresses ,
Qui cherchent delaiz et respit
Pour ne tenir point leurs promesses?
Il en y a de noz maistresses
Assez legieres d'acorder,
Qui pour tenir gens en destresses ,
110
Ne veulent avant procéder ;
Ainçoys quierent à délayer,
A foQir de bic^ ou de bec.
Trop niieulx vauldroit content payer
Que repaistre les gens du bec.
Les unes.refiusent tout sec
Et dient : vous vous abusez.
Les aultres se tiennent au pec
Et respondent : vous me lerriez.
Leurs excuses : vous le diriez ; (1)
Leurs deffences : je n'oseroye ;
Leurs raisons : vous m'accuseriez ;
Leurs exceptions : je feroye ;
Leurs articles : si je pouvoye ;
Leurs additions : je crains honte.
En la fin de telle monnoye
On a tant , que on n'en tient compte.
Le droit nouveau dit et racompte
Une auctorité sur ce lieu.
Tout marché d'amour, quoyqu'il monte,
Se parfait sans deniers à Dieu :
Et ne chault ja son parle Ebrieu
Latin , Escossoys ou Flament ;
Car à parfaire tout le jeu ,
Y suffit le consentement.
Femmes n'aiment communément (2)
Que pour deux radsons en substance :
Dont les aucunes seulement
Le font , pour avoir leur plaisance ,
Pour se mettre en esjouissances
Sans estre melancoUieuses :
Celles-là , selon ma sentence ,
Sont long-temps en amours heureuses.
111
D*aultres en y a curieuses
D'avoir, d'amasser largement ,
Et contrefont les amoureuses
De quelque ung , pour avoir argent ;
De telles , il advient souvent
Que on sçet qu'elles sont notéœ , (1)
Et ne durent pas longuement
Qu'elles ne soyent tost escomées.
Puisque ces choses sont fermées ,
Je demande une question :
Noz gorgiases , noz succrées
Qui ne le font pour rien , sinon
Pour le denier, à sçavoir mon
Se c'est ou vendage, ou louage,-
Ou pur prest , ou conduction ,
Ou permutation , ou gaige ?
Quel contract esse , en brief langaiges 7
Ce n'est point prest, ce m'est advis;
Car selon raison et usaige ,
Pur prest se doit faire gratis.
Ostez tous argumens , je diz
Le contract estre en droit exprès (2)
Dont descend , prescriptis verbis
Comme on dit : facio ut des ,
( Affin que tu donnes , je faitz) .
C'est l'intention toute pure ;
Sans les dons on n'ayme jamais :
C'est bien praticqué l'escripture.
Si me semble41 chose bien dure
De vendre biens incorporelz :
Amours , ce sont biens de nature ,
Ce sont biens spirituelz ,
Ce sont bénéfices telz quelz
112
A povres mignons nécessaires î
Posé qu'il ne vallent pour telz , (1)
Si sontrilz pourtant salutaires.
Les vrayes collations ordinaires
Sont daines plaines de doulceurs ;
Souspirs sont les référendaires ;
Les patrons sont larmes et pleurs ;
Regret2 sont abreviateurs ;
Peine est au plomb, et soulcy brusle;
Mellencolyes sont les scelleurs
Qui font expédier la bulle.
Encor, ce qui plus me reculle ,
C'est ce que on contrainct l'appliquant ,
Et n'eust-il qu'une vieille mulle ,
A payer au long le vacquant.
C'est le pis que ung povre impétrant
Qui n'a n'affiquet ne troussoire «
S'il ne paye la taxe contant
On le prive du possessoire.
Puisque c'est chose si notoire
Que c'est bien ecclesiasticque ,
Que c'est bénéfice , et encore
Qu'il est si commun et publique ,
Et que chascun tasche et s'applique
A avoir les préventions ,
Y a point lieu la pragmatique , (2)
Au moins les nominations?
Nenny : car les provisions
Ne se font pas aux escoliers :
Nul n'en a les collations,
Qui n'ait ou chaisnes ou colliers,
Tous apostatz irreguliers.
Noz grans Gentilz-hommes mondains ,
Volaiges , estourditz , legîers ,
113
Esèèmlez comme beaulx daiiis ,
Qui ont la verve et sont soubdains ^ (1)
Esveillez , fa^nnez , quarrez ,
Et tousjours les estomacz plains
D'ung tas de lacez bigarrez ,
En ung bancquet sont bien parez
De bauldriez et de gibecières ,
Vestuz d'un drap tondu et rez s
Dieu sçet se leur robbe est legiere.
S* on joue peut-estre la carrière ,
Petit Rouen , le grand Tourin , (2)
La Gorgiase , la Bergiere ,
Ils se courroucent au Tabourin ;
Telles dances ne sont plus en train
A noz mignons du commun cours :
Car, soit ou françois ou latin ,
Hz ne veuUent dancer qu'en amours.
Amours , on ne faict tous les jours
Aux Tabourins aultre pourchas :
Amours se sont dances de cours ,
Telles qu'il appartient au cas.
Il en y a d'aultres ung tas ,
Qui ne veuUent point d'aultre note
A dancer, que les Trois Estatz ;
C'est leur ruse , c'est leur riotte.
Cela signifie et dénote
Que telz gorgias et danceurs ,
Bien souvent, pour tromper leur oste
Contrefont des estats plusieurs.
Hz sont Maîstre et Gouverneurs,
Hz sont Eschansons , Escuyers ,
Hz sont Capitaines , Seigneurs :
Bien souvent ilz ne sont que Ardhiers !
Hz solicitent Conseillers
8
Pour attraper les pensions ,
Curez , Coustres et Marguilliers (1)
Et prennent les Oblacions.
Dz tiennent Jurisdictions ,
Hz condamnent gens en l'amande ;
Ilz tiennent des Religions
Et des Abbayes en commandes ;
Hz ont et Chapelle et Prébendes ,
Ilz ont d'aultre part fiefz et tierre ;
Et vont au Senne s' on leur demande.
Et le lendemain à la guerre*
Ilz vont à Rome pour enquerre (2)
Dispence ou charge d'Eglise; (S)
Après ilz vont en Angleterre
Conduire ung faict de marchandises ;
Ilz y vendent drap ou la frise.
Ilz sont receveurs , et ont gaiges ;
Ilz prennent, ou ilz font la mise ;
Ou ilz sont laboureurs ou paiges ;
Ou ilz brassent des mariages ;
Ou ilz corbinent Eveschez ;
Ou ilz font leurs aprentissages ;
Ou ilz sont jà maistres passez ;
Ou ilz reforment telz et telz ;
Ou ilz combatent les neuf preux ;
Ou ilz bâtissent vieulx bostek;
Ou ilz démolissent les neufz ;
Ou ilz ont eu pouUetz et œufz ;
Point ne sont contens de leur cas ;
En effect telz mignons sont ceulx
Qui dansent bien les Trois Estatz.
Ilz sont Cappellains et Prelatz ,
Hz sont les drois Prestres Martin, (4 )
Hz chantent hault, repondent bas ;
Hz parlent françois et latin.
116
Puis ilz s*abillent de satin ;
En Gendarmes et Advocatz ,
En Escossois , en Biscain «
A la mode de Carpentras.
Or je demande icy ung cas ;
Qui vouldroit, par bonne cautelle.
Comprendre tous les Trois Estatz
En une robbe bien nouvelle ,
Quel' robbe vous sembleroit belle, (1)
Qui tous les Trois Estatz désigne ?
— Par Dieu je n'en sçay point de telle (2)
Que seroit une Galvardine , (3)
Le Bicoquet , la Capeline
Qu'on notte vray Religieux,
Se vous en voulez veoîr le signe ,
Regardez l'habit des Chartreux :
Leur habit de teste sont teulx ; (A)
Puis la manche que on coupe et laisse
Les bras hors ; cela est joyeulx ,
Et , qu'on note la gentillesse :
Après , la robe qui s'abaisse
Soubz le genoitil , par bonne guise ,
Large assez , dénote simplesse
Et vray estast de marchandise.
Or donc que homme ne s'advise ,
En festes, bancquetz et esbatz ,
Si il n'a sa Galvardine mise , (5)
D'aller dancer les Trois Estatz.
Je vous demande icy ung cas ,
En matière de paction :
Ung applicquant , ung gorgias ,
Frisque , bien empoint et mignon ,
Ung habille homme , ung compaignon
116
Qui se veult mesler de dancer ;
Or ne sçdt-il dancer, sinon
Une : filleê à marier.
Devant qu'il se voise ingérer
A mener Dame à sa plaisance ,
Il va le Tabourin prier
Qu'il ne luy sonne que sa dance ,
Celle qu'il sçet; puis s'advance
Et entre ou parc , hors de la presse ;
Et le Tabourin vous commence
A sonner, et joue : ma maistresse^
Contre son dit et sa promesse.
L'aultre se effemue et se trouble, (1)
Et de fsdct quand la dance cesse
Il demeure sur ung pas double :
Dieu sçet se il songe creux et trouble I
Le povre danceur s'excusoit :
Mais quoy ! il n'avoit pas un double ;
Pour cela cbascun s'en mocquoit.
Je demande se selon droit
On doit le Tabourin pugnîr !
Se pour le pacte on le pourroit
Faire adjoumer ou convenir ?
Les Vieulz droitz vouloient soutenir
Que cela n'estoit pas injure :
Mais les nouveauk veullent tenir
Que c'est très grande forfaicture
Au Tabourin, et chose dure
Au mignon ; pour ce , par sentence
De droit, de raison, d'escripture ,
On luy doit imposer silence ,
Le destituer de plaisance ,
Le dégrader par bon moyen
De chaîne d'argent , de chevance , (2)
De son tabourin , de son bien :
117
Car il devoit , sur tout rien ,
Tenir promesse sans esclandre.
Tabourin , souvienne vous-en ,
Et vous gardez bien de mesprendre :
— En oultre droit a fait deffendre (1)
Aux maistres Jures; du mestier,
Qu'ilz n'ayent à recepvoir ou prendre
Aucun Bedon , ou Menestrier,
Sans premier les foire jurer
Que à leur pouvoir ilz garderont
Povres danceurs de demourer,
De foillir quant ilz danceront ;
Mais qui plus est redresseront
Tousjours ung povre gaudisseur.
En foçon que les gens diront
Que c'est ung notable danceur.
Et si soubz moyen ou couleur
Ne veuUent à cecy pourvoir,
On les prive de tout honneur
Que les Tabourins peuvent avoir.
Aultre question fault mouvoir :
Bourgeoise hante le gibier ;
Et pour mieux faire son debvoir,
Elle ayme ung plaisant Escuyer ;
Et affin de son cas celler,
Elle permet sa chamberiere
Baiser, taster, faire et galler
Au Paige Monsieur, en derrière :
Et faict pact en ceste manière
Pour garder tousjours ses honneurs.
La paction est-elle entière ? (2)
Doit elle obtenir ses vigueurs ,
Veu qu'elle est contre bonnes meurs?
De raison , elle ne doit valloir :
118
Mais droitz nouveaulx sont plus seurs
Et dient qu'il n'en doit challoir :
En ceste matière pour voir,
Il y a regard et faveur.
Car l'intention et vouloir
Estoit pour garder son honneur :
Et pour ce est de bonne valleur
Le contract et la paction ;
Et s'il y a faulte ou erreur,
U y chet vallable action.
Je forme une aultre question : *
Une courtière, ou maquerelle,
( A proprement dire son nom )
Sert une Bague fort nouvelle ,
Gorgiase , plaisante et belle :
Elle là prie pour ung Seigneur,
Comme elle dit ; elle l'appelle
Ung grant homme, ung homme d'honneur;
Elle dit que c'est ung donneur
De chapperons , de robbes fourrées.
Hais c'est ung povre estargaveur (1)
Qui les vouldroit toutes souppées.
— Et dit qu'il a robbes fourrées , (2)
Toutes neufves qu'il a faict faire :
Hsds les siennes sont deschirées ,
Tant est povre etmmce de caire.
— Elle dit qu'il est débonnaire ,
Bel homme , plaisant et mignot :
Et c'est un putier ordinaire ,
Qui est aussi lait q'ung marmot.
— Elle îuy dit , en ung brief mot ,
Qu'il est de bon lieu et est saige :
Et toutesfoîs ce n'est q'ung sot.
Filz de quelque huron saulvaige.
119
— Elle dit de luy que c'est raige ,
Qu'il est Archediacre , ou Chanoine :
Et c'est un Prestre de village ,
Ou le clerc de quelque vieil Moyne.
Au moyen de la Triolaine ,
Et qu elle en disoit des biens tant ,
La povre mignonne se pêne
Et s'en va vers luy tout bâtant
Elle cuydoit avoir contant
Force monnoye et parpignoUes ; (1)
Mais elle retourna pleurant ,
Et ne fut payée qu'en parolles.
Elle cuidpyt user de bricoUes ,
Affin d'attraper et de mordre.
Mais quoy ! elle fut aux escoUes :
Elle apprint que c'est que de l'ordre.
Elle avoit grant paour de se tordre ,
Tant y alloit viste courant.
Je croy qu'il ne fallut rien sordre : (2)
11 n'y eut riens de demeurant.
Je demande s' aucunement
Elle pourroit , veu la matière ,
Le conseil et l'enhortement,
La façon d'elle et la manière,
La déception toute clere ,
L'abus qu'elle fist de langages,
Faire convenir sa courtière
Affin de ravoir ses dommaiges.
Le droit dit, aussi font les saiges,
Veu le procès malicieulx
De celle qui faict les courtaiges ,
Son conseil faulx et frauduleux,
Cault, deceptif et captieux
Qu' elle rendera le salaire
A la mignonne," et en tous lieux
120
Privée à iousjours de ce faire i
Oultre la declaire faulçaire (1)
En son mestier, et souffrera
Peine corporelle, arbitraire,
Comme le Jugç advisera.
Et par cç moyen ce souldra
La question, puisque on s'y fiche :
est ticop demeuré sur cela.
De dolo.
S'ensiMt donc après la Rubriche
De Dolo. Il n'y a si riche,
Si povre, tant soit simple, ou grue
S'il estoit, si large ou si chiche.
Qui sur ce pas icy ne rue. (2)
Vecy comme il seconthmè ;
En traictez et en pactions
Souvent est la partie deçeuë
Par frauldes, circomventions.
Par après es conventions (8)
Et aulx promesses je m'aplique,
Qu tiltre des déceptions
Lequel aujourd'huy on praticque.
Et pensez vous tant en praticque.
Que en amours, et en marchandise
On use de grant Rethorique
Pour venir à son entreprise ;
De dol, de fraulde et de faintise (4>
Chascun veult gloser le psautier;.
Ghascun est à la convoitise ;
Chascun est maistre du mestier.
Aujourd'huy ung grant Chevalier,
IJng grant Abbé, ung grant Seigneur,^
121
Se yra franchement pourmener
Avec ung petit Procureur ,
Et luy portera grant honneur,
Pourveu que sa femme soit belle 5
Et n'est que pour avoir couleur
De hanter souvent avec elle.
D'une habitude telle quelle , (1)
On vient à Thabitation :
Tulle en sa Rhétorique appelle
La couleur fréquentation.
N'est-ce pas grant déception »
Grant tromperie et mauvaisetié ,
Soubz faulce conversation
Faire avec femme son traictié ?
niais au fort ce n'est qu'amitié ; (2)
Ce ne sont que communs ouvrages ;
C'est pour payer l'indennité , (3)
pt fournir aux yiéulx arreraiges.
Tous Prestres , Clerz , et folz , et saiges ,
Advocat^ et Praçticiens ,
Juges , Gentilzhommes et Paiges »
Femmes , Amoureux et Marchans ,
Minces , riches , mignons , meschans
Sçavent de ce tiltre la voye.
n n'est propice à toutes gens
Qui se meslent d'ouvrer de soye :
En quelque maison que je soye ,
On les met tousjours en leur place :
— Comme le noyr : et se y pensoye.
— Le jaulne de : c'est vostre grâce. (4)
— Le fauypau de : faulce grimasse.
— Taint en bleu de ce vous en croy ,
Fait ung pers d'ung grant preu vous face, (5)
Çt vmg vert de vêla dequoy.
122
— Ung tanné de legier octroy
Vaolt ung gris d'un grant audivi.
— Soubz ung blanc de pardonnez-moy ,
Dieu sçet se le monde est servy.
Noz grans orateurs aujourd*huy ,
N'ont plus autre couleur en main.
Toutes façons de gens aussi
Maintenant ensuivent ce train.
Déception court et sur grain ,
Sur femmes, et sur escuyers ,
Et sur le vin, et sur le pain,
Et en effet sur tous mestiers.
Ne voyons nous pas ces Drapiers
Presser un drap ou gris ou jaune ,
Qui ne vauldra pas trois deniers ;
Uz le vendront bien deux francz l'aune. (1)
Galures portent escrevices (2)
De velours , pour estre mignons ; (3)
Et son deçeuz povres novices ,
Cuydans que ce soient hocquetons.
Soubz grans robbes fourrées de martres ,
Noz Bourgeoises tiennent ces termes
De façonner leurs culz de cartes , (à)
Affin qu'ilz en semblent plus fermes.
Elles ont visage frais et moite ,
Joues vermeilles et blanches dens ;
Mais c'est Dieu mercy , et la boitte ,
Ou les drogues qui sont dedans.
Une qui aura les yeulx rouges ,
Les lave au matin d'une eaue blanche ,
Tellement que sur toutes gouges ,
Elle semblera la plus franche.
Mais ne sont-ce pas bonnes faintes (5)
123
D'aucuns imignons chenuz et yieulx, (1)
Qui ont tousjours les testes paintes ,
Qu'ilz semblent jeunes par les cheveux , (2)
Quoy qu'ilz soient povres et caduques »
Et faignent qu'ilz ayent du content :
Si voit-on que soubz grans parucques « (3)
Ne croist pas voulentiers argent.
Madamoiselle , par manière ,
Se façonne comme une gaule
Et porte ung long touret derrière ,
Pour musser une faulce espaule.
Quant noz mignons chaulx et testus ffi)
Jouent au Glic ou à la Roynette , (5)
Hz empruntent franc dix escus (6)
Dessus la clef de leur bougette :
Et baillent , quant ilz sont sur champs ,
Leur boite à T hôtesse à garder , (7)
Et dient qu'il y a cent francz
Où il n'y a pas ung denier.
Nous voyons noz grans macquerelles ,
Barbues comme ung viel franc Archier ;
Pour mieulx soutenir leurs querelles , (8)
Elles font leur poil arracher :
Si promettent habits Royaulx , {9)
Des chapperons et robbes fourées ;
Mais ce sont chapperons d'oy seaux
Et aussi robbes à poupées.
Femme qui a quelque mignon , (10)
Tire de luy bague ou anneau , (11)
Et use de retencion :
Vous semble-il que le jeu soit beau ?
Femme pour atraper martirs
12A
Et ruser quelque gaudisseur ,
Cette emprës luy de grans soUspirs ,
Pour luy faire triste le cueur. (1)
S'ont taste les grandes joncheresses , (2)
Celles qui hantent es escolles , (3)
Elles serrent si fort les fesses
Qu'on ne les sçauroit trouver molles.
Femme à donner ung peu s'applique «
Pour retirer ung plus grant don :
C'est la couleur de Rhétorique,
Que on nomme répétition.
Noz mignonnes sont si très haultes (A)
Que pour sembler grandes et belles «
Elles portent pentoufles haultes
Bien à vint-quatre semelles.
Quelque une qui a fronc ridé ^
Porte devant une custode ;
Et puis on dit qu'elle a cuidé
Trouver une nouvelle mode.
Si Damoiselle a gorge laide »
Seiche et ridée soubz ses atours^
Elle portera , pour remède ,
Une cornette de velours.
Par telles manières îndeuës ,
Par telle manière et façon ,
Sont souvent povres gens deçeuës
Et ont une lourde leçon.
Amours ce n'est que trahison :
Aujourd'huy pour la contrefaire.
Je Tequiparë à la maison ,
Ou ouvrouer d'un Apoticaire.
— Une drogue à l'autre est contraire,
Combien qu'en un lieu je les tiens :
— Le mortier c'est : je veulx complaire. (1)
Le pillon c'est : vous n'aurez riens.
— La balance : je vous retiens ;
Et le poix : vous vous abusez.
— La batte : je vous aime bien.
Le couverceau : vous me faschez.
— La fiole : vous me plaisez ;
Et l'escripteau : ce n'est qu'ordure.
— Le dedans : c'est j'en pers les piedz ;
Et le dessus : je n'en ay cure.
— Autour d'une mesme closture
Il y a roses et épines , (2)
Bien et mal , chaleur et froidure ,
Composées de diverses mines.
Puis y a de vieilles racines
Qui ont la vertu de aymant ,
Et ne servent pour médecines ,
Sinon à tirer de l'argent.
On peult donc jurer bonnement
Qu'en amours , en toute façon ,
En tous estatz présentement
Il ne court que déception.
De dolo en faict mention :
Notez ce que dict en avons. (3)
•
Je mettray une question ,
La quelle tantost narrerons.
Le cas est : Ung de noz mignons
Fut amoureux d'une fringante
Qui demeuroit de-là les Ponts ,
126
D*une Bourgeoise belle et gente;
Et pour en jouir luy présente (1)
Cent escus au commencement
Toutesfoys c'étoit son entente (2)
De joûyr d'elle loyaulment ;
Et luy sembloit que « incontinent
Après la première secousse ,
Il en pourroit finer souvent
Sans plus mettre main en la bource.
La mignonne prent et embource
Les cent escus , et endura
Ce bien , sans ce qu'elle se course
De riens , au moyen de cela.
Depuis le mignon s'en alla
Dehors , et ne fist demeurée
Que trois jours : quant il retourna ,
n la trouve toute changée.
Elle contrefait la rusée
Et dit pourtant s'elle a hanté ,
Qu'elle n'est plus délibérée
D'estendre la fragilité. (3)
Dit , oultre plus, qu'elle a esté
A confesse, au bon Cordelier
Qui l'a presché et enhorté
De jamais n'y plus habiter :
Brief elle luy dresse ung mestier.
Une risée , une decepvance.
Le povre homme cuyde enrager ,
Et ne sçet tenir contenance.
Pour exception ou deiTence ,
Il repond que pas il ne croist
Que ung Cordelier de l'Observance
Le puisse priver de ce droit ,
Veuë Typotheque qu'il avoit
Sur cette mignonne fringante :
127
Car la loy mesme ne pourroit
Sans cause lu^ oster sa rente. (1)
Je demande se Tapplicante ,
Pour frustrer l'autre et reculer ,
A quelque raison sui&sante
De mettre en jeu le Cordelier.
Les droitz nouveaulx , pour abréger ,
Respondent que on ne trouve mye
Que ung Frère Mineur peult oster
Le droit d'une tierce partie :
Et , quoique la mignonne dye ,
Elle doit de toute raison
Tenir loyalle compaignie,
Foy et promesse à ce mignon.
Mais s' elle alleguoit trahison
Encontre luy « ou faulte grande ,
Elle auroit bonne exception
Pour le frustrer de sa demande.
Une aultre doubte je demande :
Femme à son mary bas devant ,
Qui prend à d'autre lieu provende :
Loit il de luy en faire autant ? (2)
Se son mary s'en va hantant
Aucunes mignonnes fillettes ,
Doibt-elle fréquenter pourtant
Les Gordeliers ou les Billettes ?
Pourtant s'il a façon doulcette
Qui se voise ailleurs atteler ,
Peut-elle courir l'esguiUette
Et s'en faire aussi harceller ? (3)
Et cil qui voit sa femme aller (A)
En lieu de gibier , à Tescart ,
A il cause de grumuler ,
Fraper ou luy donner sa part ?
m
Les droitz dicnt que tel souldari
boit endurer en paix roffense.
La raison du saige et de art : (1)
Dolui cum (Mo se compense^
En ce cas Tung l'autre compense*
Puisque chascun d*euk est en Ruyt,
L'ung a les dez, l'autre la chance :
C'est simplesse d'en faire bruyt.
Une autre question nous duit ;
Une qui sert de beaulx messages ,
Une courtière qui ne vit
D'autre chose que de courtaige,
En contrefaisant ces messages
Une meschante deschirée, (2)
Qui a couru bourgs et villages,
Et est à tous habandonnée,
Une morfondue, mal parée,
Une meschant' bague ou gibier ; (3)
Cette vieille l'a emmenée
Et là vous mez sur le mestier ; (4)
Et de faict la va appoinctier (5)
De chapperon rouge, au surplus
De corset, de soye baudrier, (6)
De robbe : que voulez vous plus ?
Tant que devant pour trois festuz
Vous l'eussiez eue , ou pour du pam :
Maintenant la couple d'escuz.
Ou le noble luy pend au sain.
Au temps de tout son premier train,
Elle alloit par tout, loîng et près :
Et maintenant c'est ung gros train, (7)
Et ne va que aux porches secretz.
Elle alloit devant et après,
Toute seule, à mont et à val ;
i
120 r
Maintenant c*est ung cas exprès
Qui la fault conduire à cheval. (1)
Quel* tromperie I propos fiQal ,
C'est déception et cautelle :
Or rinventeur de tout le mai
A esté cette maquerelle.
Je demande conmient doit-elle
Estre pugnie , veu qu'elle s'applicque
De bailler si lourde marelle ,
Et tromper la chose publicque ?
Selon droit et la tiieorique ,
On la droit pugnir voirement ;
Mais , par mon serment , la pratique
Est au contraire maintenant.
C'est que on la pugnist d'£u*gent, (2)
Et de peine pécuniaire,
Au profit de quelque Sergent,
Qui en est le Juge ordinaire.
Mais que on luy fonce le salaire : (8)
Elle aura son gaige exprez ;
Et si n'y aura Commissaire,
Qui en parle jamais après.
Une aultre question je mete :
Que vous semble il d'une ymage
Qui s'acointe d'aucun nyais,
Et vent troys foys son pucellage 7
Quelque gros grain, faiseur du saige,
La vient ung petit manier :
Celuy là paye l'apprei^ssaige
Et le pucellaige premier.
Depuis survient quelque escoUier
Gorgias, de bonne maisoi;!,
Qui se met à en essayer
Et est le second échanson.
ISO
Apfës revient quelque mignon
Qui paye et passe les destroitz. (1)
Vous semble il que ce soit raison
Vendre une seule chose à trois ?
Quelque vendage toutesfoys
Qui soit faict , ou qui ait esté ,
Telle marchande contre noz droitz (2)
Retient la propriété. (3)
Je demande se d'équité ,
Il est saige ou fol qui si fie ,
Et se pour telle faulceté
La nymphe doit estre pugnie ?
Les droitz décident , quoy qu on dye :
Se la faulceté est congneuê ,
Celle qui faict la tromperie
Sera fustigée et batuë ,
Demy vestuë et demy nuë ,
Pour recongnoistre son delict,
Non pas en carrefour, ne en la rue ,
Maûs aux quatres cometz d'ung liçt ,
Les dents contremont , Fesperit
Pensant , ravy en amourette ,
La teste au bout du châlit ,
En lieu du cul d'une charette :
Et l'exécution parfaicte , (â)
Après quatre ou cinq moys passez ,
Par ceulx qui la despeche ont faicte ,
AflSn d' estre recompensez.
C'est trop caquette ; c'est assez
Sur le dolOy ce m'est advis. (5)
S'ensuit donc , pour estre avancez ,
La rubriche de impensis.
131
BUBKIGHE
De Impensis.
Des Impenses. — Selon tous dictz ,
S' on tache à decepvoir les gens
Et tromper par moyens subtilz ,
Ce n'est que à fm des despens.
Pour ce, après de Dolo}e prens
Des Impenses. — En bonne foy ,
Ceulx, qui font Tarquemie aux dens.
Ne practiquent point ceste loy :
Ceulx, aussi qui n'ont pas de quoy ,
Ne peuvent telz grans despens faire.
Pour ce c'est le pis que je voy.
Quant ung homme est mince de caire :
Se ung amoureux n'a que traire.
Ne que mettre en production ,
Il n'y fault point de Commissaire
Pour faire la taxation. (1)
Trop inutille est l'action
Celuy qui à povreté tire ; (2)
Encore pis l'exécution , (3)
Là ou on ne treuve que frire.
Or n'est-il riens au monde pire ,
Quant ilz ont ensemble leurs Cours ,
Pour ung povre mignon destruire ,
Que faulte d'argent et amours. (4)
On a veu , les anciens jours ,
Qu'on aimoit pour ung tabouret ,
Pour un espinglier de velours ,
Sans plus pour ung petit touret.
Aujourd'huy, il fault le corset ,
Ou la troussoire d'ung grant pris ,
132
Ou bailler dix eacus d'ung tretz.
Ou la robbe fourrée de gris.
Or voicy ung cas qui est mis :
Ung mignon ayme une mignonne ,
Et sont ses esperitz ravis «
Tant luy semble-elle belle et bonne.
A elle du tout s'abandonne ;
Et pour la faire plus mignotte ,
Quatre aulnes de satin luy donne ,
Pour luy faire faire une cotte.
C'étoit satin de belle sorte ,
Sendré , ung satin de Fleurence :
Et de faict la prie qu'elle porte
Cette cotte « pour sa plaisance ,
Pour avoir de luy souvenance.
La Bourgeoise eut ung autre amy,
A qui elle dcmne et advance
Les quatre aulnes de satin cy ;
D les prent et est rejoûy ;
n fringue et en faict sa fredaine.
L'autre songe et est esbahy,
Qu'il voit qu'il a perdu sa peine.
L'ung est tondu , l'autre a la laine ;
L'ung eschetlate , l'autre. la tojme ; (1)
L'ung est celuy qui semé avoine,
Et l'autre est celuy qui moissoue.
Assavoir que raison ordonne , (2)
Si je voys quelque sot fringuer
De chose que à femme je donne ,
Se je la pourroye vendicquer.
Reprendre , ou à moy appliccpier ?
Le droit nouveau est résolu
Que on ne sçauroit tant topicquer.
Que le satin ne soyt perdu
133
Pour moy : mais bien au résidu , (1)
On ne peult la Dame appréhender.
Et se mon drap ne m'est rendu , (2)
C'est assez pour la dégrader (3)
De son honneur, et procéder
Contre elle à dégradation.
Le prélat qui sera l'ouvrier,
Sera quelque mauvais garson.
Telz motz qu'on dict une chanson
Qui court par les rues et sentiers :
Ce que on oste c'est bon renon. (A)
Le registre aux mauvais Greffiers , (5)
Et tous les menuz Officiers ,
Comme Scribes et Promoteurs ,
Sont Pages , et pallefreniers , (6)
Applicquans, marchans, Gaudisseurs, (7)
Que sçay-je , un tas d'Afistoleurs,
Qui ont oûy le faict compter.
Qui jetteront gouUées plusieurs (8)
Et l'yront partout esvanter.
En ce point voit-on dégrader
Celles qui trompent leurs amys.
C'est assez dit : il faut traiter
Le titre de injuriis.
RUBRIGHE
De Injuriis.
Des injures le tiltre est mis ,
Ou y a de grandes matières.
Pensez que ce tiltre est bien pris
Entre ces vieilles harangieres :
Les estaux de ces poissonnières ,
Les coffres de la lingerie ,
ISA
Et les bacquetz de ces trippieres.
Ne sont plaine d*aultre mercerie.
Les crodietz de la boucherie.
En Chastcllet ung tas de sacz ,
Et au surplus la plaidoyrie
De tous les plus grans advocatz ,
Injures trop, à tas , à tas.
Dieu sçet se bien sont esplucbées
ParoUes et menus fatras
Aux chambres de ces, accouchées :
Les fenestres ne sont bouchées
Que à faulx et à manches d'estrilles :
Les couches ne sont attachées
Que de grands lardons pour chevilles :
Les carreaulx , surquoy seent les filles ,
Sont pains d'ung tas de semist Dieux : (1)
Les tapis, se sont evangilles
Et vies à povres amoureux.
Au chevet du lit pour tous jeux ,
Pend ung benoistier qui est gouid,
Avec ung aspergés joyeulx
Tout plain d'eaue benoiste de cour.
La garderobbe c'est la court ,
Là où on traicte noz mignons ;
Là on n'espargne sot , ne sourt ;
C'est là où on les tient sur fons.
L'une commence les leçons
Au coing de quelque cheminée ;
Et l'autre chante les respondz ,
Après la légende dorée.
Si-tost que mâtine est sonnée ,
11 n'y a ne quignet ne place
Que on n'y carillonne à journée :
Il est tousjours la Dédicace :
1S5
•
En la messe il y a préface ,
Mais de confiteor jamais.
Oncques , puis le temps Boniface ,
Aussi on n'y bailla la paix.
Car il y a entre deux ais
Tousjours quelqu'une qui grumelle
D'entre sa voisine d'emprès ,
Qui veult dire qu'elle est plus belle.
Bref, c'est une droicte chappelle ;
Et si n'y a Prélat d'honneur
Qui ne tache bien , sans séquelle ,
D'avoir place d'enfant de cueur.
L'une comptera de Monsieur; (1)
Et l'autre d'une créature
Qui a cul de bonne grosseur :
Mais il ne vient pas de nature :
L'une dict que c'est enfanture ;
L'autre dira qu'il n'en est rien ;
Et pour ester la conjecture ,
Chascune faict taster le sien ,
S'il est fagotté , s'il est bien ^
S'il est troussé , s'il est serré ,
S'il est épais, quoy et combien ,
S'il est rond , ou long , ou carré ;
Tel y a, s'il estoit paré
Et qu'on luy vist ung peu la cuisse ,
On le trouveroit bigarré
Comme ung hocqueton de Souysse.
Celuy si me semble est bien nice.
Qui fonde dessus une maison ;
Car quelque chose que on bastisse ,
Le fondement n'en est point bon.
Après qu'on a dit ce jargon , (2)
136
Tantost après arrivera
Une grande procession
Qui d'aultre matière lyra.
L'une d'elles commencera
A resgaudir ses esperitz ;
Dieu sçet s'elle praticquera
Le tiltre de InjuriU.
Quelqu'une par moyens subtils
Ira semer de sa voysinne ,
Qu'elle suborne les amyes
Et les chalans de sa cousine.
D'une autre , on dira que c'est signe
D'une parfaicte mesnagiere ,
Prester « pour garder sa cuisine ,
Son cul plustost que sa chaudière.
S'on touche de quelque compère , (1)
L'une dit qu'il est trop faschant :
L'autre qu'il a béQe manière ;
Mais il se panche ung peu devant.
D'ung tel , il sçet son entregent y
Et si luy siet bien à dancer :
Hais il n'a pas souvent argent ;
Il ne sçet que c'est que foncer.
Quelque vieille va commencer
A filler , qui empongnera
Sa quenoille de hault tencer ,
Son fuzeau de — tout se dira.
Les estoupes de — on le sçaura ,
Le rouet de — j'ay bec ouvert , (2)
Le vertillon de — on verra (3)
Le pot aux roses découvert.
Le fil de la quenoille est vert
Et si délié pour s'enfiler , (â)
cjue le grant diable de Vauvert
137
A peine s'en peut desmesler. (1)
Pour mieulx à Taise vaneler ,
On met estoupes par dedans
La saincture de trop parler ,
Et la couche Ton des plus grans.
On empescbe langues et dents «
Et mettent leuts toings et leurs cures
Par lardons , broquars , motz piôquftns
A exposer les escriptures.
C'est ainsy que tek créatures ,
En parlant de l'autre et de Tung ,
Lisent le Tiltre des Injures.
C'est aujourd'huy le train commun
De noz Gentilz-hommes : quelque ung
Un banquet n'entendra langaige
Que de mesdire sur chacun ,
Sur quelque Bourgeoise ; que say-je ? (2)
— L'une est abillée en villaige ;
— L'autre est dangereuse au frain ;
— Et l'autre deveroit estre saige ,
Car elle a ung très grant engin.
— D'une on dit qu'elle ayme hutin ,
Et a l'instrument compassé
Comme ung houseau de biscain ,
Quant a le ventre deslassé. (3)
— L'une a couru, l'autre a trassé :
— L'une a les grans, l'autre a les gros :
— L'autre a l'estomac renversé
Et a l'entendement au doz.
— L'une a visaige de marmotz
Enluminé de vermillon :
— Et l'autre sont l^ombre des brotis ,
Ou la graine de morillon.
1S8
— L'une est rognée par le talon , (1)
Et cloche ung peu quant elle dance :
— L'autre a le corps à reculon ;
Et cuide Ton du cul la pance.
Brief , c'est une droicte plaisance
Que d'ouyr mignons en bancquetz.
Car en celle où Ton met l'advance ,
Il y a tousjours sy , ou mes.
Sotz , saiges , drups , dupes , ny ais ,
En playdoyés , en escriptures ,
Tous Advocatz , et Clercz , et Laiz ,
Sçavent ce Tiltre des Injures ,
Et parlent souvent sans mesures ,
Et injurient gens sans raison.
Et pour achever noz lectures , (2)
Je veulx mouvoir deux questions ;
Et puys ho ! — Tune est : noz mignons
Vont quelque Bourgeoise hanter ,
Et la tiennent si bien sur fons
Qu'ilz parviennent à habiter.
Ont ils faict, ilz s'en vont vanter (3)
Par tout , à Gaultier et à Sybille :
Et , s'on ne les veult escouter
Aux champs , ilz le crient en la Ville.
Je demande par voye subtille ,
Se la femme aura action
De l'injure? et par rigueur du stille.
S'il y chiet grant punition ?
Je respons par distinction :
Ou celle , dont on dict ce bien ,
Prent des mignons argent ou non ;
Ou elle le faict et n'en prent rien.
Se elle prent argent , tout moyen , (A)
Tout remède , le droit Iny fault.
139
Et s* elle n'en prent point, trop bien
Elle a Faction ; et ne cbault
S' elle a eu chose qui le vault :
Car se vanter, c'est mal rendu.
Et dit pour ce , que ung tel ribault
A bien gaigné d'estre pendu.
Par ainsy est le cas solu.
L'autre question en efFect
Est telle : — ung Macé goguelu
Trouve sa femme sur le faict.
Assavoir mon , se s'est mieulx faict
A luy d'appeller ses voisins ,
Les gens de la rue , ou le guet ,
( Que sçay-je ? ) ung tas de maillotins ,
Ses oncles , parens et cousins
Pour sa povre femme escomer ,
Et affin qu'ilz soyent plus enclins
De consentir la séparer ?
Ou , se c'est mieulx faict d'endurer
Et luy dire par bons rtioyens :
— Au moins deviez vous l'huys serrer ; .
S'il fust venu des aultres gens ,
Se quelq'ung fust entré céans
Il n'eust pas falu rompre l'huys.
Lequel est plus saige ? je tiens ,
Aussi les droitz sont à ce duys
Et à ce résolu , que puis
Qu'il sçet qu'on besongne ou qu'on baise,
Devant qu'entrer doibt dire : et puis ,
Qui est leans ? ne vous desplaise !
Ne bougez ! faictes à vostre aise !
Sans luy demander : que fais tu ?
Car qui se course , si s'appaise :
C'est grant peine d'estre testu. (1)
uo
Pensez, pour ung gentil coqu
Qui veult vivre en persévérance ,
11 n* y a si belle vertu
Au inonde que de patience.
Car posé qu'on parle , ou qu'on tance/
On n'en tient riens ; ce n'est que glose :
Pour parler ne se nraë plaisance :
Brief , on n'en aura aultre chose.
Mes mignons , sans plus longue prose
Aussy quant serez avec gens ,
Tenez tousjours la chambre close ,
Pour doubte d'aultres survenans.
Par ceste response je rens
Solu le cas qui est c'y mis.
Et finissent icy les moyens
Du Tiltre de injuriis.
Des droitz nouveaulx avez oûys
Sept Tiltres : c'estoit mon entente
D'en lire encore cinq ou six ,
Voire dix , voire vingt , ou trente ;
Mais brief pour ceste année présente ^
C'est force vous tenir à tant :
On ne peult faire que en faisant
Toutesfoys pour finer ces droitz ,
J'entens lire tous les ans
Des tiltres quelques deux ou troys ,
Par manière de passetemps.
Pour ceste heure soyez contens ;
Peu à peu fault ronger ou paistre ;
Petit à petit on est maistre.
Se le temps n'eust esté estroict ,
En bref je sçavoye les manières
A faire les reigles des droitz
141
Qui eussent esté singulières :
Mais d'embrasser tant de matières
En ung coup , tout u'est pas empraint :
Qui trop embrasse , mal estraint.
Par Dieu , mes Dames , mes Bourgeoises ,
A tous voz maintiens gracieux ,
Ne prenez pas mes dictz à noises :
Mes motz ne vous soient ennuyeux. (1)
En mes ditz , n'y a que tous jeux ,
Et ne quiers à personne guerre :
Qui l'entend aultrement il erre.
Aussy , très redoubtez Seigneurs ,
Vers vous me veulx humilier :
Et vous mercye de voz honneurs
Ce povre petit Escolier ,
Que daigné avez escouter.
Mais en tous lieux et bas et haulx ,
Souvienne vous des droitz nouveaulx.
Cy finissent les Droitz nouveaulx.
LE MONOLOGUE
DU
€iElin>AR]IIB CASSÉ.
AXLGtXmaasTi
Pendant le XV« siècle, les gens d^armes de» ordon-
nances du roî furent aussi redoutables à l'étranger
qu'odieux i la France. Leur indiscipline bravait Tautorité
des officiers et le respect dû à la loi. Vol» et débauches
formaient le fond de leur existence ; leur insolence bra-
vait tout. Si parfois on osait les dénoncer, les capi-
taines ne se souciaient des accusations portées contre
eux ; les magistrats craignaient de sévir, de peur de voir
leur caractère méconnu ; le roi faisait mine de ne rien
Mvoir. Cependant , quelquefois les clameurs des popu-
lations parlaient si haut, que la Cour était forcée d'f
(aire droit; alors paraissaient des ordonnances destinées
à rétablir Tordre dans Tarmée : on pendait quelques
coupables; des bandes entière d'bommes d'armes étaient
licenciées ; des gens de guerre étaient cassés de leurs
gages, c'est-i-dire dégradés et expulsés : c'est une de
ces victimes de la réaction disdplinaire que Goquil-
lart met en scène. Le béros de ce monologue a été ruiné
par sa débaucbe : on Ta chassé de sa compagnie ; il est
sans ressources. Aux prises avec la misère , il passe en
revue tous les plaisirs dont il a Joui , tous ceux qu'il
^ souhaite encore. En vantant ses désordres , ses folles
dépenses^ ses habitudes de maraude et de violences,
il peint fidèlement la vie que menait les gens de guerre.
Il suffisait au poète de narrer des faits réels , des abus
sérieux et des scandales flagrants pour en foire la sa-
tyre. A la fin ) l'homme de guerre, las de laisser son
imagination errer dans le vide , et voltiger d'un rêve
de mémoire à un- rêve d'avenir, comprend que ses
beaux Jours sont passés sans retour; alors la colère
le prend, et il attaque sans pitié ce monde qui le
condamne, et dont, après tout, il n'a fait que suivre
l'exemple.. Il immole à son ressentiment l'inconduite des
femmes^ celle des prêtres et des moines^ le luxe ridi-
cule et ruineux des journaliers , et finit par maudire les
vices et les travers de son siècle.
10
Cy eommenee le Honologae do Gendarm*
cassé.
Hommes d*armes câssez de gaiges
Comme moy par mont et par val ,
Sur les champs portant leurs bagages
A pied, par faulte de cheval, (1)
Fortune me tient son vassal :
Povreté m'a en ses abois ;
Et suis , pour brief propos final ,
En point comme img brigant de boys.
J'ay perdu chevaulx et hamoys (2)
A trois beaulx dez , par mons et vaulx ;
Ma lance est au grenier aux noix ,
Qui sert à seicher les drappeaulx ;
J*ay mangé espée et houseaulx :
Qui n'a point d'argent, rien ne paye^
Rendre me fault, par mes aveaux,
En quelque vieille morte-paye.
Mon pourpoint est de vieille soye,
Desrompu et tout decassé ;
Et me nomme-on, où que je soye,
Le gendarme fumeux cassé.
Mince d'argent, povre endossé, (3)
Nu et espris pour tout comprendre;
PQur treaor que j'aye amassé, (â)
1A8
Larron ne se fera ja pendre, .
Tous les jours cens francs à desprendre ; (1)
Monte de coursier et de Dame ;
Emprunter assez et rien rendre ;
Estre saulvé de corps et d'ame ;
Vivre de hait sans estre infâme ;
Tousjours sain et jamais malade ;
Cihascune nuyt nouvelle femme ,
C'est le refrain de la ballade.
Tous les matins la belle aubade ;
Visaige frais et non halle ;
Bon .corps pour faire la gambade ,
Saillir , saulter : par long parlé ,
Vivre autant que Mathussalé ,
Sans enveillir ; (vêla le point ;
Le galant seroit bien pelé. ) (2)
Et puis chanter à contrepoint ;
De drap de damas le pourpoint , (3)
Chausses de trois escuz la paire ;
Le mignon seroit bien en point (h)
Fust pour aller veoir son grant père.
Caqueter avec la commère ,
Nu à nu dedans le beau baing ;
Ce seroit , par Tame ma mère ,
Ma charge sans aller plus loing.
Chascun son beau pasté de coing ;
Mettre la main sur la mammelle ,
Puis se tirer en quelque coing
Pour apprivoiser la femelle ;
Beau lict paré , la chambre belle , (5)
Les draps bacinez à souhait ,
Hypocras ; chevaucher sans selle,
River et habiter de hait.
Corps advenant, souple jarret ; (6)
j
1A9
Secourre; gantel et mitaine; (1)
Cing six coups la lance en Tarrest (2)
Pour jouster contre la quintaine.
Le matin , comme ung Capitaine ,
Le fagot , la belle bourrée ,
Puis la forte fiebvre quartaine
Pour faire une gauffre fourrée :
Le chaudeau flamant , la purée
Pour reconforter le cerveau ;
Puis se prendre à la marée
Et recommencer de nouveau.
Ghascun son beau pasté de veau
Aux moyeux d'œufz , le beau vin blanc.
Que fault'il de plus? ung cordeau
De la valeur d'ung petit blanc ,
La nappe mise au long d*ung banc ;
Faire la perrucque au bacin ,
Rire, chanter, deviser; franc
Ce n'est meurtre ne larrecin.
Ung tour de bec , dire un tatin : (3)
Soubdain que la gouge en emmanche
Luy rebailler le picotin ,
Si r instrument ne se desmanche.
De fm lin la chemise blanche
Soy vestir, le beau feu aux raina ;
Et puis le gueux à quelque branche (à)
Pour monstrer le chemin de Rains. (5)
La belle eaue rose à laver mains ;
Trencher du caresme prenant ;
Cornette fourée , du moins
Cela est bien goûte prenant.
Soy pigner demy heure ou tant ;
Pantoufle haulte qu'on ne grille; (6)
Payer la gouge tout contant ,
Sequin sequet, sur une grille :
150
Partir , dire adieu à la fille.
Est-on prest 7 la bouche laver : (1)
De mesme le trou , la cheviUe
Tenir ferme , pour enterver. (2)
Courre de nuict , ribler , resver ,
Porter ungz cheveulx d'Absalon,
Et tous les jours de cest yver
Deux mules à cbascun talion.
Habitz neufz selon la saison , (3)
Jusques en terre longue cotte
Et rapporter en la maison
Du moins pied et demy de crotte.
Planter ung beau rosier cbeux l'hoste ;
De rhostesse avoir la coppie ;
Le bonnet renversé de coste (A)
Et au bout du nez la rouppie ;
Pomper , faire la queue de pie ;
Avoir d'or et d'argent à foison ;
Pier de la plus gourde pie ;
Trencher du gourt ; avoir renom
De bouter courroucez , marris ;
Et tant à Mente , qu'à Vemon (5)
Fidre cocuz plusieurs maris :
Mon souhait serait il pas bon ?
C'est trop souhaité , je m'en ris ; (6)
Autant d'escus que de festuz ; (7)
Soit à Tours , Moulins , ou Paris ,
Les escuz font battre les culz.
Par cy , par là , telz sont cocuz;
Chascun n'a pas argent à tas ;
Il fault porter doré Bacuz (8)
Pour entretenir les estatz,
Livrer la pièce hault et bas.
151
Uaultre a failly de sa promesse :
Femme pour embourrer son bas
Perdra plainement la grant messe.
Telle dit : je viens de confesse ;
Telle vend sa denrée en gros ;
L'aultre à un coussin soubz la fesse ,
AfiSn qu'elle ayt le cul plus gros.
Jehanne fait la beste à deux dos ;
Perrette est ung peu trop pansue ;
Uaultre est feutrée sur le dos ,
Pource qu'elle est ung peu bossue :
Alix a si chault qu'elle sue.
Bellot à ses deux filles grosses ;
Quel descharger d'une massue
Et d'ung ravault sur leurs endosses !
Saphis , dyamans , telz négoces ; (1)
Ribler , pomper soir et matois ;
Pour estre plus jolyes aux nopces ,
La robe fourrée de putoys.
Ceste-cy marche à contrepoix.
J'ay veu ceste-là en tel lieu ;
A telle purée , telz pois.
Tout n'en vault rien , par le sang bien î
On rit 9 on faict le babeleu : (2)
Soubz manche fourrée , longue chappe :
Breviter, c'est le mal sainct Leu ;
Il est heureux qui en eschappe.
On guygne , on rit , on fiert , on frappe»
Je vous dys , par saincte Susanne :
Sans estre armé » ne pié , ne cape
Ghascun le faict , et je maine l'asne.
Nostre curé viendra au sanne
Pour veoir comme on aura vescu :
— Bon jour. Monsieur — Dieu vous gard*, Jehanne.
— Pour soupper il fonce ung escu. (S)
152
Messire Jehan, Maistre Loou (1)
De ces offrandes et pardons (2)
Faict trop tost marié cocquu ,
Soubz umbre de faire telz dons.
Jennin espleuche des chardons ;
Mûstre prebstre se va jucher :
Le dandù tranche des lardons ,
Quant on va sa chûre embrocher.
Robe fendue à chevaucher.
Par devant le sercot ouvert,
11 ne la fault que racrocher ;
El n'y pert, tout est recouvert. (3)
Au beau preau la cotte vert*.
Le dando faict bouillir le pot
Brief, c'est le Diable de Vauvert;
Sainct Anthoine arde le tripot !
Maistre prebstre donra tantost
Dix escus, d'argent la saincture :
Il ne les donroit pas si tost
Pour faire une cloche à sa cure.
De la mode, estroicte vesture,
Le sein ouvert, serrée, joîncte ;
Sainct Anthoine arde la monture !
Je n'y congnois ne cul, ne pointe.
L'aultre faict semblant d'estre eosaincte.
Disant quel* est preste à gésir ;
Et l'aultre soubz umbre de fainte
Est preste de faire plaisir.
L'une pour ung millourt saisir ,
De l'œil gettera mainte larme ;
Et l'aultre prent bien le loysir
De partir , quant et le gendarme.
Mes Daines , sans aulcun vacarme ,
153
Vont en voyage bien matin
En la chambre de quelque carme,
Pour aprendre à parler latm.
Frère Berufle et Damp Fremin
Les attendent en lieu celé ;
Sur la queue de leur parchemin
Leur baillent leur beau blanc scellé.
On ilz bien gaudy et galle ,
En lieu de dire leurs matines ,
Le vin blanc , le jambon salle (1)
Pour festoyer ces pèlerines. (2)
Après on reclost les courtines ; (3)
On accoUe frère Frappart ;
En baisant , ils joignent tétines ;
Le grant Diable y puist avoir part I
Le jour poîngt , on faict le départ; ,c
La cloche sonne le retour ;
On s'abille de part en part :
— Adieu. — Bon jour , jusques au retour.
Mes bourgeoyses , sans nul séjour ,
Partent et se mettent en voye
Ung peu devant le point du jour ,
AflSn que nesung ne les voye :
Et sans prendre charbon ne croye ,
Au ruysseau crottent leurs souliers
Aflin que Jennin Dada croye
Qu'ilz viennent de Haubervillîer. (A)
Moynes, prebstres et cordeliers
Prennent avec elle deduyt ,
Sans craindre en riens les escolliers ;
Car ilz ont leur beau sauf-conduyt.
On vient à Thostel , c'est bien dit.
Jennin dit : vous mettez assez I
Ma bourgeoyse sans contredit
Piespondra : tousjours vous tensez ;
154
Ennement que bien le sachez ,
De travail le fronc me dégoutte ;
Je viens de sainct Mor des Fossez ^
Pour estre allégée de la goutte.
Le mary la croit , somme toute.
Vêla, en recepte et en mise «
Plusieurs niays s*y ont sans doubte ; (1)
Ainsy du vent de la chemise.
Après disner , par bonne guise ,
S'en va veoir quelque atdtre escollier , (2)
Disans : je m'en voys à l'Eglise ,
Au sermon du bon cordelier.
Puis après « on monte au solier :
— Bien venez , car je vous attends. (3)
Avec le chien au grant collier
Elle se donne du bon temps.
Tel et tel si mâche du sans ; (A)
On donne à leurs femmes tissus ,
Et en sont aussi innocens
Que Judas de la mort Jésus.
Coquins , niays , sotz , joquesus , (5)
Trop tost mariez en substance »
Seront tous menez au dessus ,
Le jour sainct Amoul , à la dance.
Telles sans prendre desplaisance y
Si ont à leurs fines querelles , (6)
Pour mieulx ribler à leur plaisance ,
Toutes propres leiu^ macquerelles.
Quand au r^uard des Damoyselles ,
Grosses bourgeoyses, Gentilz-femmes ,
11 n'y a que redire en elles ;
155 ,
Elles sçavent trop bien leurs games.
Tout bien , tout honneur est en Dames ;
A ung chascun je Tadmoneste.
Ceulx qui les blasment sont infâmes ;
En eulx n'a façon deshonneste. (1)
Tant aux jours ouvriers qu'à la feste , (2)
A Paris , ung tas de bejaunes
Lavent troys foys le jour leur teste ,
Affin qu'ilz ayent leurs cheveulx jaunes.
Varletz , coilsturiers , pelleurs d'aulnes ,
Paveurs et revendeurs de pommes
Ont longue robe de cinq aulnes ,
Aussi bien que les Gentilzhommes.
Les ungs dient qu'ilz en ont à sommes ;
Les aultres s'abillent tout ung ; (3)
Plusieurs fringuereaulx , briefves sommes,
Fringuent , et si n'en ont pas ung. (4)
L'ung mengue le povre commun ;
L'aultre porte estât non pareil ;
A leur parler tout est commun ;
Tierry dort sans avoir sommeil ;
Robin est vestu de venneil ;
Chariot a une verde hucque ;
Hector se pourmaine au soleil
Pour faire sécher sa perrucque :
Richard tronche du vaudelucque ;
Simon a du drap figuré ;
Michault a pourpoint si caducque
Que le corps est tout dessiré.
C'est on pigné, c'est on miré,
Les cheveulx tressez nous portons,
( Le bonnet dessus l'œil tiré,)
Estendus comme hérisson.
156
Les ungs si ont les cheveuk blonds»
Pignez et frandex à merveilles ;
Ht les aultres si les ont longs ,
Pour ce qu'ilz n'ont nulles oreilles.
Habitz de modes non pareilles ,
Pourpoins de drap d'or longs au cours ,
Chûsnes, coliers, plumes vermeilles ,
Appartiennent à gens de cours.
Mais ung tas de merdereaulx lours ,
Ung oultre cuydé « ung folastre «
Aura ung pourpoint de velours »
Contrefaisant du gentillastre.
Tisserrans, mesureurs de piastre
Fringuent et font des Capitaines :
Je leur donne , pour faire emplastre ,
Les sanglantes fièvres quart^es.
D'aultre part fringeurs à huitaines
Ont chaînes d'ung marc , d'une livre,
(Pour faire valoir leurs fredaines)
De beau laiton » ou de cuyvre :
Us n'ont point de page à les suyvre ,
Robbe doublée de tafetas ; (1)
Chascun d'eux si n'a de quoy vivre ,
Et veulent porter telz estas.
Hz se pourmainent hault et bas ^
Fringuans , faisans les perruquins :
Quant la chause est rompue par bas ,
Hz chausent ungz vielz brodequins :
Trie y trac , on traisne les patins.
C'est à tel brouet , telle saulce ; (2)
Et desjuner tous les matins
Comme les Escuyers de Beaulce.
Qui se courrouce , se descliausse ; (3)
157
De bras je n'en trousse ne pousse :
Devant que nul ne se desbaucbe, (1)
Sur les Gentilzhommes ne touche.
Il jouera mieulx que maistre Mouche,
Qui me prendra en desarroy.
Qui sera morveux, si se mouche,
Je ne crains que Dieu et le Roy.
Sans demander ne qui ne quoy
Plusieurs coquarts sont bien en point,
Et ne sçauroyent tenir dequoy
Payer la façon d'ung pourpoint :
Hz n'ont d'argent ne peu ne point
Par pour leurs vieulx houseaulx refaire. (2)
Fringuier, faire le contrepoint,
C'est aux Gentilzhommes à faire : (3)
Mais cuydant qu'ilz ayent de quoy faire, (4)
Mal repeuz , maintenant saoulez , (5)
Pour mieulx la fringande parfaire , (6)
L'eaue passe parmy leurs souliers.
Ilz sont fringans du bois levez ; (7)
Et puis pour hanter entre gens ,
Leur bource plaine de gettoers (8)
Pour dire qu'ilz ont de l'argent.
Tel pompe et faict du régent.
Disant : j'ay des escuz une pille.
Tel est bien paré , frisque et gent
Qui ne sçait ne croix ne pille.
Les aultres, sans oiTence ville,
Se pourmainent par mons par vaulx
Et sont housez parmy la Ville ,
Pour dire qu'ilz ont des chevaulx.
Tant de peine , tant de travaulx
Pour en faire plus largement : (9)
168
Par Monsieur sainct Briol des Vaulx ! (1)
Ilz n*ont ne cheval ne jument.
Devant 1* estomac proprement ,
Le beau fin mouchouer de lin ;
Mais la chemise est souvent
Grosse comme ung sac de moulin.
Les ungz par leur fin jobelin
Fournissent à l'apoinctement ;
Les aultres par leur pàthelin (2)
D'un cedo bonis nettement. (3)
Telz sont vestuz honnestement «
Ilz fringuent trop et si n'ont riens :
Pour avoir du drap largement ,
Il faut obliger corps et biens.
En effect vêla les moyens ;
Plusieurs sont , par leurs haulx babiz ,
Après menez comme beaux chiens ,
Pour faire leur pain de gros bis :
Les aultres par folz appetiz ,
De la queue d'ung cheval painte
(Quant leurs cheveulx sont trop petiz, )
Ilz ont une pemicque fainte.
Puis qu'ilz ont la teste si ceinte ,
Vrayement j'ay bonne intention
Que aucun d'eux seront d'une faincte \
Mais qu'on joue la Passion ,
Et s'on fait quelque fiction
Le jour du Sacrement, l'ung d'eux
Jouera l'Annonciation ,
Pour ce qu'ilz ont si beaux cheveulx.
Guidez vous qu'ilz seroient peneux ,
159
(S' eu salvent Dieu et ses Sains , )
Se le yent emportoit par neux
Leur perrucques de cheveux fains.
Ainsy que Lombars et Romains ,
Ilz portent ungz cheveuk de laine »
Tous propres , pignez et bien paingz
Pour jouer une Magdaleine.
En priant que très bonne estraine (1)
Vous veuille octroyé le vaudelucque ,
Et qu'il veuUe envoyé la teigne
A ceulx qui ont telle perrucque.
Fin du monologue du Gendarme cassé.
BALUDES HISTORIQUES.
BLASON
des Dames et des Armes.
11
ARGUMSNT.
Louis Xf avait laissé rh^rilière de Bourgogne épousef
Maiimiiien d^Autriche : c'était une faute. II voulut la
réparer , et y réussit en partie. Ses négociations ame-
nèrent la conclusion d'un traité qui donnait pour femme
au dauphin Marguerite d'Autriche , fille de Marie de
Bourgogne (1481 - 1482)} elle apportait en dot l'Artois »
la Bourgogne , Auxerre , Mâcon et le Gharolois ; de plus
la paix était conclue entre la France et PAutriche : on
la devait à Finsistance des communes de Flandre, qui
voulaient aCbiblir l'Empire. Louis XI ordonna de grandes
réjouissances dans tout le royaume. A Reims on chanta
un Te Deum; le peuple dansa j Goquillart fît une ballade :
nous Ta publions. Elle parait faite pour expliquer un
groupe composé de trois figures , représentant la Paix ,
la France et la Flandre. 11 est élevé sur une des places
publiques de la ville.
Peu de temps après (30 août 1483), le vieux roi s'en
allait de ce monde. Aussitôt les murmures , longtemps
comprimés, se font entendre : les princes, les com-
munes, le clergé relèvent la tête ; tous demandent la
convocation des Etats-généraux. Anne de Beaugeu les
réunit à Tours, et les séances s'ouvrent le 5 jan-
vier 1484. La régente et les princes se disputent la di-
rection des affaires. Elles sont confiées à un conseil su-
périeur : chacun veut y mettre ses créatures ; les Etats
demandent à y être représentés. Au milieu de ces in-
trigues, les grands vassaux , dépouillés par Louis XI,
viennent réclamer la réparation du mal qu^il leur a fait :
on oublie les plaintes du peuple. Goquillart voit les mau-
vaises passions agiter le flambeau de la guerre civile
et les grands prêts à sacrifier à leur égoïsme le repos
de la France et les intérêts généraux ; il s'indigne , et sa
Juste colère se fait jour dans quelques ballades. La pre-
mière est dirigée contre la coupable ambition des princes .
•
le poète les maudit et les envoie au puits d'enfer. Dans
la seconde ballade , il plaide pour les princes , et attaque
If ara advenaires. Dans les deui dernières, il paraU
parier au nom des États : il dénonce et menace de la
potence les courtisans , les seigneurs et tous ceux qui
mettent la chose publique en péril. Nous renvoyons aux
glossaires les notes qui complètent ce bref résumé.
Au milieu de toutes ces discussions , quelques députés
avaient parlé avec énergie des droits du peuple et
avaient nettement proclamé sa souveraineté. La Cour
s'effraya, et, le 14 mare J484, elle congédia les États-
généraux. Charles VIII avait alore près de quatorze ans :
I voulut se faire sacrer , et le 29 mai il entrait à Reims.
Les clefii de la ville lui furent présentées par une jeune
fille aux blonds cheveux ; elle lui dit quelques vers com-
posés par Coquillart : le lecteur va les lire.
Après les avoir écoutés , le roi continua sa marche vers
Parchevèché. La place du Parvis était richement décorée;
le drapeau national flottait à toutes les fenêtres ; de bril-
lantes tentures, des fleurs, des guirlandes de feuillage
couvraient les maisons. Là se pressaient hommes d^armes,
milices citoyennes, nobles demoiselles, riches bour-
geoises, Jouvencelles gracieuses. Au milieu de la foule s'é-
levait une estrade couverte de tapisseries : elle portait le
poète rémois. Coquillart eut l'insigne honneur de haran-
guer Sa Majesté. Cette fois^ le satyrique fut courtisan.
Charles VIII, enbnt, s'était passionné pour Alexandre-
le-Grand. Depuis son avènement au trône, ses compagnons
le poussaient à la conquête du royaume de Naples. Le so.
leil des coure fait rapidement d'un enfant u n homme y le
jeune monarque rêvait , ma is ce n^était pas toujouredes
lauriers qu'il croyait couper : fleure d'amour lui sou-
riaient aussi. Coquillart lit dans son cœur , il le voit aux
prises avec les deux grandes passions qui dévorent les
rois : il les met en présence. Il évoque devant lui
l'image de la gloire militaire ; il lui montre Tamour e^
ses gracieux plaisire ; puis il lui conseille d'aimer les
dames et les armes. Le poète , en homme sage et pré-
voyant , Gnit par faire entendre au prince que , si Tépée.
doit se tirer , ce n'est pas pour faire des conquêtes , mais
pour défendre son pays. Ce bon conseil fut sans portée
sur Charles VIll et ses amis : il voulut être conquérant ,
et mourut bientôt au milieu des rêves qui avaient fait le
bonheur de ses belles aonées.
Ballade qnand on cria la Paix à Reims.
Vous espritz et vertueux courages,
Plaisans , honnestes , royaux et pacifiques.
Saliez à cop de voz nobles bemages
Engins subtilz , caulx et scientiques ,
Et regardez les œuvres déïfiques
Dont Dieu nous a si grandement douez ,
Que tous nos deux sont aujourd'huy muez (1)
En joyes, en chantz, en plaisirs et jeux
Par ces trois Dames lesquelles cy voyez ;
C'est France et Flandres, et la paix entre deux.
Vouloir divin a produit ces ouvrages ;
Par luy sont faitz ces œuvres mirifiques ;
Du ciel sont cheutes ces plaisantes ymages,
Doulx maintiens et humains Angéliques ;
Ne sont-ce pas précieuses reliques?
Pensez que ouy ; ainsi fault que croyez ;
Et pour ce, enfants, soyez tous envoyez (2)
De rendre loz à Dieux celestîeulx,
Pour ces trois corps qui vous sont envoyez ;
C'est France et Flandres, et la paix entre deux.
Tremblez à coup, envenimez langaiges,
Cueurs desloyaulx et gens diabolicques,
Pervers, maulditz, plains de crueux outraiges;
166
Ne descordez à ces joyeux canticques.
Muer vous fault voz lances et voz picques»
Et que d* armures vous soyez désarmez,
Aflin que mieux cest paix advoûez,
Et que de cœur loyaux et vertueux
Vous maintenez tousjours ces pointz liez :
C'est France et Flandres, et la paix entre deux.
Prince François, tes faitz glorifiez
Nous gratulons d'ung désir convoyteux,
Puisque ces trois ensemble a liez : (1)
Cest France et Flandres, et la paix entre deux.
S'ensuivent les Vers que la Pucelle dit au
Roy^ en luy présentant les clefs de la Cité
de Reims, quant il y vint prendre son Sacre
tan ihSk, et entra audit Reims le Zd'^jour
de May.
ET PREMIÈREMENT.
Nostre "Roy, Prince et Souverain Seigneur»
Trës-chrestien nonuné par excellence,
A qu'il est deuë gloire, louenge, honneur, (2)
Subgection, amour et révérence ;
Vostre Cité de Reims, obeyssance
Vous fait pour moy , qui cy la vous présente ;
Et de franc cueur, en vraye confidence.
Les clefz des portes humblement vous présente.
TRADOGON.
Roy très puissant, mon Souverain Seigneur»
Reims très ancienne, par grande humilité.
Son cueur vous œuvre par excellent honneur.
Vous promettant garder fidélité.
167
Ballade contre les Princes.
Princes, qui tenez les très grans Estatz
Sans regarder la façon et manière,
Vous courroucez tant de gens en un tas,
Que pour vous va çen devant derrière :
Pour ce maintenez pour raison droituriere ;
Car, en ce printemps et nouvelle saison.
Les Vers Manteaulx en feront la raison.
Que pensez-vous ? prenés vous voz esbatz
A mettre sus une telle matière ?
Pour ce moyen, vous forgez grans debatz
Qui dureront au moins Tannée entière.
Et vous dis bien se ce temps dure guère,
Jlt Dieu reçoit de chascun l'oraison.
Les Vers Manteaulx en feront la raison.
Vous faictes tant de gens crier : helas !
En haulte voix faisant à Dieu prière.
Qu'ensemble tous puissez descendre en bas (1)
Au puis d'enfer, la teste la première 1
Car aussi bien s'ont met aulx champs baniere
Ce temps d'iver, vous verrez qu'à saison
Les Vers Manteaulx en feront la raison.
Prince, regarde à qui baillé tu as
Toute la charge de ta noble maison,
Et pense bien comment garder pouras : (2)
Les Vers Manteaulx en feront la raison.
168
lépMM fMT les Priiees.
Tous qui parlez des Princes et Seigneurs
Qui aux Estats ont leur haulte main mise.
Et les chargés de plaintes et clameurs
Que cbascun fait endroit soy à sa guise.
Au grant Conseil est la chose remise :
llaistre Denis, qui a tousjours saison,
Aux Vers Manteauk ostera la toison.
Puis serez en toutes vos erreurs, (1)
Et congnoistrez que c'est folle entreprise :
11 n'y aura grans, petis ne greigneurs,
Que leur delTence ne soit tousjours amise ;
Hais se l'en voit que raison soit desmise, (2)
Cestuy bon maistre, qui sçet plumer l'oison, (S)
Aux Vers Hanteaulx ostera la toison.
Vous menasses soubz couvertes couleurs
Ceulx qui craignent les grans vent de la bise,
Et proposez que vous font vos douleurs.
Pour mal entendre le tout à vostre guise ; (A)
Mais se par vous bannière est aux champs mise»
Le vray ouvrier qui congnoist la maison ,
Aux Vers Manteaulx ostera la toison.
Princes, pensez à toutes ces aigreures (5)
Pour tous ceux-là qui ont la desraison
D'entretenir qui mieulx à ces rigueurs : (6)
Aux Vers Manteaulx ostera la toison. (7)
169
Ballade contre les Seigneurs.
S'il advient les Manteaulx Vers
Ayent cours comme chascun pense ,
Et que tout voise de travers , (1)
Je dis : ainsi que Ten commence ,
Mal content, ayez espérance;
Congnoissez que le temps Tappllcque
De ramener , sans différence ,
Ung autre nouveau bien publique.
Soubz umbre de sermens couvers ,
On baille à qui l'en veult puislance;
Mais les faitz seront descouvers ,
S'il plaist à la divine essence :
Lors on verra la conséquence
De leur faulce et dampnée pratique :
Car par eulx reviendra en chance
Ung autre nouveau bien publique.
Ung tas de rassotez couvers (2)
Ont voulu par leur alliance ,
Fraper à tort et à travers
Sur les bons serviteurs de France ;
Qui fut la vraye cause et substance
Du jadis mauvais bien inique ;
Et les Seigneurs plains d'arrogance
Forgent ung nouveau bien publique.
Ha I Prince de haulte excellence ,
On te met en ung grant picque ;
Car soubz ton manteau d'ignocence
Se forge ung nouveau bien publique.
170
Billide eoitre les lanteiulx.
Vous verrez, Manteaulx appeliez vers de terre ,
Qui sans raisons vous plaignez des £statz ,
Advisez se la paix ou la guerre , (1)
Lequel des deux pour prendre vos esbatz
Vous vauldra mieulx ; car je croy qu'a ung tas, (2)
Se n'y pensez par bonne occasion ,
Arbres et fourches en feront la raison.
Quant on vouldra , serez tenuz en serre
De si très près, que vous crierez : helas ! (3)
Que vous faut-il ? querez vous la desserre (à)
Des malheureux tombés jusques au bas ?
Je vous prometz que desditz et debatz ,
Que vous menez en royale maison , (5)
Arbres et fourches en feront la raison.
Aller vous fault , gens paoureux , ailleurs querre
Que ceste Court ; ce n'est pas vostre cas. (6)
Tirez avant et cheminez autre erre , (7)
Et que ce soit plus viste que le pas : (8)
Ou autrement pour le juste compas ,
Pour le plus tard , celle noble saison , (9)
Arbres et fourches en feront la raison.
•
Prince Royal , qui devez tous conquerre,
Ne pardonné si grande desraîson
A telz mignons , qui pour devoir aquerre :
Arbres et fourches en feront la raison.
Cy eoiflmenee le Blason des Armes et des
Dames.
Or , est le temps passé , passé ;
Le bien pourchassé, pourchassé;
Et ce qu'on a trouvé , venu.
C'est grant chose d'avoir pensé ,
Mais plus d'avoir contrepensé ,
Encores plus d'avoir retenu.
J'ay sçeu , veu , leu , aprins , congneu ,
Noté , entendu , souvenu ,
Epilogue mille traficques :
Mais peu , quoy ! qu'est tout devenu ? (1)
Bien assailly , bien soustenu :
Tout n'en a pas vallu troy nicques.
J'ay mis en jeux et praticques
Mille couleurs de rhetoricque ,
Mille motz , mille dictz d'ouvriers ,
Mille paroUes sophistiques ,
Pour estre couché en cronicques
Ou nombre des adventuriers :
J'ay mis chevaulx et lévriers, (2)
Heraulx , eschansons , escuyers ,
Gens druz , à tout habandonnez.
Le nom de noz aultres gorriers
172
Est escript aux huys par fourriers : (1 )
Mon nom THonneste fortuné
Souvent gourd et bien guerdonné ,
Souvent tout mal assaisonné ,
Souvent entoûillé par meslure, (2)
Souvent recreu , fasché , tenné , (3)
Lasche comme ung cheval estonné
A qui fault une emmieuslure.
Train, court, amour, telle embouclure (A)
M* ont engendré mainte affistolure,
Et faict faire maintes moëttes.
Car pour repos, j*ay eu foulure ; (5)
Pour le beau temps , j'ay eu greslure ;
Pour provision , des jonnettes; (6)
En lieu de faisans , alouettes ;
Pour chariotz branslans , brouettes :
D'entretien mal utensile. (7)
«
Brief , quoy que Dames soyent flouettes,
Autant vault chasser aux suettes ;
On ne les prent pas au fiUé.
Qui n'est rusé, duyt, ou stillé ,
Ja n*y proffitera à foison.
Car pour moy , c'est mal compilé ,
Mal entendu , et mal filé
De prendre fuseau sans peson.
D'amours ce n'est que trahyson ;
De court (poac !) ce n'est que blason ;
De train d' estât , ce n'est que ennuy.
J'ay fréquenté mainte maison ,
Où j'ay perdu temps et saison ,
Posé que j'eusse bon appuy.
Au fort , j'ay hanté et suivy ;
L'Honneste fortuné je suis :
Tousjours honnesteté m'a pris. (8)
173
Se j*ay trop longuement servy
Sans avoir eu grand audivit.
C'est fortune qui me surpritz.
Si ay je noté et escript
En mon sens, et en mon escript,
Les deduytz, plaisances et jeux
Des grans Seigneurs, le choix et bruyt,
Le passetemps et le deduyt
L'effect et le prouffit d'iceulx.
A Princes jeunes et joyeulx
Il y a des passetemps deux
Qui les peuvent tourner et mouvoir :
L'ung les rend doulx, begnins, piteux;
L'autre les rend vaillans et preux, (1)
Puissans de povoir et d'avoir. (2)
Et affin de faire debvoir,
Se vous desirez le sçavoir, (3)
Ce sont les Armes et les Dames ;
En ce parc vous en povez veoir
Les signes , et appercevoir
Les démonstrations et les games. (A)
Là sont les Armes, là les Dames ;
L'une se plaint, et l'autre rit;
L'une s'y donne à l'autre blasme
Pour avoir, ou temps qui court, bruyt*
Le Procureur des armes dit (5)
Qu'en cest aage qui est doré,
Ung Prince doibt prendre deduyt
A estre des Armes paré. (6)
Cest autre, qui est séparé.
Pour les Dames dit le contraire,
Qu ung chascun s'il n'est esgaré
174
Doibt tascher aux Daines complaire.
Armes et Dames chascun veult plaire ;
Ce sont deux passetemps mondains,
Qui se debatent pour bruyt faire
Aujourd'buy entre les humains.
LE PROCUKEUK DES ARMES.
Quoy I disent les Armes je me plains,
Se je n'ay le bruit par dessus
Les Dames; car j*en ay faict maintz
Petis, et de bas lieux yssus,
Monter, eslever, mettre sus
De terre, ou de fond d*ung celier :
Je les rens grobis et moussus.
Tout au fin feste d'ung solier.
Fay-je pas ung simple escuyer,
S'il se sçet aux armes conduyre, (1)
Tout incontinent chevallier.
Que chascun l'appelle messire 7
Se ung grant Flince se veult aduyre
Qu'il soit tant soit peu courageux,
Je luy faitz tous ses faitz descripre
Et mettre du nombre des preux.
S'il est hardy chevaleureux.
Et eust-il petite puissance.
Je l'eslief jusques aux cieulx :
Tout vient à son obéissance.
Voulez vous plus belle plaisance
Qu'en ung destroit, en une guerre,
Voulter, jouster, rompre la lance
Et mettre ung homme cul par terre ?
En ung champs, en une deffere
Monter sur ung genêt d'Espaigne,
Pour loz avoir et bruyt conquerre ?
175
Là combatre Flandre ou Alemaigne,
Porter Testendart ou renseigne,
Soupple comme ung bel escourjon,
Et bondir en plaine cbampaigne
Comme les os d'ung escourjon ? (1)
Mes njoynes portent haulberjon
En leur grant messe, en lieu de froc-
Leur cloistre, c'est quelque donjon
De pierre, juché sur ung roch :
Tirer, luiter, jouster au crocq
Sont les cerimonnies et signes.
Ung coup d'espée taille ou d'estoc.
C'est la beneisson des matines.
Leurs orgues se sont serpentines
Qui s'en vont vif comme le vent :
Les gros bouUetz à coulevrines,
Ce sont les miches du couvent :
Le grant Prieur de Passe-avant,
Et l'Abbé d'Eschappe qui peult
Les viennent visiter souvent :
Mais il ne les a pas qui veult.
Pour ung qui se plaint, ou qui deult-
Vingt en y a, s'ilz sont mandez,
Que jamais on ne les desmeult.
Puis qu'ilz y sont affriandez.
Ces archiers ont leurs arcz bendez,
Et ces mortepayes leurs picques :
Gascons trappes et bien fondez
Jouent là leurs nouvelles praticques :
Les Ecossoys font les repUcques :
Pragoys et Bretons bretonnants,
Les Suysses dancent leurs morisques
Atout leurs tabourins sonnans.
176
Holandroys, Rrebançons, Flamans,
Ilz tiennent ung cruel chappitre :
Hongrps, Florentins, AUemans,
Ilz y trouve sans eschelistres. (1)
Qui veult estre ourdy sans tiltre
Et sçavoir que c'est de soupirs ,
Y voise ; car pour tout epistre
On y chante que des martirs.
Hais quoy ! va , à gens de loisirs , (2)
Gens haulx , de vertueulx couraiges ,
Ce sont passetemps et plaisirs ,
Quant ilz y sont bien caulx et saiges :
Cent mil combatans (sans les Qaiges)
En une course , en ung assault;
Saillir de buyssons et bocaiges , (S)
Et se rencontrer sur ung hault ,
En moins que n'aurez faict ung sault ;
On crye haro — qui vive — tuë !
A Tanne — au guet — rens toy ribault! (4)
Torche , lorgne — depesche — rue !
Frappe — combat — taille — remue !
En point — avant — tost au montoir 1
Bref c'est ung port; quant on y buë ,
On n'y entend que le batoir.
Se ung Prince , qui a hault vouloir ,
S'exercite ung peu à la peine ; (5)
Si mest repos en nonchaloir ,
Aussi que ung vaillant Capitaine ;
Toute sa plaisance mondaine
Ce sont haches , lances , gros boys ,
Le heurt, la rencontre soubdaine,
Chevaulx , cliquetiz de hamoys , (6)
Bardes , genetz , grans palefroys ,
177
Vousges , sallades , mentonnières-,
L'estendart à la blanche croix ,
Trompettes, clerons et bannières,
Souffres , salepestres et poussières ,
Bastons bescuz comme bistardes ,
Guet et garnison sur frontières
Pour festoyer les avantgardes.
On reschausse , au son des bombardes ,
Povres couardz lasches et vieuk ;
Car fort vertjus , aspres moustardes
C'est ce qu'il fault à rouges yeulx.
Armes font croistre cueurs joyeulx
Et multiplier en lyesse ,
Aux robustes et vertueux
Augmentant force et hardiesse ,
Aux magnanimes la proesse ,
Aux confederez l'aliance ,
A courages haulx gentilesse ,
A gens résolus asseurance ,
Aux constans la persévérance ,
Aux larges libéralité ,
Aux rudes prompte intelligence ,
Engin cler et subtillité.
Aucun exhibe activeté
Par invincibles argumens :
Aultres monstrent l'agilité
De leurs corps , par experiens.
Sans accolées ne blandimens.
On passe par hic ou par hec.
Sans courratiers ne truchemens ,
On se rencontre bec à bec.
Qui s'endort au son du rebec
En la flotte , il n'est pas saige :
12
178
Car de tous boys , et verd et sec ,
I^ plus souvent on faict paissaige.
S'on sçet par heraulx ou message
La puissance des ennemys ,
Ung chief de guerre de couraige
Presche son ost : sus , mes amys !
Enfans , ne soyez endormys :
Frappons dedans ! il est notoire
Que en nombre des gens munis (1)
Ne gist pas tousjours la victoire.
Et là, leur réduit en mémoire
Les gestes des très Chrestiens Roys ,
Qui par armes ont donné gloire
Au noble Royaulme Françoys.
Ne passa pas plusieurs destroitz
Le Roy Philippe le conquérant ,
Qui combatit troys Roys Angloys
Et aussi le Conte Ferrant ,
Oton Empereur chassa errant ,
Subjugua Poitou et Touraine ,
Et conquist en ce différant
Anjou , Normandie et le Maine ?
Le très glorieux Charlemaigne ,
Qui par armes et par bon moyen
Vainquit la nation Rommaine ,
Lombars , le peuple Italien ,
Et remist le Pape Adrian
Tout paisible en sa Papaulté ?
Roy n'y eust , Chrestien ne Payen ,
Dont il ne fust craint et doubté.
Charles le Chauve a pas esté
Celluy qui conquist les Nonnands?
Charles le Simple a conquesté
Les Angloys et les adherans.
179
Infinys Princes terriens ,
Aux armes se sont adonnez ;
Lesquels ont eu de très grans biens ,
Et ont esté bien fortunez.
Aultres se sont déterminez
Aux Dames , lesquelz ont eu nom
D'estre lasches , effeminez ,
Sans bruyt , sans acquérir renom.
Semble doncques pour conclusion ,
Que ung grant Prince , de son oflBce
Doibt prendre récréation
Aux Armes et à l'exercice ;
Que tel passetemps est propice
A son hault et bruyant maintien ;
Et qu'il y doibt, quoy qu'on obice,
Soy adonner sur toute rien.
LE PROCUREUR DES DAMES.
Les Dames , par aultre moyen ,
Dient que ung prince aymant honneur ,
Tant soit noble ou grant terrien ,
Doibt aux Dames mettre son cueur.
La raison , car toute doulceur
Y gist , toute J>enignité ;
Et aux Armes toute rigueur ,
Tout desroy , toute austérité.
Dames font croistre honnesteté ;
Dames font les cueurs resjouyr ;
Dames font aymèr loyaulté ;
Dames font cruaulté fouyr.
Veiller , oreiller , taire , oiiyr ,
Estre prompt , prest , prudent et saige ,
Cela faict des Dames joûyr
180
Ung noble et vertueulx couraige.
Quoy 1 dient les Dames , mon langaige
Seullement , mon doulx entretien
Vault mieulx que des Armes Toutraige
Qui pille et ne supporte rien.
Par mon hault et bruyant maintien ,
Par bon et gracieulx accueil ,
J*ay mes mignons en mon lien ,
Qui ne quierent que mon receUil.
J'oste à mes ennemys l'orgueil ,
Et se rendent sans coup ferir ,
Par ung ris de la queue de Tœil
Qui les maine jusques au mourir.
Je fûctz mes gorgias courir ,
Dancer , bondir , tourner , virer ,
Trasser , fureter , enquérir ,
Fringuer, pomper, chanter, saulter,
Puis rire , puis tost souspirer ,
Puis résolus , puis variables ,
Puis amender , puis empirer , (1)
Puis incongneuz , puis agréables.
Prebstres , Nonnains , gens recepvables ,
S'aux Dames mettent leur deduyt ,
Posé qu*ilz ayent diverses tables ,
Je ne leur faictz faire qu'ung lict.
n est doncques heureux qui eslit
Mes jeux et mes esbatemens ;
Ha guerre par moy se conduyt
Sans picques ne sans ferremens.
Menues pensées, marmousemens ,
Songer creux , muser à part soy ,
f/est le traict et les instrumens
Dont on sert quant vient ung effroy.
181
J'ay mignons prestz autour de moy ,
Avitaillés pour le hutin :
Soubz umbre d*ung tenez-vous quoy ,
Embler ung coup , c'est le hutin. (1)
La haulte pièce , c'est ung tetin
Dur , joinct , joly , selon le cas ;
Armures , pourpoint de satin ,
Ou quelque corset de damas ;
Les salades des gorgias,
Cheveulx longs , perruques de pris ;
Pour harnoys des jambes d'embas ,
Quelque cul troussé de Paris.
Mes grandes masses , se sont ris :
Yeulx affectez sont mes heraulx ,
Portans , pour doubte d'estre pris ,
Bastons à feu roydes et chaulx. (2)
J'ay souldars et jeunes vassaulx , (3)
En tous Royaulmes transmarins :
Mes trompes qui crient mes assaulx
Sont fleustes , rebecs , tabourins :
Mes soulfres ce sont romarins ,
Girofiers , lavandes , muguetz
Pour emprisonner bustarins ,
Qui viennent muser aux banquestz.
Mes rançons , se sont afficquetz
Qu'on prend sur pouvres esgarez :
Mes joustes se font en parquetz
D'herbe vert' , ou en litz parez.
Telz sont mes instrumens ferrez , (4)
Telle est ma bataille oultrageuse ,
Telz sont mes engins préparez
Quant je faictz guen'e rigoreuse.
Dames de pensée amoureuse
Font faire mille singeries , (5)
182
Aux maiT) 8 ckcre mariniteuse ,
Aux fringans mille fringueries ,
Aux fins espritz les joncheries ,
Les ruses , les termes uouveaulx ,
Aux lourds les grandes fâcheries (1)
( Dont on dit : ce ne sont que veaulx )
Musser soubz tonnes « soubz cuyeaidx , (2)
Grimper pignons et fenestrages,
Soupples comme queuSs de naveaulx
Et mornes comme gens saulvaiges.
Est-il plus gracieux ouvrages
Ne passe-temps plus magnificques
Que veoir ces plaisantes ymages ,
Ces pourtraictures deificques ,
Si cointes , si polies , si frisques ,
Si plaines de doulces amours «
Si propres pour trouver replicques ,
Si promptes pour donner secours ,
Si humaines à gens de Cours ,
Si usitées de leur babil , (3)
Si duictes pour trouver des tours ,
Si accoustumées à Foustil ^
Si soubdaineB quant vient que s'il (A)
Et qu'on rencontre gens dehaict :
S'on touche la pierre au fusil ,
Il n'y fault qu'ung mot que c'est faict.
Il n'est au monde tel souhait.
Tel heur , tel passe-temps , tel bruit :
Car jamais homme n'est parfaict ,
Si n'a fréquenté ce déduit.
On rit, on raille, on some, on dit,
On escoute , on preste l'oreille ,
On'se degoyse , on s'esgaudit;,
183
On se resjoiiit, on se resveille ,
On va , on cherche , on se travaillé ,
On fume , on a poste à Gaultier , (1)
On songe et pense , et on s esveille , (2)
On glose sur le gros psaultier. (3)
Deux fréquentent en ung Monstier ,
Dont Tun y pert , Taultre y proffite ;
L'ung sert de sel au benoistier , •
L'aultre hume de l'eaue benoiste.
Dames ont prudence , conduite ,
Soing , sens , sçavoir , langaiges ferme :
Mais quoy , s' on leur offre la luicte ,
Elles n'ont pas tousjours le pied ferme.
Au fort , se par force de charme
On tombe , on glisse , on chet , on chope ,
Quant on a pleuré demy lanne ,
C'est faict ; il n'y pert ^ l'eschope. (â)
Une parenteze ou sincope
Fait venir l'heur ou le malheur ;
Le malheureux est qui s'y coppe ,
Et quiert escumer sans chaleur.
L'aultre qui paint et a coulleur ,
Et ferme de discrétion,
( Au monde n'est point de tel eur )
Il a toute provision.
Dames ont jurisdiction ,
Assise , Conseil , Court ouverte ,
Là où mainte appellation
Souvent est declairée déserte.
Les Conseillers ont cotte verte
A qui on baille les placetz :
Huissiers ont la teste couverte
De chappeaulx de fleurs de houssetz ;
i8A
Greffiers distribuent les procès ,
Les registres memoriaulx ;
Advocatz plaident les excès ,
Et aUeguent les droitz nouveaulx ;
Dames visitent les linceaulx
En chambre ou en quelque toumelle ;
Aux buis infiniz fringuereaulx , (1)
Chascun soustenant sa querelle :
Telle ayme ung tel , tel une telle.
— Tel a promis — telle se plaint.
Tel fringue à la mode nouvelle.
Tel est rusé — telle se faint ,
Tel ou telle en est le mieux saint.
Tel et telz brassent telz ouvrages.
Tel est menasse — tel est craint.
Tel et telz sèment telz langaiges.
Telz sont farouches et sauvages ,
Tel est riche — tel se marie :
Et tel doibt ung tas d'arrérages
Du temps de la Royne Marie.
En ceste Court et playdoyerie ,
Tousjours survient ung cas nouveau ;
Et n'est pour grande seigneurie ,
Car on met en jeu son plus beau.
Homme n'est exempt du sceau ; (2)
Chascun y faict la maille bonne :
Aussi on hume à grant monceau
L'honneur, comme raison l'ordonne.
Prince qui aux Dames s'adonne ,
Souvent est doux et gratieux ;
A grâce , doulceur s'abandonne ;
Est begnin , courtois et piteux ,
Large , débonnaire , joyeulx
A conseil , conduicte et police :
185
Son peuple soubz luy est heureux ;
Car il garde à chascun justice.
Qui s'adonnent aux Arnies, tout vice : (1)
Desroy, toute sédition ,
Cruaulté et toute avarice
Y gist , et toute ambition.
Semble donc , par conclusion ,
Qu'aux Dames est bon s'adonner,
Prendre la récréation ,
Et les Annes abandonner ;
Qu'ung jeune Prince , pour régner
Et bien passer ses jeunes ans ,
Pour en plaisance dominer ,
Doibt eslire ce passe-temps.
CONCLUSION.
Divers pointz , divers argumens ,
Divers effectz et qualité ,
Diverses façons et moyens
Nous mettent en perplexité. (2)
Aux deux gist contrariété
Qu'à peine peult-on décider ;
Aux deux gist ambiguïté
Assez difficille à vuider.
Reste doncques à regarder
Des Armes , des Dames aussi ,
Se leurs faictz peuvent concorder,
Et lequel doibt estre choisy.
L'ung veult ainsi et l'aultre ainsi ;
L'ung veult telle opération ;
L'ung veult joye et l'aultre soucy :
Aux deux a diverse action.
Et s' on pouroit selon raison, (3)
Veu d'ung et d'aultre les effectz ,
180
Dire que Vung et Vaultre est bon ,
Ou que Fung et Taultre est maulvais ?
Pour décider ces pointz je metz
En jeu le dit de FEmpereur ,
Qrx^utrumque tempus désormais
Dit avoir biiiit , force et vigueur : (1 )
Ce que ung Prince ou ung grant Seigneur (2)
Peult mettre , tant soit noble ou preux ,
Aux Armes, aux Dames son cueur ,
Et bien exercer tous les deux ;
Aux Dames , pour estre piteux
Et de complexion bénigne ,
Doulx , traictable , courtoys , joyeulx ,
Selon la façon féminine ;
Aux Armes , pour ce qu'il domine
Sur son pays et région.
Il est bon qu'aux armes s* encline :
Pourquoy ? pour sa tuition.
Et pourtant la conclusion
Est telle , de tous ces argus ,
Qu*ung Prince de noble renom
Doibt sçavoir utrumque tempus ,
L'ung et Vaultre temps sans abus ,
Avoir le costé dextre armé :
Le senestre et tout le surplus
Aux Dames doibt estre donné.
Sire , par vous soit pardonné
Au rude engin et simple sens
Du povre honneste fortuné ,
Qui a leu les deux passe-temps.
Fin du débat des Dames et des Armes.
HONOLOGllË
de la Botte de Folng.
lONdLOGUE DU PUYS.
Œuvres diverses.
Cy eommence le Honolope de la Botte
de Foing.
Vous semble-Upoint que pour dancer, (1)
Fluster , ou pour paroUes faintes , (2)
Pigner, mirer, ou s'agencer.
Un homme se peult advancer
A parvenir à ses attainctes ?
Vous semble-il que pour mignotis ,
Aubades , virades et tours ,
Entre nous mignons fringantis ,
Plaisans , gorgias et faictifs , (3)
Puissions jouyr de noz amours ? (4)
Est-il possible pour servir
Reveille-matin ou aubade ,
La grâce s'amye desservir ,
Sequin sequet , sans mal sentir , (5)
S'esbattre pour une passade?
Est-il possible d'avoir bruyt
Pom: bagues , gorgiasetez , (6)
Bailler aux Dames le deduyt , (7)
Ferme , comme ung sanglier en ruy t ,
A faire les joyeusetez ?
De francz courages et voulentez , (8)
Soyez enclins et apprestez ,
Franc pour dire : qui est céans ?
190
Baves , gallez , raillez , saillez ; (1)
Et puis on dira : telz et telz
Ont grant accointance leans. (2)
Danceurs , mignons , fringans et gentz ,
Chasseurs 9 volleurs, tous telles gens, (3)
Ung songe , ung bruyt , ung angelot
Vous «emble-il que ce ne soit riens ?
Ha ! par le corps bien je m'en tiens
De ceuh-là ; mais n'en dictes mot.
Je suis tousjours gent et mignot ,
Sus mon cheval qui va le trot ,
Pour faire le sault cop à cop. (A)
Je faictz moy cela à tous cop :
C'est ce qui me faict estre en grâce ,
Ung fin mignon , ung dorelot ,
Arrière satin , camelot , (5)
Puis que le veloux vient en place :
Plustost passe , plustost râpasse.
Voulentiers je deisse se j'osasse ;
Mads qu'on se tinst de cacqueter ,
Quant je la voy , tant je parlasse ; (6)
Mads, par le corps bieu , je m'en lasse,
Car el' ne me veult escouter.
Avez vous point veu cy entrer
N'agueres une godinette ,
Qui vient rire , esbatre , dancer ?
C'est une petite noyrette ,
Non pas noyrette , mais brunette,
Une mignonne tant sadine ^
Une robe d'ung gris bien faicte ,
D'ung fin gris changeant, bonne mine ,
La belle pièce à la poictrîne
Tissu cramoysi , large au tronc , (7)
191
Et du hault jusque au bondon
Elle est aussi droicte que ung jon.
— Pardonnez moy , elle n'y est don ?
Je cuydoye qu'elle fust céans.
— Il y a je ne sçay quantz ans
Qu'ilz furent mariez ensemble
Elle et Monsieur. Mais il luy semble
Estre tout pesant, tout remis ;
Il vous a les yeulx endormis ,
Rouges , et le corps tant maussade , (1)
Penchant devant , la couleur fade ,
Les jambes aussi menuettes
Comme fuseaulx , les joues retraictes :
Il est si tendre et si flouet
Qu'il semble , à le veoir bien souvent ,
Qu'il eust besoing d'img coup de fouet
Pour le faire tirer avant.
Il va tousjours traine gainant
Sur son cheval emmy les rues.
Tout en songeant , le bec au vent ,
Sçavoir s'il verroit nulles grues.
Unes jambes tant mal fondues ,
Grant chapperon et large cotte ,
Les espaulles aussi boussuês
Qu'il semble droictes moules à hoste;
Et si a la mine si sotte
Que quant il parle , qui vouldroit
Dire qui songe ou qui radotte , (2)
Je vous promets qu'on le croyroit, (3)
Et sçavez vous quoy ? qui le verroit
Sans sa longue robe fourrée ,
En pourpoint , on le jugeroit
Une droicte souche couppée.
Mais elle , poac 1 c'est une fée ,
Ung bon petit corset bien prîns ,
192
Qui faict aussi bien la saffée (1)
Que femme qui soit au pays.
Tousjours ung tas de petit ris ,
Ung tas de petites sornettes «
Tant de petitz charivaris ,
Tant de petites façonnettes ,
Petis gans , petites mainnettes ,
Petite bouche à barbeter ;
Ba , ba , ba font ces godinettes (2)
Quant elles veuUent cacqueter.
Elle m'a faict souvent monter
A cheval , faire mes efibrs ,
Aller, chevaucher, tempester
Et courir à cry et à cors.
Ung jour je venoye de dehors ,
Sur mon hacquenet, tout housé :
Or estoys-je de son gent corps
Desja surprins et abbusé ;
Et de faict j'avoye proposé ,
Pour l'amour d'elle , d'estre fin ,
Mignon , gorgias , bien prisé
Des Dames : là estoit ma fin.
J'entendoye assez mon latin ;
Car pom- estre plus fricquelet ,
J'avoye le pourpoint de satin ,
( J'entens satin parle colet)
Et aux manches le chappelet ,
Joyeulx en la manche attachée , (3)
De veloul-s à ung beau fiUet (à)
Troys doibs de large , la belle espée ,
Robe à grant manche descouppée
Affin que l'on veist là dessoubz. (5)
Floc, floc faisoit ma hacquenée
Quant elle vouloit marcher doulx :
19S
Elle cuyda tomber deux coups ;
Non pas tomber , mais el' choppa.
Les regardans estoyent là tous :
J'en oiiy bien ung qui parla
Et tout en raillant m'appella ,
Et me dist que je chevauchoye
2n clerc , en latin , tout cela.
Mais , par le sang bien , non faisoye ,
Car seurement je me tenoye ,
Genoux serrez , bien empeschez ;
Et me semble franc , que j'estoye
Pour faire bansler couvrechiefz.
Si ma beste feist ces meschiefz ,
Et qu'elle cuyda faire ung sault ,
Que voulez vous , sang bien I sçachez
Que je sçay bien ce qu'il luy fault.
Je vous chevauchoys royde et hault :
La pluspart des gens me suyvit
Disans : vêla ung beau ribault ;
Se n'est pas dommaige qu'il vit
Une Damoyselle me vit
A son huys , à tout son attours ;
Mais elle rentra , car elle craignit
Que ma beste ne luy feist paour :
Et de faict , je feiz tous mes tours.
On me veit de tant de maisons
Que, s'il eust faict ung peu plus jour»
On m' eust veu de delà les pontz.
Or revenons à noz moutons :
Ma personne fust descendue ,
Et , pour faire les comptes rons ,
Je veiz ma Dame emmy la rue.
Je m'en voys la bouche tendue
Là où elle estoit à sa porte ;
13
194
Je la baise , je la salué ,
Demandant comme elle se porte.
El' ne me fist pas chiere morte ;
C'.ar tout au tel el' me rendoît,
Et qu'il soit vray, je m'en rapporte
Au page qui me regardoit.
Ma Dame sçet bien ma venue ;
Lors elle m'a getlé les doulx yeulx :
Quelz doulx regards ! quelz ris joyeulx !
Quel maintien ! quel doulce manière !
— C'est vostre mignon, se m'aist dieux ! (1)
Se va dire la chamberiere.
— Dieu gard* ma Dame ! et puis : quel chère ?
Que dist Monsieur ? est-il gaillard ?
— Autant vaulsist une commère :
Par ma foyl ce n'est que ung paillard.
— Et si n'est-il pas si vieillard ,
Qu'il ne peut pener ou suer?
— Voire : mais il est si songeart,
Que à peine se peult remuer.
Il est à cheval pour rimer
Au refrain de quelque ballade ;
n ne sert plus que d'estrivier, (2)
Ou de dire qu'il est malade.
— Baillez luy , dys-je , quelque aubade ,
Quelque secousse, il s'amendera.
— Ha ! dist elle , sa couleur fade
A grant peine se changera.
Nous parlasmes tarin tara ,
Puis de Monsieur , puis de ma Dame.
Et me mist'K)n en telle game ,
Que la Dame et la chamberiere
Me jonchèrent ; l'une derrière ,
L'aultre devant me regardoit :
195
L'une farsoit , Faultre lardoyt. (1)
J'estoye fort en grâce d'elle ;
Parquoy je croy que on ne m'osoit
Dire chose quil ne fust belle. (2)
On parle de tel et de telle ;
Mais pour ung galant amoureux
Je suis devenu gratieulx , (3)
( Se disoyent les gens ) houppegay ! (4)
Et croy bien que l'on disoit vray ;
De cela je n'en doubte jamais. (5)
Et si vous dictz bien , pour tous meU ,
S' on eust esté beau pour mirer , (6)
J'avoye les membres les mieulx faitz
Qu'au monde l'en sçeust declairer.
J'estoye ung homme adventurier ,
Gay, alegre, mignon, joyeulx;
Sang bieu ! à tout considérer ,
Il sembloit que j'en fusse deux.
Laissons ces soûlas et ces jeux.
Ma Dame me print par la main :
Et promis lors devant ses yeulx (7)
De l'aller veoir le lendemain ;
Et là devions nous plus à plain
Deviser. — Or , à Dieu , ma Dame.
— A Dieu, dist-elle. — Mais sur mon ame,
Combien que puis j'en fus martyr.
Il me faisoit mal d'en partir.
Je m'en allay emmy la ville ,
Pour monstrer que j'estoye fricquct ,
Ferme , duyt et rusé du stille ,
Esveillé comme ung saupiquet ,
Pour dire : pic et pac , marquet !
Qui est-il? c'est ung tel — en somme
196
La belle bague, ou rafliquet
Pour moDStrer le chemin à Romme.
En ce temps-là j'estoye ung homme
Franc pour dire : d'ont venez vous?
Le beau mouchoir, voire ou la pomme (1)
En la manche fsûcte en deux coups ; (2)
Le hoquetton , pourpoint dessoubz ;
Anneletz (voits m'entendez bien);
I^es chausses percées aux genoulx ,
Pour bien dire , mais ce n'est rien.
11 ne falloit que dire : vien ;
J'estoye prest. — La robbe assez nette ;
Je n'avoys rien qui ne fust mien ,
Excepté sans plus la cornette
De velours , non pas trop honneste ;
Car elle sentoit son bas percé :
Mais vêla pour boucher ma teste , (3)
J'en estoye desja tout bersé. (4)
Or d'adventure, je passé
Par ime rue , sur le tard ;
Mais Dieu sçet si j'en fuz farce
Au vif. 11 y eust ung Coquard
Qui m'appeUoit : adieu gaignart !
Hay ! hay ! passion d'Antioche !
— Qu est-ce là? que le diable y ayt part !
Qui est-ce qui sur moy descoche? (5)
Se pensoys à moy ; par sainct Josse !
Je suis perdu , ou je suis frit.
Il cryoit et chascun me veit
Vestu ainsy que TEsplagant ; (6)
Mais sçavez vous que l'on en dit?
— Par mon ame c'est ung fringant. .
Je m'en allay tout en gigant, (7)
Comme ung lévrier qui se resveille ;
197
Bonnet renversé et guignant , (1)
La belle ymage sur T oreille.
Je fondoye carreaulx à merveille ,
Gay , alesgre , bien esmouché ; (2)
Et me mussay soubz une treille ,
Pour attendre qu'on feust couché.
A coup, avant estre huche,
Faire ce qu'on vouldroit ; et puis
Trie , trac , sans estre effarouché :
— C'est faict — c'est mon — [advise Thuys.
Vêla de quoy servent les nuytz i
Sommeille qui vouldra sommeiller.
On n'a point peine à s'abiller,
Le matin oster la brayère , (3)
Après baiser et fatrouiller ;
Dire adieu par l'huys de derrière ,
En effect vêla la manière.
Or sça, ma Dame me parla (â)
Du lendemain ; la chose est claire
Que le gaudisseur y alla.
Je m'en viens à l'huys — tac. — Qu'ella ? (5)
Je regarday par la serrure ;
La chamberiere je veiz là ,
Qui me vint faire l'ouverture
Par une vis , en sa chambrette.
Quant je fus leans, je prins cure
De saluer la godinette :
Sa chambre estoit fort sadinette. (6)
Sans faire plus longue querelle ,
Bon jour. — Je m'assis auprès d'elle ,
Et puis : comment va ? — quel' nouvelle ?
— Nous desvisasmes là de baves , (7)
Et des besongnes dismes tant ,
Et de langaiges et de brigages ,
198
Dequoy brief pas ne m'en souvient «
Pour nous et à noz advantaiges :
Et entre aultres pour tous potûges ;
— Cestuy-cy va — cestuy-là vien.
— Geste là ceste*cy vault bien.
— L'une ayme l'autre : l'autre ayme l'une.
— L'une blanche , et l'autre trop brune.
Tel2 et telz , et telles et telles
Ne sont ne trop beaulx ne trop belles.
— On faict cecy — on faict cela.
— On va par cy — on va par là.
— Par tel pointz et par telles choses
On brouille, on cliquette, on noise.!
— L'ung est couard, l'autre est hardy.
— L'ung veult lundy , l'autre mardy.
— L'ung est rusé , l'autre gruppé. (1)
— L'ung est fort et l'autre huppé.
En effect , vêla , nous disons
Tant de regretz , tant de blasons ,
Tant de propos , tant de minettes
Et tant de façons sadinettes ,
Que par sa paroUe mignotte
J'en cuydoye joûyr à ma poste.
Tourner la main , ung aultre mot ,
Le sang bieu ! je devenoye sot.
Je la trouvay si inconstante ,
En langaige si véhémente ,
Que aulcunesfoys , pour vous le dire ,
Mon couraige le vouloit dire :
Mais quant je la veis ainsi rire.
Lors , par le corps bieu ! je n'osay :
J'escoutay , et si proposay.
J'oûyz ung bruit qu'on demenoit ,
Dont incontinent je glosay
199
Que c'estoit Monsieur qui venoit.
— Las ! dist elle , s'il vous voyoit.
— Qu' est-il de faire ? — se musser :
Mais , montez en hault tout droit ,
Et vous en aller au grenier
Au foing. — Je montay sans compter
Les degrez. Il vient , il caquette
Puis de Gaultier , puis de Jacquette ;
11 tance puis la chamberiere.
Et moy qui oioye le mystère ,
N'estoye pas bien asseuré :
Se j'eusse marché ou viré ,
Et qu'il s'eust peu appercevoir
De moy , il y feust venu veoir.
Le corps bien ! j'estoye résolu;
J'avoye tout cuyt et moulu.
Je ne feuz pas pourtant si fol.,
Que je n'entrasse jusques au col
Dedans le foing ; et puis je prins
La belle botte , et là tins
Sur ma teste qu!on ne me vit.
Et pour me bailler le desduit ,
Jç vous oûys^tantost le cry
De petites souris (pipi)
Fortfuisans à mon oreille (1)
Parmy ce foing ; c'estoit merveille.
D'autre part estoyent en bas
Les grosses parolles et debas
De Monseigneur et de ma Dame ,
Qui se combatoyent : c'estoit blasme. (2)
Hz estoyent, se croy-je, tous deux
En leur chambre enfermés tous seulx.
L'ung parloit par une façon ;
200
L'autre chantoit autre chanson ;
Cestoit ung plwsir que d'y estre :
Car chascun vouloit estre maistre.
Le soir vint ; il faut préparer
Le souper et le vin tirer :
Monsieur fut sçis et appoincté , (1)
Et dist-on benedicite.
Après souper voicy Chariot
Le paige , à qui on dist ung mot ;
Ce fut qu'il allast apprester
La mule, sans plus arrester.
Se feist-il , et se meist en point ,
Et s'en vint au grenier au foing ,
Une grande fourche, — en son poing.
De fer ; et sans plus de riote ,
11 vous vient cheoir sur ceste botte
Que je tenoye sur ma teste ;
Or , le dyable ait part à la feste.
Le paillard paige fist merveille ;
Car il fist si profonde enqueste ,
Qu'il me va larder une oreille
De la fourche. —Je me resveille
Lourdement et n'osay mot dire ;
Chariot se peine et travaille
D'avoir la botte ; il sache , il tire : (2)
Je vis tout et cuiday bien rire.
n print à tirer : —je la tien ;
— 11 recula trois fois de tirej ,
Et jura Dieu qu'il l'auroit bien :
Et si là print. — Adonc ! — rien — rien.
Il s'esbahit fort et recuUe ;
— Qu'est-ce icy ? dist-il , quel maintien ?
Dieu veult-il pugnir nostre muUe ?
^
201
Il prend son chappeau et Taffule, (1)
Tout en barbetant ba , ba , ba ,
Et sans dire paroUe nulle
Il tira si fort qu'il tomba.
Chariot à Dieu se tempesta , (2)
Dit qu'il n'y tireroit meshuyt.
Il trousse ses panneaulx , et s'en va
Compter aux aultres le déduit.
Son maistre vint ; (j'oûyz le bruit)
Dont viens tu ? — clic , clac , (sur ses joues
Il frappe , il congne, et Chariot rit
Des grosses dens. — Dea , tu te joue !
— Hon, hon, hon ! — Dea, tant de moue ! (3)
Le plus beau ne fut dire mot.
Vêla comment tourna sa roue
Fortune , au pouvre Chariot.
Encore fut^il bien si sot
Qu'il alla dire à Guilelmin ,
A petit Jehan et Phelippot ,
Et y mist gaige avant la main.
Il monte ; j'entendy le train ,
Je saulx et quis mon advantaige ,
L'ung lieve le botteau de foing ;
Povre Chariot perdit son gaige.
Vêla comment Chariot le paige
Fut du foing doublement pugny ;
Chascun luy gettoit de la neige
Après, et se mocquoit de luy.
Le soir vint ; il n'y eust celuy
Ne celle qui n'allast coucher.
Et Dieu sçet se j'euz de l'ennuy
Ceste nuyt ! je n'osoye bouger ;
202
Et me fist-on mon foing ronger
Tout à par moy : à caste enseigne
Que je commençay à songer
Que faisoys chasteaulx en Espaigne.
Or, aflin que chascun appreignel
Conunent on y fûct bonne chère ,
J'eusse voulu avoir la taigne
Et j'eusse esté en la rivière.
Je ne sçavoye tenir manière ;
Plustost couché dessus ces bottes ,
Plustost dessus la cheneviere ,
Plustost je descrottoye mes crottes. (1)
J'avoye les fantasies si sottes ,
Que ceste nuict , de pointz en pointz ,
Je devisay plus de cent cottes
Et plus de cinquante pourpointz ;
Et sans remuer piedz ne poingz ,
Et tout en faisant bonne mine ,
En songeant de près ou de loing
Je me prins à dire matines :
Et quant j'en euz bien dit deux lignes ,
Je me levay lors sur mes piedz ,
Et tout en ployant mes escbines
Je voys regarder les clochiers : (2)
Je marquois plus de cent montiers
Où ilz n'avoyent esté jamais.
Or est-il minuyt poiu* tous metz ;
Et ne voit on rien que la drille ,
Parquoy je prenoye Beauvais
Aucunesfoys pour ceste viDe.
Le jour vint , vray comme Evangile
Je meis ma teste par un^trou
Sur la court ; la petite fille
Tenoit ung souflet , hou , hou , hou ,
203
Et soufloit, mais je ne sçay où ,
En la cuysine , ça et là.
Le jour devint grant pou à pou ;
Je croy que Monsieur se leva ,
Monte sur la mulle et s'en va
Quelque part faire sa trainée.
Je descens sans dire qui est là;
Je trouvay ma Dame levée.
Quant elle me vit , pour entrée
Elle me bailla ung soubzris ,
Et , pour dire vray , sa risée
M'estoyt ung petit Paradis.
Et vecy dequoy je me ris ,
Et dont je me riray tousjourg ;
Car de tous mes maulx et perilz
Elle me bailla deux fins tours ;
Et me dist , sans plus de séjours ,
Pour toute resolution ,
Que son mary dedans huyt jours
S'en alloit en commission.
Ainsy auray occasion
D'aUer à Thotel à mon aise.
Adieu , ma Dame — or , adieu don ,
Dist-elle. — Mais, ne vous desplaise ,
Elle est assez fine et maulvaise
D'enquérir se je n'ay rien dict.
Pourtant , je vous prie qu'il vous plaise
D'en dissimuler ung petit.
J'en ay assez dit pour meshuy ,
Et n'en diray plus pour meshouen.
Tabourin ! à mon appétit ;
Beau Sire , le petit Rouen. (1)
Fin du Monologue de la Botte de Foing.
Cy etuieiee le loMlogie di Piys
biet par Coqiillirl.
Gorriers mignons , hantans banquetz ,
Gentilz , fringans , dorelos ,
Portés vous plus les affiquetz ,
Ne les robes de camelos ?
Mots argentés, petis œillades , (1)
Entretenés vous plus voz tours
De faire donner les aubades ,
Que soulliés faire tous les joiu's ?
Où estes vous chantz de linottes ,
De chardonneretz, ou serins , (2)
Qui chantés de si plaisans notes
Soubz le§ treilles de ses jardins ?
Où estes vous les tabourins ,
Les doulcines et le3 rebecz ,
Que nous avions tous les matins
Entre nous aultres mignonnetz ?
J'ay veu que j'avoye Henriet
A faire mes charivaris ,
Avec son compaignon Jacquet ,
Pour ses Bourgeoises de Paris. (3)
J'ay veu qu'estoye mignonnet ,
Chantant entre les Damoiselles ;
205
Ung corps fectis, sade, gronnet, (1)
Pensés qu'avoye des plus belles.
Vous semble-il point que pour argent
Qu'on peust jouyr de ses amours ,
Estre tousjours mignon , fringant ,
Portant cornette de velours ?
Aultrefoys ay esté en Cours
Pour faire balades et rondeaulx ;
Et ne dormoye ne nuytz , ne jours ,
A penser les termes nouveaulx.
Ung jour m'en aloye pas à pas ,
Fort mignon , plaisant et habile ,
Tracassant , traignant le patin ;
Car je sçavoye bien mon stille
Et entendoys bien mon latin.
Je vous estois miste , friquet ,
Habillé comme ung Gentilhomme ,
Esveillé comme ung saulpiquet :
N'y avoit que pour moy en somme
Les beaulx petit gandz , le bonnet
Et la perrucque bien pignée.
Pour dire : morbieu , pas ung pec !
J'estoys ung fringant à journée.
D'aventure comme je passoye
Et m'en alloye tout en paix ,
Sans que aucun mal y pensoye ,
Se me dit img : — adieu Joannes ,
N'oublie pas ton efecriptoire.
— Et je vous escoute ; quoy voire !
Ha ! ventrebieu , quel broquart I
Pensafge à moy : c'est ung coquart ;
206
r/est la façon , du temps qui court ,
De ses varletz dymencberës
Qui sont vestus sur le gourt ,
De nous appeller tous Joannet.
Hz portent les cappes couppées
En la façon de maintenant ;
C'est quant leurs robbçs sont percées ,
Pour estre plus mlgnonnement.
Se vous les voyez tous les jours ,
Quant Uz ouvrent de leurs mestiers ,
I^urs robbes vestus à rebours ,
\ ous diriés : se sont savetiers.
Et quant se vient aux jours des festes ,
llz semblent tous gros trésoriers ;
llz ne demandent que les festes
Pour aller aux nopces dancer,
Faire les voustes et saulter,
AfBn qu'on die : c* est-il — c'est mon.
— Par la mortbieu ! il dance bien.
— Brief , c'est ung gentil compaîgnon ,
Et si a ung très beau maintien :
Par mon ame, c'est grand dommaige
Qu'il n'est porteur de cotherès;
Car il a ung très beau corsaige
Pour porter assez de grans frais.
llz vous portent , comme j'enten ,
De beaulz anneaulx (dedans leurs doitz)
Qui sont dorés de beau safTran ;
n semble que soient petitz Roys.
Et mectent la main au bonnet ,
Affin qu'on voye les anneaulx.
Pour dire : j'ay ung afficquet.
Et n'ont pas vaillant deux naveaulx !
Au fort laissons ceste faerie ,
207
Et retournons à noz moutons ;
C'est une droicte resverie
D'oiiir parler de leurs façons.
Je m'en alloye delà les pons ,
Avecques mon page Jacquet ,
Monté sur une belle hacquenée.
Et pensés que j'estoye de het , (1)
La belle robbe fourrée ,
Les gentilz petitz brodequins ;
Tracasser par mons et par vaulx ,
Aller, retourner par chemins ,
Faire feu dessus les carreaulx , (2)
Monstrer partout mon beau corsaige.
— Par le sangbieu I c'est grand dommaige ,
Se dient les gens de Paris ,
Il seroit ung beau personnaige
Pour estre Abbé de sainct Denis»
Je ne pensoye point à leurs ditz ,
N'a leurs parolles, n'a leurs devis.
Je pensoye bien à aultres jeuz ;
Car me monstroye pour la Dame
De qui j'estoye amoureux.
Et si vous dy bien , par mon ame !
Que c'est la plus mignonne femme.
Par Dieu , qui soit point à Paris ;
Car elle a le plus plaisant ris ,
Les yeulx vers , la petite bouche.
— Quant elle marche sur espinettes .
Elle faict ung tas de minettes ;
On dil : celle femme n'y touche.
— Se vous la voyez quant elle rit ,
Vous'diriés : vêla ung enfant ;
Sans faire noise . hy, hy, hy,
208
Se faicl elle tout bellement.
Je vous passe incontinent,
Sans faire semblant ne manière ;
J'ay ad visé la chamberiere
Qui estoit assise à la porte ;
Viens à elle de bonne sorte ;
Et puis : — comment vous va, la belle ?
— Et très bien , Monsieur, dist^elle ;
Où avez vous demouré tant ? (1)
— Par ma foy, j'ai esté dehors
Où j'ay veu de bien mauvais temps :
Ce luy dis-je par bons accors.
Et puis , et puis où est ma Dame ?
Que faict elle ? y a il ame^
— Ennement , elle est sur le lict ;
Elle repose ung petit :
Ce me dit lors la chamberiere.
— Ouvrés moy dont Thuys de derrière ,
Aflin que j'entre en la maison.
— Je n'oseroye pour le garçon
Qui s'esbat emmy le jardin :
Mais Monsieur s'en va demain ,
Se me dist-eUe incontinent ,
Et pourrés venir seurement
Céans coucher avec ma Dame.
Je m'en voys sans penser à ame ,
Rencontre mes deux compaignons ;
— Bom dies soit aux mignons ;
Où allés vous? d'où venés vous?
— Nous en allons en ung banquet ;
Voulés vous venir avec nous ?
— Je vous renvoyé mon baquet ,
Par mon petit garçon Jacquet ,
209
Et luy dis : apporte la torche ,
Et te tiens au plus près du porche ,
Affin que saiche où te trouver.
Quant nous fusmes tous en la salle «
Qu' est-il de faire ? — de dancer.
Et Dieu sçet se on faict la galle
A mener dancer ses bourgeoises.
Ces dorelotz , ces gorgias
Menoient les meilleures galoises.
On ne sentoit que muglias .
Marjolaines et romarins ,
Giroflées , armeries , bouquetz.
Arrière ! arrière , rustarins !
Nous entretenons les banquetz.
Quant nous eusmes dancé tous trois ,
Nous nous reposons ung petit
Et regardons tous les fatras ,
Les danceurs et le bas deduyt ;
Et de railler, et de dancer.
— L'ung est trop grant — Taultre petit :
— L'ung est trop lourd à desmarcher :
— L'autre a failly bien de deux pas :
— L'ung ny sçet rien ne hault ne bas
Et l'autre, ce n'est qu'un lourdault ;
Il la meine trop lourdement
Et faict ses saulx ung peu trop hault.
— L'une contrefaict la mignotte :
— L'autre a la manière trop sotte :
L'une parle trop grossemment :
Et l'autre si est ung peu torte ,
Et se besse ung peu en avant.
Quant nous eusmes bien coppié ,
14
210
Et bien lardé et devisé,
Je m'en viens droit au tabourin :
— Je vous prie , sonnés moy le train ;
Je veulx mener ma Damoyselle.
— Incontinent je vins à elle :
Ma Dame, vous plaist^il dancer ?
— Et grand mercy , se me dist-elle ^
Ennement je ne puis aller.
Et de rire , et de railler ;
Se me dist l'un : hau perrucq|uet 1
Et je m'en voys sans grand caqpiet ; (1)
Tant en somme je me ti^is
Et m'en voys derrière ung tapis ,
Tant que le bruit se fust passé.
Je fuz si lourdement farce ,
Par tel' façon et tel' manière ,
Qu'eusse voulu avoir esté
Dedans ung sac en la rivière.
Quoy I se disoient touB le» danceurs ,
11 sembloit qu'il n'y eusl que pour luy :
C'estoit le plus fort copieux
Qui fiist en ceste feste icy.
Je m'en revina tout bellement ,
Tout qmj , par derrière le banc,
n y avoit ung cordonnier
Qui s'estoit trouvé à la feste ;
Si s'en va ma Dame ^ier :
Sans aultre prière ou reqpicste »
S'en va avecques hxy dancer. (2)
Je vis cela, et d'enrager
De 4euil ; je ùz si très, honteux ;
Et ne suis je pas bien malheureux ,
Qui cuydoye estre si rusé ,
D'avoir eate si refusé ,
211
Moy y qui suis gorgias , mignon ,
Franc , fraiz , frasé comme uog ongnon 7
Je ne sçay pourquoy c'a esté
Que j'ay esté tant reculé.
Ha I par ma^foy , je suis bien sot ;
Je croy bien que c'est pour ung mot
Que j'ay faiUy à la nommer ;
Car , quant la priay pour dancer ,
Je vous l'ay appellée ma Dame»
Et devoye dire : ma Demoiselle.
Là où j'ay failly , par mon ame.
Pourquoy el' la me bailla belle.
Quant je veif cela , je m'en voys
Sans dire adieu aux compaignons ;
Ilz n'ayoyent garde de me reveoir ,
Ne que je leur disse : dansons.
Mais m'en aky mon paige et moy ,
Sans vous dire ne si ne quoy ,
Vepir ma Dame par amomts.
Je vous viens , sans plus de séjours ;
Allant tastant encontre Tuys,
Je regarde par ung pertuys ;
Je veis venir la cfaamberiere
Qui me vient ouvrir le guichet :
J'entre dedans , moy et Jacquet ,
Et m'en viens droit à la chambrette
Qui estoit bien fort migaonnette.
Comme j'entre » voicy le diien
Qui sans dire ne si ne rien ,
Et me vient saillir au beau col :
Et qu'esse cy , bon gré sainct Pol 7 (1)
Je croy que je suis malheureux ;
Quant je suis levé au matin ,
212
Je ne pensoye pas à tek jeux.
Or ça, parlons d*autre latin :
— Comment vous va , mon musequin ?
Où est Monsieur vostre mary ?
— Par ma foy , Monsieur mon amy
Il s'en va en commission. /
— Or, ça, ça, j'ay occasion
De coucher ennuit avec vous.
— Ha I Monsieur , que dictes vous ?
Je seroye deshonnorée.
— Ne faictes point tant la sucrée ;
Sçavez pas bien que m*avés dit :
— J*aymeroye mieulx estre noyée
Que vous en fussiez esconduyt.
Quant nous eusmes bien cacquetté ,
Et bien brouillé , et tempesté ,
Unze heures si s'en vont sonner.
— Sus , sus , allez vous-en Jacquet ,
Et pensez le petit hacquet ,
Et luy faictes bien sa littiere.
On allume belle bourrée :
Je me despoûille mon pourpoint
De beau satin , moult bien à point ;
Nous nous chauffons entan nous deux ,
Devant et puis après derrière :
N'avoye garde d'estre honteux ,
Car je faisoye bonne chiere.
Vecy venir la chamberlere
Qui va faire la couverture :
Et ma Dame s'en va coucher ,
Et moy après à l'adventure ,
Sans plus cacqueter ne prescher.
Quant nous fusmes tous deux couchez ,
213
L'ung près de Taultre approchez.
Monsieur s'en revint sans blason ;
Qui avoit oublié des lettres
> De ladicte commission ,
Et luy estoyent fort nécessaires.
Si frappe à Thuys, à coup, à coup,
Tout esperdu , tout morfondu.
— Mon amy,.vous estes perdu!
Qu' est-il de faire? — je suis mort I
Je n'eusse osé dire ung seul mot.
Or , y avoit-il une fenestre
Qui respondoit dessus la court ;
Je n'avoye garde d'estre sourt
Et je vous prens tous mes habis ,
Mais je ne sçavoye où les mettre.
Je vous sailly dedans le puys
Qui estoit devant la fenestre :
Je fiz ung grand flac dans Teau.
Je cuiday estre là gellé ;
Mais se n'eusse trouvé le seau ,
Par ma foy , j'estoye noyé.
Tantost après on vint tirer
De Feaue , pour gayer les chevaulx.
Je ne sçavoye où me bouter ,
Car je souffroye plusieurs maulx.
On prend la corde , et de tirer ;
— Vecy eaue moult fort pesante ,
Se dit celluy qui la tiroit ;
Se seau en pesé plus de trente.
Et croyez qu'avoye grand froid ;
Et se d'adventure il m'eust veu ,
Comme estoye ainsy tout nu ,
Il eust laissé la corde aller
Pour me faire dedans noyer.
21&
Dieu m'ayda bien àjcelle foys :
(Aussi estoye bon Chrestien I )
Je ne prisoye ma vie deux noix ,
Ne fjGusoye plus compte de rien.
Quant je vous fus jucquez en hault ,
Et moy de sortir ung beau sault ;
Et celuy qui m'avoit tiré'
Fut si lourdement effroyé
Que il cria : alarme I alarme I
Vous eussiez oûy tel vacarme
Courir parmy ceste msdson ;
Car je vous jure sur mon ame ,
Sembloit que fusse ung larron.
Et de saillir, pour abréger,
Tout fin nu en belle chemise ;
De mes abbis , sans plus parler.
Ne faisoye compte ne mise.
Encore , qui pis est , en allant
Je vous rencontre bec à bec
Deux ou troys ribaulx sergens
Qui me mennent.en Castelet;
Car on venoyt de rompre ung huys (1)
Où il y avoit niarcbandise ;
Et s'en estoyent trestous fouys
Tout fin nuz , en belle chemise.
Pour ce qu'on me trouva tout nud ,
Tout esperdu , tout morfondu ,
Je fus prins en lieu de ceulx-la.
Je n'entendoye pas bien cda ;
Je y allois, sauf mes bons droits. (2)
— Et qu'est cecy , bon gré ma voys ? (3)
La mort bien ! vous y viendrez.
Vêla comment on nous chastie ,
Entre nous gallans amoureuk.
215
C'est une droite frainaisie
D'en tant parler ; j'en suis honteux.
C'est une merveilleuse peine ;
Je n'y veulx plus mettre ma cure
En ceste folle vie mondaine.
Je vous ay dit mon adventure :
Ung homme qui est endurci ,
Se luy semble toute plaisance.
Au fort ne parlons plus meshuy :
Donnés moy une basse dance.
Fin du Monologue du Puys.
CHiplaiite de leho, qii le penlt Jolir de
MS UMwrs; Miuieice de Echo et de
Ntreisis.
Echo querant ses mondaines plaisances «
Guidant venir de son fait au dessus ,
Non regardant les très dures vengences
Qae les baux Dieux contre elle avoyent conceu^
Fut surprise de l'amour Narcisus ;
Par quoy depuis endura maintz travaulx :
Désir d'aymer passe tous autres maulx.
Tant y ficha son cueur et son courage ,
Et tellement à l'aymer s'employa ,
Que sans garder d'aultres Dames l'usage
D'estre priée , elle mesme pria.
Vers Narcisus assez se humilia ,
liais rien ne fit pour son humilité :
Grand' privaidté engendre vilité.
Après plusieurs amoureux passemens ,
Regards , euillades , petis charivaris
Qui tous servent aux grans embrasemens
De cueurs humains et mondains espritz ,
Echo sans plus , après plusieurs soubzris ,
Ung seul baiser requist à Narcisus :
Riens n'est si dur en amours que reffus.
217
Par son orgeûU fier et presumption ,
Dépit , outrage et felonnie nature ,
En se mirant par grant elacion ,
A sa beaulté et plaisante stature,
Eust en desdaing la povre créature ,
Sans la laisser parvenir à son esme :
C'est bien congneu , qui se congnoit soy-mesme.
Et en effet , par T inhumanité
De Narcisus qui le baiser desnie ,
La povre Echo , par grande austérité ,
Usa en pleurs le surplus de sa vie.
En gémissant fut en voix convertie
Et endura mutation subite :
Ung cueur piteux en larmes se délite.
Ce Narcisus , après considérant
Que par ca Dame avoit esté prié ,
S'en orgueillit, et tout en se mirant ,
Après qu'il eust glorifié ,
Pour le vouloir des Dieux fut tost mué
En une fleur qui es fontaines croist :
Orgueilleux cueur soy-mesme se deçoypt.
Notez , enfans ; car comme la beaulté
De la fleur est incontinent passée ,
L'honneur du monde, qui n'est que vanité,
En un moment est aussi abaissée.
Si a esté ceste histoire brassée
Pour ceulx qui fiers et trop orgueilleux sont ;
Dieu et Nature sans cause riens ne font.
\
Vers MapMés pv fiiilane CoipûHirt en
I4l3t et placés à h li de sa Mielioa
de la Gierre ies Jiifs.
Grâce , louenge « honneur et jubilation
Vous doy rendre en la fin de ma translation «
Jbesus , vray rédempteur d'umaine nation ,
Largiteur de salut ef consolation.
L'istoire de Josephe, des guerres de Judée >
En langage françois du latin translatée ,
Rude en stile et façon, ^mplemmt aoumée,
Mon povre sens a mis , comiae elle est cy couchée.
Veuille la prendre en gré vostre grâce et clémence.
Supportant les deffauls de mon insipience ;
Car l'euvre requeroit homme de grant science ,
Orateur bien expert de sens et d'éloquence.
Quila yeult doncques lire en lieu d*un passetemps.
Viser doit à comprendre seulement le vray sens ,
Imaginant que j'ay selon mon petit sens
Le texte translaté ainsi que je l'entens.
Les lisant je requiers pour toute retributoire
Avoir mon esprit en dévote mémoire ,
Requerans à Jhesus qu'il lui soit adjutoire.
Tant qu'après ceste vie le transfère en sa gloire.
Amen.
TABLSi
Pages.
Biographie de Goquillart i
Le Plaidoyer de la Simple et de la Rusée 5
L^Enqueste 37
Les Droits nouveaux 71
— De Jure naturali 75
— De Statu hominum 86
— De Presumptionibus 96
Deuiième partie : De Pactis 109
— De Dolo 120
— De Impensis 131
— De injuriis 133
Le Monologue du Crendarme cassé 147
Ballade de la Paix 165
Vers faits pour l'entrée de Charles Ylll à Beims. . 166
Ballades des Etats-généraux 167
Le Blason des Armes et des Dames 171
(« Monologue de la Botte de foin ISO
Le Monologue du Puys. . 204
La Complainte de Echo 216
Vers mis à la 6n de la traduction des guerres de
Judée 218
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4-' V. ' »-w ' •»_ .
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